Retraites: un point de vue de Gérard Gourguechon (Solidaires)

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Gérard Gourguechon est ancien secrétaire général du Syndicat national unifié des impôts (SNUI), porte-parole du Groupe des Dix (1981) puis de l’Union syndicale Solidaires à sa fondation en 1998. Il anime aujourd’hui l’Union nationale interprofessionnelle des retraité-es (UNIRS) de Solidaires. On lira ici un point de vue documenté sur l’histoire et le financement des régimes de retraite (cotisations seules? fiscalité?), notamment depuis la fondation de la Sécurité sociale en 1945-46. Cet article est paru dans la revue en ligne Les Possibles (éditée par le conseil scientifique d’Attac).

Gérard-Gourguechon-credit-Attac

Télécharger l’article complet : lespossibles_2145_6947

« Financement de la Sécurité sociale et lutte de classes »

 

 

Extraits :

[…]

1  – Les ordonnances du 4 octobre 1945

 

L’exposé des motifs de l’Ordonnance du 4 octobre 1945 donne bien la philosophie générale de la Sécurité sociale envisagée : « La Sécurité Sociale est la garantie donnée à chacun qu’en toutes circonstances il disposera des moyens nécessaires pour assurer sa subsistance et celle de sa famille dans des conditions décentes. Trouvant sa justification dans un souci élémentaire de justice sociale, elle répond à la préoccupation de débarrasser les travailleurs de l’incertitude du lendemain (…) Envisagée sous cet angle, la Sécurité sociale appelle l’aménagement d’une vaste organisation nationale d’entraide obligatoire qui ne peut atteindre sa pleine efficacité que si elle présente un caractère de grande généralité quant aux personnes qu’elle englobe et quant aux risques qu’elle couvre. Le but final à atteindre est la réalisation d’un plan qui couvre l’ensemble de la population du pays contre l’ensemble des facteurs d’insécurité : un tel résultat ne  s’obtiendra qu’au prix de longues années d’efforts persévérants (…) ».

L’article 1er de l’Ordonnance du 4 octobre indique : « Il est institué une organisation de la Sécurité sociale destinée à garantir les travailleurs et leurs familles contre les risques de toute nature susceptibles de réduire ou de supprimer leur capacité de gains, à couvrir les charges de maternité et les charges de famille qu’ils supportent. L’organisation de la Sécurité sociale mesure dès à présent le service des prestations prévues par les législations concernant les assurances sociales, l’allocation aux vieux travailleurs salariés, les accidents du travail et maladies professionnelles et les allocations familiales et de salaire unique aux catégories de travailleurs protégés par chacune de ces législations dans le cadre des prescriptions fixées par celles-ci et sous réserve des dispositions de la présente ordonnance. Des ordonnances ultérieures procèderont à l’harmonisation desdites législations et pourront étendre le champ d’application de l’organisation de la Sécurité sociale à des catégories nouvelles de bénéficiaires et à des risques ou prestations non prévus par les textes en vigueur ».

 

En ce qui concerne les ressources (on parle maintenant du « financement »), ce sont les articles 30 et 31 qui fixent les principes : « La couverture des charges de la sécurité sociale et des prestations familiales est assurée, indépendamment des contributions de l’État prévues par les dispositions législatives et réglementaires en vigueur, par des cotisations assises et recouvrées conformément aux dispositions ci-après ». « Les cotisations des assurances sociales, des allocations familiales et des accidents du travail sont assises sur l’ensemble des rémunérations ou gains perçus par les bénéficiaires de chacune de ces législations (…) ». Les textes sont clairs : il est alors prévu un financement, d’une part par l’État (donc par l’impôt), d’autre part par des cotisations assises sur l’ensemble des revenus et des gains des personnes, et pas seulement sur les salaires des seuls salariés. Il était donc envisagé d’établir des cotisations (et pas des impôts) sur des revenus autres que des salaires.

 

2  – Les textes sont clairs : l’objectif, à long terme, est de mettre en place une Sécurité sociale universelle, mais, en attendant, la Sécurité sociale ne concernera que les travailleurs

 

La relecture des textes réellement retenus en 1944 et en 1945 devrait éviter de leur faire dire aujourd’hui autre chose que ce qu’ils disaient. La volonté politique était de garantir à chaque personne de pouvoir disposer des moyens de subvenir à sa subsistance et à celle de sa famille dans des conditions décentes. Ces ambitions ont été résumées ultérieurement par les trois U (universalité, unité, uniformité) qui ont très rapidement suscité de nombreuses réticences. L’universalité figure déjà dans le texte du CNR de mars 1944 quand il précise que la sécurité sociale doit concerner tous les citoyens. 18 mois plus tard, en octobre 1945, alors que le pays est maintenant libéré, et que les forces de la résistance ont été « rentrées dans le rang », notamment en ayant rendu leurs armes (le 28 octobre 1944, le gouvernement provisoire de la République française ordonne, par décret, le désarmement des milices patriotiques, après l’incorporation des FFI – les Forces françaises de l’intérieur – dans l’armée régulière), la pression est moins forte et les particularismes commencent à se faire entendre. L’exposé des motifs de l’ordonnance du 4 octobre 1945 rappelle bien que le but final est de couvrir l’ensemble de la population, pour l’ensemble des risques. Mais cette échéance paraît désormais lointaine, et l’article 1er parle seulement « des travailleurs », et plus « des citoyens », en ajoutant que des textes ultérieurs devront étendre le champ d’application de la Sécurité sociale à d’autres catégories de bénéficiaires.

 

En ce qui concerne le financement, les articles 30 et 31, nous l’avons déjà vu, font mention des « contributions de l’État ». On comprend mal, dès lors, les frayeurs de certains qui, aujourd’hui encore, tout en ne cessant de se référer « au CNR », rejettent toute idée de financement partiel de la Sécurité sociale par le biais de l’État (et, peut être, de l’impôt). On ne comprend pas plus leur fixation sur un financement reposant uniquement sur une cotisation assise sur les salaires. En effet, l’article 31 annonce que les cotisations seront assises sur l’ensemble des rémunérations ou gains perçus par les bénéficiaires. Le fait que, finalement, seuls les « travailleurs » seront concernés par cette première Sécurité sociale, c’est donc un semi-échec dans ce qui n’était qu’un compromis ! Dans le débat qui, aujourd’hui encore, traverse notamment le mouvement syndical français, si nous déclarons que nous sommes pour une Sécurité sociale universelle, couvrant donc toutes les personnes vivant sur le territoire national, il nous faut dire que nous sommes pour que toutes ces personnes concourent au financement en fonction de l’ensemble de leurs revenus. Ceux qui, aujourd’hui, revendiquent une cotisation uniquement basée sur la masse salariale, devraient reconnaître qu’ils refusent l’universalisme et sont pour un système social spécifique aux seuls salariés, les autres catégories sociales (agriculteurs, professions libérales, commerçants, etc.) relevant d’autres régimes particuliers, sans parler des personnes sans emploi, sans activité professionnelle, qui n’auront qu’à aller voir ailleurs ! Et, dans le cadre de ce régime « salariés », il faut bien voir aussi que la limitation à la masse salariale, en ce qui concerne le financement « des travailleurs », résulte aussi d’un compromis « historique » propre à la période de la Libération. Par les accords de Yalta de février 1945, il a été décidé, entre les États-Unis et l’URSS, que la France resterait dans le monde capitaliste occidental. Dans le cadre d’une société capitaliste, le compromis appliqué par les premiers gouvernements a été de ne faire cotiser que les revenus du travail pour le financement de la Sécurité sociale des salariés. Il ne fallait pas faire appel aux revenus du capital, y compris ceux tirés du travail par l’exploitation capitaliste (les profits de l’entreprise tirés du travail de ses salariés). Il a été convenu qu’il fallait aider à la reconstruction de l’économie du pays, et donc favoriser l’investissement privé, et donc le capital privé. Au cours d’échanges avec M. Maurice Kriegel-Valrimont, en mars 2004, lors de la rencontre organisée par Attac, celui-ci nous a bien éclairé sur le sens du compromis alors accepté : « il ne s’agissait pas de tout bousculer ; pour le financement, nous allions continuer, en gros, comme avant, et il fallait reconstruire la France, aussi il a été retenu que les cotisations ne seraient établies que sur les salaires des entreprises ». Dès septembre 1944, le secrétaire général de la CGT, Benoît Frachon, a lancé la « bataille pour la production », et en 1945 le PCF porte le mot d’ordre : « Produire, c’est aujourd’hui la forme la plus élevée du devoir de classe ». Dans la même veine, Maurice Thorez déclarera en 1945 : « Retroussez vos manches. La grève est l’arme des trusts ». C’est là qu’il faut trouver l’explication de la non- contribution des revenus du capital au financement de la Sécurité sociale. Il s’agit bien, pour ces gouvernements, de participer à la « reconstruction nationale » d’un pays dont la structure reste capitaliste. C’est d’ailleurs aussi avec ce regard qu’il faut comprendre les nationalisations faites alors, qui sont, par nature, ambivalentes : elles renforcent le pouvoir de l’État au détriment des entreprises, tout en protégeant la propriété privée.

[…]

 

 

 

 

 

 

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