Syndicalisme et écologie : des tensions aux convergences

Share on FacebookTweet about this on TwitterShare on Google+Share on LinkedInEmail this to someonePrint this page

Nous publions une étude faite par Louis-Marie Barnier, sociologue du travail, dans la revue Mouvements N°80, sur « l’élargissement à l’environnement du champ de compétence » du syndicalisme, notamment à travers le rôle des Comités d’hygiène, de sécurité, et des conditions de travail (CHSCT). Louis-Marie Barnier et Hélène Adam (syndicaliste à Solidaires), ont publié La santé n’a pas de prix, Voyage au coeur des CHSCT, Paris, Syllepse, 2013.

Nous en profitons pour encourager  à se procurer ce numéro de Mouvements consacré aux rapports parfois conflictuels ou en « tension » entre syndicalisme et exigences écologiques. Nous publions donc (voir après l’article) l’introduction au numéro 80 qui vient de sortir, qui présente les différentes approches, parmi lesquels figure un riche panel international, ainsi que des réflexions théoriques.


 

Mouvements

Adresse : Revue Mouvements-La Découverte, 9 bis rue Abel Havelacques, 75013 Paris. Abonnement en ligne : cairn.info. Tel : 01 44 08 83 78.

 

 

 

Accès au PDF (et aux notes de l’article)  : Barnier-CHSCT-environnemental-Mouvements-2014

Mouvements n°80 hiver 2014

Le CHSCT-environnemental au croisement du droit à la santé et des mobilisations environnementales

Par Louis-Marie Barnier

Parmi les revendications de la CGT figure l’élargissement à l’environnement du champ de compétence des Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), annonçant la prise en charge de cette dimension par les militants de terrain. La nouvelle loi d’avril 2013, qui crée un droit d’alerte environnemental pour les CHSCT ouvre à une telle perspective. C’est autour de la perception de l’environnement comme une donnée fondamentale de la santé au travail que s’opère cette jonction entre syndicalisme et écologie. Mais ceci exige du syndicalisme une transformation profonde de sa relation avec la société, quand il accepte le regard social sur les conditions et objectifs de production, lorsqu’il considère le mouvement associatif comme des partenaires dans sa confrontation avec les employeurs, ou en envisageant la santé au travail comme composante de la santé publique. Cet article se conclut par la nécessité pour le syndicalisme de se penser comme mouvement social.
La CGT a inscrit depuis plusieurs années dans ses repères revendicatifs l’objectif d’élargir le champ de compétence des CHSCT à l’environnement, le transformant ainsi en un « Comité d’hygiène,
de sécurité, de conditions de travailler et d’environnement » (CHSCTE). Plusieurs épisodes ont notamment démontré l’écho rencontré par cette proposition. En 2007, ce syndicat a défendu avec succès cette proposition lors du Grenelle de l’environnement, réussissant à la faire figurer parmi les conclusions qui préconisent « l’introduction de l’environnement et du développement durable dans les missions des CHSCT et des comités d’entreprise ». Par la suite, la loi d’août 2009 déclare que « les organisations syndicales de salariés et d’employeurs seront saisies sur la possibilité d’ajouter aux attributions des institutions représentatives du personnel une mission en matière de développement durable ». La loi reprend aussi la proposition « d’étendre la procédure d’alerte professionnelle interne à l’entreprise aux risques d’atteinte à l’environnement et à la santé publique ». Prolongeant cette initiative, la loi dite « Blandin » du 3 avril 2013 crée un droit d’alerte pour le CHSCT en cas de risque grave pour la santé ou l’environnement (L 4133-1). De plus « en cas d’événement grave lié à l’activité de l’établissement ayant porté atteinte ou ayant pu porter atteinte à la santé publique ou l’environnement », l’employeur doit réunir le CHSCT 3. Sont créés par cette même loi des lanceurs d’alerte environnementaux qui bénéficient d’une protection inscrite dans le code de la santé publique (L 1351-1).
Débattus dans des cercles extérieurs au mouvement syndical, ces nouveaux droits expriment néanmoins une évolution profonde du syndicalisme et plus largement du salariat dans son ensemble vis-à-vis de l’enjeu environnemental et des organisations écologiques. Les organisations syndicales participent depuis des années aux grandes conférences internationales sur le changement climatique comme aux Forums sociaux mondiaux. Elles interviennent conjointement avec les organisations de défense de l’environnement dans ces grands débats mondiaux. La recherche  d’alliances locales ou nationales avec des associations extérieures au champ du travail a pu être un moteur pour de tels engagements.
Mais ce rapprochement est marqué par le passif existant entre mouvement syndical et mouvement écologiste. Le mouvement syndical est resté largement en dehors du débat sur la défense de l’environnement. L’approche historique du mouvement syndical est proche de cette remarque du Medef : « La dimension environnementale fait déjà partie des missions du CHSCT dans la mesure et dans les limites où elle peut avoir des conséquences sur la santé des salariés ». Il s’interroge peu sur son propre rapport à la nature, par exemple en refusant d’interroger la finalité de la production d’automobiles, ce secteur industriel jouant par ailleurs un rôle structurant dans les relations professionnelles. Le projet de société dont se nourrit le militantisme syndical  ne fait pas figurer au centre de son utopie un autre rapport à la nature. Certaines croyances dans le progrès technique synonyme de progrès social (sur un modèle saint-simonien…) ont
servi de support à l’éviction de la part de syndicalistes de tout questionnement dans ce domaine. Le nucléaire a pu en être un exemple. Mais un certain syndicalisme radical a su porter, au sein même d’EDF, une critique vivace du nucléaire, à travers la présence du syndicat Solidaires, héritier ici des combats menés par la CFDT des années 1970 contre ce modèle énergétique. De même une partie du syndicalisme paysan porte, à travers la Confédération paysanne, une remise en cause du modèle productiviste.

Symétriquement, le mouvement écologiste s’est peu souvent adressé aux syndicalistes, peut-être jugés trop hâtivement archaïques ou productivistes. Nous ne traiterons pas ce point ici, faute d’investigations, nous proposons de nous centrer sur l’approche syndicale.

C’est par l’enjeu de la santé et la sécurité au travail que cette dimension de l’environnement se trouve aujourd’hui investie de légitimité pour le mouvement syndical. Le lien entre les deux dimensions écologiques et de santé peut être constaté dans le fonctionnement organisationnel.
La Confédération européenne des syndicats, impliquée depuis quelques années de façon importante à travers l’Institut européen syndical en santé et sécurité au travail (ETUI), ne vient-elle pas de donner une nouvelle dimension à cette jonction en donnant un mandat recouvrant les deux dimensions de santé au travail et d’environnement  ? On pourrait dans le même sens évoquer l’ISTAS, organisme d’expertise des Commissions ouvrières espagnoles qui recouvre santé au travail et environnement.
Les évolutions des missions et du périmètre d’intervention du CHSCT sont l’expression de cette jonction entre deux approches historiquement – du moins à première vue – dissemblables et portées par des acteurs très différents. Cette étude approfondit un travail plus complet sur les CHSCT, elle permet ainsi d’enrichir une approche du CHSCT trop souvent restreinte à la relation avec l’employeur. Elle contribue aussi à mieux saisir la dimension anthropologique du syndicalisme dans sa relation avec la nature : celle-ci est considérée à partir de l’activité humaine et de la capacité du travail à la remodeler, voire la détruire, activité située pour le syndicalisme dans un rapport salarial marqué par la domination des employeurs. Enfin, relier la santé au travail à l’environnement inscrit la santé au travail dans une approche relevant davantage de la santé publique, bien que gardant cet ancrage professionnel.
Nous proposons d’aborder dans cet article plusieurs épisodes qui montrent la diffusion déjà présente des thèmes environnementaux, avant que l’extension du champ d’intervention du CHSCT ne précise encore cette ouverture. Pour que ce « CHSCTE » prenne consistance, le syndicalisme doit cependant évoluer sur de nombreux plans. À travers trois épisodes, trois moments de la confrontation sociale, nous voudrions ici pointer la nature des évolutions attendues.
Elles portent à notre sens dans trois directions que l’étude de ces événements met en lumière. C’est d’abord l’acceptation du regard social sur la production que l’explosion de l’usine d’AZF en 2001 a pu mettre en avant : de l’extérieur de l’entreprise est venue la remise en cause d’un compromis du travail garant de la sécurité à travers le seul professionnalisme des salariés. C’est ensuite la découverte, à travers la réglementation REACH, de la dimension environnementale que l’on peut donner à la défense de la santé au travail. Enfin, le procès d’Eternit à Turin est l’occasion d’insérer ou plutôt de réinsérer la santé au travail dans sa dimension de santé publique. Nous nous interrogerons en conclusion sur le syndicalisme, que l’intégration de cette dimension environnementale avec les remises en question afférentes oblige à se poser comme mouvement social.

AZF, le regard social sur la production
En septembre 2001, l’explosion de l’usine d’AZF, située dans la périphérie de Toulouse, fait plusieurs victimes aussi bien parmi les salariés présents sur le site que dans la population alentour à la suite du souffle de cette explosion. Ce n’est certes pas la première catastrophe industrielle, comme le souligne Thomas Le Roux, l’accident industriel accompagne la naissance de la civilisation urbaine et industrielle « qu’il contribua à façonner». Une législation attentive aux conditions de production s’est peu à peu élaborée, rythmée dans la dernière période par des catastrophes telles que celle de Seveso (1976) ou Bhopal (1984). Les CHSCT sont sollicités pour intervenir dans ce domaine, ainsi en témoigne la réglementation concernant les Installations classées protection environnement (ICPE) qui impose de consulter le CHSCT à l’occasion d’une demande d’autorisation en cas de nouveaux procédés de fabrication ou d’emplois de produits comportant un risque environnemental. Les services préfectoraux en charge de la surveillance de ces installations portent un regard attentif aux remarques et avis du CHSCT.
Suite à l’explosion de 2001, la loi du 30 juillet 2003 portant sur « la prévention des risques technologiques et industriels » renforce les moyens des CHSCT dans les établissements comportant au moins un dispositif classé dangereux – y compris pour l’environnement. Les Commissions locales d’information et de concertation (CLIC), créées à cette occasion, rassemblent les employeurs principaux et sous-traitants, les CHSCT, des représentants des territoires et des habitants, des associations. Malgré des réalités très inégales, ces commissions peuvent constituer des points d’appui pour tisser des liens à l’extérieur de l’entreprise avec les associations environnementales et de riverains qui y participent. Mais la réalité de leur efficacité est soumise d’abord à la volonté syndicale de s’emparer de ces nouveaux outils.
Car l’élargissement du regard syndical n’est pas évident. Patrick Chaskiel souligne dans le cas d’AZF « la dimension avant tout professionnelle de la gestion de la sécurité, dans l’atelier, l’usine et l’entreprise » qui s’appuie sur « un fonctionnement jugé maîtrisé de l’usine » reposant sur le professionnalisme des salariés et leur engagement dans le travail. Mettre en cause la sécurité, c’est mettre en cause ce professionnalisme. C’est interroger la capacité du mouvement syndical à contrôler les conditions de production et mettre au grand jour ses faiblesses éventuelles. C’est enfin dénoncer une organisation du travail reposant largement sur la sous-traitance entraînant, malgré une construction procédurale importante, « un défaut de maîtrise collective des processus mis en oeuvre sur le site ».
La mobilisation sociale a eu pour objectif la fermeture d’AZF et des autres sites dangereux autour de Toulouse. Le déplacement de sites de production mettait en cause l’emploi des salariés concernés, ainsi la défense de l’emploi a pu être un autre vecteur du refus d’entendre l’appel à la sécurité environnementale des populations de Toulouse. Cet épisode et les lois qui en ont découlé mettent en avant la responsabilité des salariés d’un site et de leurs syndicats vis-à-vis des populations environnantes. Accepter ce regard social sur les conditions de production, tel que le suggère la mise en place des commissions locales évoquées, est la première mutation nécessaire du syndicalisme.
REACH, l’enjeu environnemental et de santé des produits chimiques
En abordant le débat autour du règlement REACH, c’est davantage à des effets non visibles directement sur la personne et l’environnement que l’on s’intéresse. Ce règlement européen REACH (Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals) sur les produits chimiques, adopté en 2006, est l’occasion d’une jonction entre environnement et santé des salariés. Ce dossier a fait l’objet de peu de mobilisations en France, les syndicats français appuient l’action de la Confédération européenne des syndicats (CES) sans s’engager davantage dans ce dossier.
La nouvelle réglementation prévoit que l’ensemble des entreprises qui importent ou fabriquent des produits chimiques à raison d’une tonne ou plus par an sont tenues de procéder à une évaluation des dangers et risques potentiels du produit. L’agence auprès de qui elles déclarent ce produit, l’European Chimicals Agency (ECHA), valide les informations fournies par les industriels ainsi que leurs modalités d’évaluation et délivre alors une autorisation. L’importance de ce règlement est donnée par son premier article : « Il incombe aux fabricants, aux importateurs
et aux utilisateurs en aval de veiller à ce qu’ils fabriquent, mettent sur le marché, importent ou utilisent des substances non susceptibles d’avoir des effets nocifs pour la santé humaine ou l’environnement ». REACH attribue la responsabilité de l’évaluation des risques découlant de l’utilisation des substances chimiques aux fabricants et importateurs et les contraint à fournir les informations de sécurité adéquates aux utilisateurs. Comme le note Laurent Vogel, ce dispositif annonce « le renversement de la charge de la preuve des États membres vers les industriels ». Ce dispositif a fait l’objet d’un intense débat en Europe avant son édiction. Les oppositions ont été fortes, comme le montre la lettre commune envoyée en février 2004 par MM. Chirac, Schroeder et Blair au président de la Commission européenne Romano Prodi, lui demandant de « ne pas examiner de propositions qui ne sont pas accompagnées d’une étude d’impact adéquate, et l’analyse de la compétitivité devrait être développée». Il en allait en effet de la liberté d’entreprendre pour les entreprises de la chimie, autrement dit de la liberté de produire sans s’engager sur les risques pour les salariés, la population et l’environnement. Après ces déclarations et sous la pression des industriels de la Chimie, le texte adopté par le Parlement européen, après deux ans de débat, reste en
deçà des exigences initiales. La CGT porte cette appréciation sur le texte finalement adopté : « La substitution lorsque des alternatives existent, qui constituait une disposition particulièrement innovante, n’est plus obligatoire pour les substances les plus toxiques dès lors que le coût de la substitution n’est pas raisonnable ou que les industriels peuvent prouver que
les risques sont “valablement” maîtrisés ».
Le processus d’adoption de REACH s’est étiré sur huit années. C’est la DG environnement de la Commission européenne qui a été au centre de l’édification de ce règlement. Les associations de défense de l’environnement ont usé de tout leur poids pour ce résultat, associant expertise technique et usage stratégique de l’opinion publique. Par la suite et lorsque le Parlement européen prend une place de médiateur dans ce débat entre Commission européenne, Conseil de l’Europe, lobbys industriels et ONG, c’est encore la Commission environnementale du Parlement qui est saisie du dossier.
L’investissement de la CES, de son organisme d’étude ETUI et plus modestement des syndicats français est principalement motivé par la lutte contre les effets toxiques des produits industriels sur les lieux de travail. La double interprétation de la notion d’environnement est au coeur des définitions des seuils de diffusion. D’un côté, la notion de Valeur limite d’exposition professionnelle est inscrite depuis longtemps dans le code du travail : la réglementation fixe une valeur qui déterminerait une « exposition acceptable », un « risque acceptable » pour les salariés, de même qu’est défini un taux de diffusion « acceptable » dans l’atmosphère. De l’autre, elle renvoie à la notion d’environnement du lieu de vie. Ciblant, dans le plan cancer de 2003 « la lutte contre les cancers professionnels et environnementaux », Jean Hodebourg, intervenant pour la CGT, explique que « les salariés sont les sentinelles des risques pour la santé dus à l’environnement industriel, sentinelles dans le sens plus exposé ! » Il affirme que pour la CGT, « les cancers sont essentiellement une maladie de l’environnement du travail ».
La mobilisation syndicale autour de REACH représente une rupture dans cette approche plus traditionnelle, en défendant une autre lecture des risques professionnels. À travers ce partenariat tissé avec les associations qui ont fait de leur objet principal la défense de l’environnement, le mouvement syndical saisit la dimension écologique de son combat pour l’environnement de travail.
•Le procès d’Eternit, le retour de la santé publique
C’est autour de l’ambiguïté de ce même terme d’environnement que se joue, en Italie cette fois, un troisième épisode de cette rencontre entre mouvement syndical et écologie. Ce procès fait suite à une longue mobilisation internationale contre l’amiante et singulièrement contre Eternit, un des principaux producteurs d’amiante. Dans les différents pays, et notamment en France, la responsabilité des industriels dans les atteintes à la santé est au centre du débat.
C’est à Turin que trois dirigeants d’Eternit sont condamnés pour « désastre environnemental », désastre défini par le procureur Guariniello comme « au niveau de l’ampleur, tout événement destructif d’ampleur extraordinaire […]. Au niveau des dommages, tout événement susceptible de mettre en péril la vie ou l’intégrité physique d’un nombre indéterminé de personnes, et, en particulier, susceptible de compromettre la sécurité d’un environnement de vie et/ou de travail ». Ce « désastre environnemental » a eu lieu dans les établissements Eternit, mais aussi « dans les lieux publics et les endroits privés ; dans les habitations des ouvriers ».
Le procès Eternit trouve sa source dans le travail opiniâtre de juges qui mettent en place, dans les années 1980, un « observatoire des tumeurs perdues », avec les moyens de la police judiciaire. La coordination internationale d’un réseau d’avocats et de scientifiques, ainsi qu’une mobilisation sociale massive, italienne et internationale, ont contribué à cette condamnation. Plusieurs caractéristiques de la justice italienne ont été déterminantes. La stratégie de dissimulation délibérée des effets sanitaires de l’amiante pour faire obstacle à l’adoption de règles préventives, ayant entraîné cette « catastrophe environnementale », est au coeur de la condamnation des dirigeants d’Eternit. De même, le manquement aux règles de sécurité s’apparente à une mise en danger d’autrui, qui a pu conduire le même tribunal de Turin à condamner en avril 2011 un dirigeant allemand du groupe Thyssen, à la suite d’un accident ayant entraîné la mort de sept ouvriers turinois. Selon le procureur Guariniello, son dirigeant a « entrevu la possibilité, ni certaine, ni probable, que le fait se réalise comme conséquence de sa conduite ». Mais c’est surtout l’indépendance de la justice italienne vis-à-vis du pouvoir politique qui a été décisive pour l’issue du procès.
Cette qualification de « désastre ambiantale » s’appuie sur l’activité syndicale historique sur les conditions de travail menée dans les années 1970 dans le nord de l’Italie. Du bouillonnement de ces années, s’appuyant sur des groupes de travail réunissant ouvriers et intellectuels et sur une approche positive de la démarche de la part des syndicats de la métallurgie, est issue notamment une brochure pour un modèle syndical  pour aborder la santé au travail. Parmi les risques figurent justement cette ambiance de travail, intégrant gaz, pollution, fumées, vapeur… Le terme «ambiantale» joue ici le rôle de « passeur » : il regroupe environnement de travail pris au sens physique et organisationnel, et environnement de l’entreprise.

Dénoncer les effets des choix industriels sur la santé des salariés et des habitants conduit à reconsidérer la construction historique de cet objet social, la santé au travail. Alertés par des médecins hygiénistes, les pouvoirs publics ont dû adopter un certain nombre de lois. La pression ouvrière de la fin du XIXe siècle, siècle d’industrialisation, a conduit au début du XXe à un compromis cristallisé par les lois sur la reconnaissance des maladies professionnelles (1898) puis des accidents du travail (1919), liant reconnaissance et indemnisation des accidents et maladies professionnelles. La création de la médecine du travail, des Comités hygiène et sécurité, puis des CHSCT en a fait un objet interne aux entreprises, riche des capacités d’intervention ouvrière mais s’insérant dans un compromis global autour du travail. La santé au travail s’est ainsi longtemps isolée de la santé publique. En assimilant les décès des salariés à un « crime environnemental », ce procès est l’occasion de situer à nouveau la santé au travail comme dimension de la santé publique, obligeant le syndicalisme à situer son combat dans une dynamique sociétale.
•Conclusion
Cette rencontre entre syndicalisme et écologie se révèle fructueuse pour la mobilisation sociale face à des enjeux qui se multiplient. Évoquons ici par exemple les nanoparticules, objets de production pour les chercheurs et salariés, d’inquiétude pour les consommateurs ou de pollution par leur présence ensuite dans les déchets, qui doivent être envisagées autant comme enjeu de santé au travail que comme danger environnemental : la Confédération européenne des syndicats avance, les concernant, le principe de REACH – « Pas de données, pas de marché » – et demande des moyens supérieurs pour une investigation indépendante. De même la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (CRIIRAD) a porté plainte suite à l’accident de septembre 2011 dans une centrale nucléaire qui a conduit au décès d’un salarié et à un « état grave » pour trois autres, pour « défaut de protection contre le risque d’explosion et le risque de dissémination des substances radioactives » en dénonçant une violation du code du travail.
Les évolutions souterraines du syndicalisme, exprimées par les actions locales, et leur traduction institutionnelle dans les missions légales du CHSCT se nourrissent mutuellement. Des interférences entre syndicalisme et mouvements sociaux ont pu se créer, à travers de nouveaux types de militants. Mais c’est surtout la capacité du mouvement syndical à se saisir dans son ensemble, et notamment sur le terrain des entreprises, de l’enjeu environnemental qui sera déterminante. À ce titre, notre étude met en relief trois évolutions nécessaires du syndicalisme. La catastrophe d’AZF a mis en relief la nécessité d’un débat social sur les choix de production associant syndicalisme et représentants de la « société civile ». À travers REACH, c’est à un « détour environnemental » que sont invitées les organisations syndicales pour poser la question de la santé au travail.
Enfin, cette ouverture trouve sens dans l’affirmation de ce domaine comme composante de la santé publique, comme le démontrent le procès d’Eternit et les mobilisations afférentes.
Ces transformations nécessaires du syndicalisme conduisent à envisager celui-ci dans un cadre autre que l’approche théorique des relations professionnelles ou qu’à partir de la seule défense d’intérêts particuliers.
Car cette ouverture sociétale du syndicalisme attend de celui-ci la capacité à élargir son approche de la santé au travail. Dans ce sens, ce renouvellement stratégique porte l’exigence pour le syndicalisme de se considérer comme un mouvement social, en défense de l’intérêt général et d’une autre conception des enjeux productifs.
La capacité du syndicalisme à s’ouvrir à des enjeux territoriaux et sociaux, tels que le représente l’enjeu écologique, relève de ce « double processus intérieur-extérieur aux espaces de production, permettant de donner aux travailleurs, par l’ouverture d’une conscience sur l’économie générale des rapports sociaux, la possibilité de se fonder en sujet et d’élaborer un projet de société porteur de finalités spécifiques». Cette démarche revient à situer le travail comme un enjeu de société par la configuration générale des rapports sociaux qu’il impose, à élargir ainsi le cadre et les enjeux de la conflictualité sociale. Dans ce sens, l’ouverture du champ de compétence des CHSCT aux questions environnementales engage une dynamique de subversion du cadre institutionnel du CHSCT.

 

 

Le travail contre nature ? Syndicats et environnement

Mouvements 2014/4 (n° 80).

Le_travail_contre_nature_n°80[1]

Aujourd’hui, la nécessité de réorienter les modes de production et de consommation est un objectif très largement partagé. La dernière conférence sur l’énergie en France, qui s’est tenue en 2013, a montré que les associations et les ONG se trouvent à l’avant-poste de la lutte dans ce domaine. Cet événement a également donné à voir des positions peu progressistes de la part des organisations syndicales, comme on pourra le constater à la lecture des documents reproduits dans le numéro ; la CGT, notamment, s’est quasiment alignée sur les propositions du Medef, en faveur du nucléaire et des gaz de schiste. Cette attitude s’est répétée en réaction à la loi sur la transition énergétique, portée par la ministre de l’Écologie Ségolène Royal. Comment expliquer cette position ? Qu’est devenu l’engagement de la CFDT des années 1970, très critique envers les « dégâts du progrès » ? N’a-t-elle été que superficielle ? N’a-t-elle représenté qu’une prise de position momentanée ? Et si c’est le cas, comment expliquer qu’à de nombreuses reprises, des organisations syndicales se trouvent aux côtés des défenseurs de l’environnement contre des industriels et des promoteurs accapareurs de nature, et ce malgré le chantage à l’emploi généralement exercé dans ces situations ? À travers ce numéro, il s’agit de dresser un état des lieux de la question, et notamment mettre en lumière les actions que les syndicats et plus largement les mouvements de travailleurs mettent en œuvre en faveur d’une production plus soutenable. L’enquête comporte un volet international fort, avec des articles sur le Canada, les États-Unis, l’Égypte, le Brésil, l’Argentine et l’Australie. Elle porte également sur différentes échelles (du local à l’international) et surtout différents secteurs économiques, tant les réalités de la construction ne sont pas celles des transports ou de l’industrie, et encore moins celles des services ou de l’agriculture.

C’est à notre connaissance la première fois qu’un numéro entier de revue est consacré aux liens entre syndicalisme et environnement[1], dans l’espace francophone. Les différents textes réunis dans ce numéro spécial problématisent et aident à comprendre cette relation. L’idée encore fort répandue selon laquelle les syndicats seraient nécessairement les soutiers d’une croissance économique excessive, apparemment insensibles aux conséquences écologiques des modes de vie et de production actuels, est mise à mal. C’est une caricature fort utile à celles et ceux qui tentent de diviser les différents mouvements sociaux émancipatoires et de fragmenter les fronts d’opposition à la domination capitaliste. On ne peut pas non plus sombrer dans un optimisme ou un volontarisme excessif, tel qu’on le trouve parfois chez les tenants de l’« éco-socialisme », pour lesquels les contradictions entre la politique écologique et l’action syndicale seraient secondaires. Les conceptions actuellement dominantes du syndicalisme et de la protection de l’environnement sont, pour le moins, en tension, sous des formes différentes d’ailleurs selon qu’on se trouve au Nord ou au Sud géopolitique. Le secteur d’activité se prête aussi plus ou moins facilement à des alliances. La question agricole trouve souvent un fort écho côté écolo, les figures de José Bové ou de Chico Mendès sont célèbres, pour cette raison d’ailleurs nous avons plutôt insisté sur d’autres domaines de l’activité. Cette tension, au cœur de notre réflexion, met en évidence les points de flexion qui permettent de tenter de la dépasser. Par-delà un fatalisme de mauvais aloi, nous avons privilégié quelques histoires fécondes témoignant de la possibilité de mener une action syndicale écologiste, malgré les nombreuses barrières qui subsistent.

Le dossier est organisé en trois grandes parties. Dans un premier temps, nous nous intéresserons aux expériences produites dans différentes régions du monde ce qui permettra de nuancer l’idée que l’on peut se faire de syndicats productivistes. Verity Burgmann raconte comment les travailleurs de la construction ont pu se mobiliser pour faire échouer des projets qui auraient pourtant pu représenter pour eux des emplois, dans les années 1970 en Australie. Ils ont exigé que leur force de travail ne soit pas employée à des travaux néfastes, et ils ont réussi, en s’alliant aux écologistes et aux populations locales. Ces « green bans » (interdictions vertes) ont sauvé des quartiers anciens et des lieux remarquables. Clément Steuer montre de son côté que si l’écologisme semble a priori très peu implanté dans la société égyptienne, au niveau des organisations partisanes, ces questions ne sont pas absentes. Il donne l’exemple d’une mobilisation contre l’implantation d’une usine très polluante, impliquant syndicats, populations locales et composantes que l’on pourrait appeler écologistes. Comme souvent dans les pays du Sud, c’est par la préservation des ressources utiles que se développe la protection de la nature. Bruno Dobrusin enfin nous explique comment les syndicats se sont pour la plupart alignés, en Argentine et au Brésil, sur le modèle de développement extractiviste mis en place par les gouvernements de gauche qui sont arrivés au pouvoir ces dernières années. Cette économie politique particulière explique leur rejet des projets d’économie verte discutés à l’échelle internationale et notamment à Rio+20, vus comme une menace impérialiste sur la souveraineté et sur le mode de développement.

Le second temps est consacré au cas de la France. Renaud Bécot et Céline Pessis éclairent la problématique des liens entre écologistes et syndicalistes sous un angle original, celui des « rencontres improbables » qui ont eu lieu dans les années 1960 et 1970 à la faveur de l’effervescence générale. Si des rapprochements prennent place et de nombreuses actions sont menées de concert, le nucléaire focalise, au contraire, toutes les tensions jusqu’à aujourd’hui. Comme le confirme Bernard Saincy dans la table ronde en fin de numéro, le nucléaire est l’une des seules questions sur lesquelles en France écologistes et syndicats ne peuvent pas avancer, en tout cas en ce qui concerne la CGT. Dans les années 1970 l’impératif de modernisation et la défense de « la science » l’emportent sur tous les autres. La CFDT a une approche plus critique, allant même jusqu’à des collaborations occasionnelles avec les mouvements antinucléaires. La difficulté se retrouve aussi aux États-Unis ou au Canada, comme l’explique l’article de Larry Savage et Dennis Soron. Le nucléaire est un domaine où les syndicats défendent parfois mieux leur industrie que les patrons eux-mêmes. En France SUD est le seul syndicat qui se soit positionné pour une sortie du nucléaire, comme le rappelle Annick Coupé, son ancienne porte-parole, dans l’interview, sans cacher ce que cette décision a de difficile pour les rares travailleurs du nucléaire qui sont affiliés à ce syndicat. Mikaël Chambru montre lui aussi qu’il est plus facile d’unir les forces écologistes et syndicales dans le refus d’un projet que dans la réforme de l’existant. Un autre angle de convergence est celui de la santé au travail, c’est par là que les militants de SUD Rail réussissent à entraîner des salariés du ferroviaire vers des positions critiques sur le nucléaire, qui engendre un trafic incessant de wagons radioactifs sur le territoire, et au-delà. À ce titre le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) joue un rôle majeur, comme le confirme Bernard Saincy dans la table ronde. Louis-Marie Barnier rappelle l’ancienneté du dispositif, et l’utilité qu’il a déjà eue sur de nombreux sujets se situant à la croisée des conditions de travail et de la qualité de l’environnement, tels que l’amiante, l’usine AZF ou la réglementation REACH. Avec la montée en puissance de cette dernière question, plusieurs syndicats, dont la CGT, ont récemment voulu inscrire explicitement l’environnement parmi les compétences du dispositif des CHSCT.

La troisième partie rassemble des textes dont la portée est plus large, soit sur le plan géographique (monde) soit sur le plan conceptuel. Nora Räthzel et David Uzzell ont mené une enquête auprès de dirigeants syndicaux dans plusieurs pays, ils montrent que les positionnements par rapport à l’environnement sont variables, selon les situations, de la défense de l’outil de production à l’opposition à un projet. Ils sont en outre marqués par une divergence assez forte entre le Nord, riche et urbanisé, et le Sud, plus pauvre, plus agraire, mais qui se trouve en même temps aux premières loges en ce qui concerne la dégradation des ressources. Romain Felli et Dimitris Stevis présentent de leur côté la naissance de la stratégie syndicale en faveur d’une « transition juste », qui s’est largement imposée à l’échelle internationale. Un problème se pose de manière particulièrement aigu dans le cas du passage d’activités existantes, polluantes et non durables pour le dire vite, vers des activités plus en équilibre avec les échanges avec la nature. La « transition juste » est peu à peu adoptée par les syndicats nord-américains dans les années 1990, à la suite du Sommet de Rio. Si le mot d’ordre a l’avantage d’ouvrir une perspective et de s’inscrire dans la longue durée, la question des emplois (leur maintien et leur création) reste au centre des préoccupations. Brian Obach explique de son côté, en s’appuyant sur le cadre théorique proposé par Allan Schnaiberg que trois acteurs principaux ont intérêt à maintenir « l’engrenage de la production » dans lequel nous sommes pris, et qui détruit l’environnement. Le capital veut évidemment faire tourner la machine plus vite pour engranger des profits. Mais les responsables politiques dépendent aussi des généreux donateurs (aux États-Unis), tout comme l’État qui dépend de la croissance pour son budget. Enfin la majorité des syndicats, en particulier aux États-Unis, cherchent d’abord à obtenir des avantages matériels pour leurs mandants, sous la forme de hausses de salaires. Brian Obach estime toutefois que les organisations de travailleurs sont le maillon le plus faible de cette machine infernale. Les organisations rangées sous la bannière de la justice environnementale sont trop hétéroclites et trop locales. Seuls les syndicats ont réussi à infléchir réellement le cours des choses, au motif de la santé au travail, de la protection des communautés et de la wilderness, ou de la lutte contre la mécanisation. Comment aller plus loin ? Brian Obach semble conclure à la fertilité de la perspective de la transition juste.

Il ressort de ce numéro que l’ordre établi ne permet guère aux mouvements sociaux de porter des revendications qui soient d’emblée universalistes. Si les syndicats se trouvent souvent à défendre l’outil de production, c’est parce que les salariés en dépendent étroitement pour boucler leurs fins de mois, qui sont souvent bien maigres. Les capitalistes et les dominants disposent toujours de plusieurs cordes à leur arc, s’ils n’émargent pas ici, ils peuvent toujours facilement se recaser ailleurs, à la faveur de ce que l’on peut appeler, à la suite de Pierre Bourdieu, leur capital culturel et financier. À l’opposé les dépossédés sont pris dans de multiples obstacles, financiers, réglementaires, géographiques, linguistiques, ne disposant pas des ressources nécessaires pour s’en affranchir, et sont les premiers à subir les conséquences de la dégradation de l’environnement. L’engagement militant se fractionne alors en de multiples lieux qui ne sont pas toujours très cohérents les uns avec les autres, souvent mal ou pas articulés, au risque de faire le jeu de l’ordre établi. Pourtant ce sont en partie les mêmes qui s’activent chez Greenpeace et à la CGT ; le problème n’est pas entièrement celui des objectifs de la lutte. Lors du Grenelle de l’environnement en France (2007) par exemple de nombreuses idées reçues sont tombées, d’un côté comme de l’autre, et des moyens d’avancer en commun ont été trouvées. Le fait d’engager des actions ensemble, de faire primer le mouvement sur les objectifs, permet aussi de faire considérablement évoluer ces derniers. Les manifestations et mouvements de grève sont aussi des moments d’échange, et se trouver côte à côte contre des adversaires communs génère des sympathies et des solidarités. Enfin dans certains secteurs d’activité tels que le transport ou au niveau international on trouve des positions syndicales très écolo.

Peut-être faut-il pour cela se déprendre de l’association inextricablement réelle et imaginée entre le syndicalisme et la classe ouvrière industrielle, européenne, mâle et blanche. L’image du métallo trimant sous la férule du maître de forge ou prenant d’assaut le Palais d’hiver a été une source d’inspiration indéniable dans les grands combats d’émancipation au XXe siècle. Mais elle a également rendu invisible de nombreuses autres facettes de l’organisation et de la lutte syndicale. Si au sein d’une économie capitaliste le syndicalisme est la première ligne de défense de celles et ceux qui n’ont pas autre chose à vendre que leur force de travail, alors on ne peut réduire les syndicats aux grandes organisations industrielles. La classe ouvrière est en permanente recomposition dans ses dimensions géographiques, genrées, sectorielles ou politiques et les organisations syndicales, du Sud au Nord, reflètent cette diversité et cette recomposition. Une des grandes victoires syndicales internationales cette dernière décennie a probablement été la signature de la Convention n° 189 de l’OIT portant sur la reconnaissance et la protection du travail domestique, une cause portée à bout de bras par des syndicats de femmes issus de l’économie informelle dans les pays du Sud. De la même façon, le combat des associations et des ONG écologistes n’est pas réductible à la lutte contre l’énergie nucléaire. S’il est vrai qu’historiquement, la question de l’approvisionnement en énergie a été, en France, le catalyseur de l’action écologiste, les revendications qu’elle porte actuellement épousent un large spectre allant de la conservation des écosystèmes à la proposition de modèles de société qui prennent en considération l’emploi et les conditions de travail.

Il n’en demeure pas moins que c’est dans les grandes concentrations industrielles et minières, du fait d’une organisation spatiale et matérielle particulière, que les syndicats ont forgé leur plus grande puissance et ont contribué de façon décisive à la démocratisation du pouvoir politique au XXe siècle[2]. Cette puissance a été passablement absorbée, en particulier en Europe, au sein des États dits « providence » et dans la social-démocratie. Le compromis qui s’est forgé après-guerre entre capital et travail a largement abandonné à l’État l’organisation de la production et de la répartition économique. Au sein de cet arrangement, c’est la croissance permanente de la production qui a permis de fluidifier les « relations industrielles » en augmentant à chaque fois les parts du gâteau à se répartir. Cette orientation structurelle vers la croissance économique a peu à peu été intégrée par les appareils syndicaux qui, d’une stratégie particulière, en ont fait une raison d’être. Les buts de la production (que produire ? où ? en quelle quantité ? avec quelles ressources ?) ont été abandonnés au marché et à l’État et les luttes syndicales se sont souvent concentrées uniquement sur les conditions de production (salaires, horaires, etc.). Comme on peut l’observer au travers de notre dossier, la condition nécessaire pour briser cette orientation sur la croissance est de disposer d’une stratégie économique alternative qui pose explicitement les buts de la production. Abandonner ce questionnement au capital ou à l’État ne permettra pas de sortir de la logique de croissance infinie et de prendre en compte la nécessaire inscription de la production économique dans un monde biophysique qui a, en partie, un fonctionnement inassimilable aux logiques capitalistes. Les syndicats les plus à la pointe sur les questions écologiques sont aussi ceux qui font l’effort de proposer une alternative économique.

[1][1] Néanmoins signalons le colloque RIODD, qui s’est déroulé à l’université de Bordeaux du 1er au 3 octobre 2014, http://www.riodd.net/ et le numéro à venir d’Ecologie & Politique.

[2] Voir la thèse intéressante, même si parfois outrée, de T. Mitchell, Carbon Democracy. Le pouvoir politique à l’ère du pétrole, Paris, La Découverte, 2013.

Print Friendly

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *