Syndicalisme et transformation sociale

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Paru dans Médiapart dans le blog « à celles qui luttent et résistent« , cet article de Théo Roumier, syndicaliste, argumente sur la manière pour le syndicalisme de faire entendre la voix des exigences sociales et des mouvements de lutte pendant la période électorale. Il défend aussi la nécessité d’agir le Premier mai 2017. 

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Et le Premier mai ? Pour un retour à la question sociale

Ce Premier mai 2017 est forcément particulier. Situé dans l’entre-deux-tours de l’élection présidentielle, il s’annonce comme une journée de lutte et de résistance pour toutes celles et tous ceux qui ne se résignent pas à la progression continue du FN. Mais il doit aussi – et surtout – marquer le retour de la question sociale sur le devant de la scène.

À quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle tout le monde a le regard braqué sur le résultat des urnes, allant d’hypothèses en hypothèses, de consignes de vote en consignes de vote (sans parfois craindre le tournis). Il faut dire que ce cru est particulièrement riche en rebondissements. À côté de cela, il y a le mouvement social et son actualité, car pour une fois – et malgré la campagne électorale – il n’est pas atone. Non seulement des grèves continuent de se dérouler (voir les pages « luttes invisibles » et « On bloque tout »)  des rassemblements antifascistes perturbent régulièrement les meetings du FN, des actions sur le logement s’organisent, mais il y a également des voix qui cherchent à porter les revendications des mouvements sociaux dans cette campagne. L’appel « Nos droits contre leurs privilèges », qui veut s’inscrire dans la durée qui plus est, fait partie de ces tentatives (un autre exemple est l’initiative du « Premier tour social » le 22 avril).

On peut distinguer deux manières pour les mouvements sociaux d’intervenir dans ce moment particulier qu’est celui d’une période électorale, encore plus quand elle est présidentielle. Il peut s’agir de se situer dans l’interpellation : on a vu ainsi des syndicats, des associations, demander aux candidat.e.s de se positionner sur tel ou tel aspect, voire décerner des labels, des notes, aux candidat.e.s méritant.e.s… Et puis il y a celles et ceux qui font le choix de l’autonomie du mouvement social, où il s’agit simplement de continuer à faire ce qu’on fait quotidiennement. Mais dans une autonomie pleine et entière, qui n’est pas seulement une défiance dans la politique institutionnelle mais qui est aussi une confiance réaffirmée dans ce que construisent nos luttes et nos résistances en termes d’avenir (choses sur lesquelles, au moins, on a prise).

Pour autant cette autonomie revendiquée n’est pas hermétique aux situations que créeraient les différents scénarios électoraux : on ne met pas des luttes « sous vide ». Un ami me disait, il y a quelques années, « des urnes il ne peut rien sortir de bon, mais il peut arriver le pire ». Commençons par là. Sauf très grosse surprise, Le Pen accèdera au second tour comme en 2002. Si on se donne très légitimement pour objectif de balayer Le Pen, ce ne sera pas seulement d’avril à juin : c’est dans les mois et les années qui viennent qu’il faut réduire son influence et pour cela nous avons besoin de victoires sociales. Face à Fillon ou face à Macron, nous aurons tout autant besoin d’un mouvement social fort et à l’offensive. Mais ce n’est pas tout, car s’il est évident que de plus en plus celles et ceux « qui ont le coeur à gauche », comme on dit, voient en Jean-Luc Mélenchon un vote utile (voir vital… et sont parfois insistant.e.s au delà du raisonnable à ce sujet), il n’est pas inutile pour le coup de rappeler que les leçons de 1981 et, plus proche de nous dans le temps, du gouvernement Syriza en Grèce existent tout de même. Il serait assez tragique que le mouvement social et particulièrement le mouvement syndical tombe dans le piège de tout attendre et/ou de donner du temps au temps aux « camarades-ministres » et aux hommes ou femmes providentielles… hypothéquant autant de perspectives nées des luttes et des résistances elles-mêmes.

Si l’on se place dans cette optique, alors il faut chercher à appuyer les mobilisations. Dans l’immédiat un rendez-vous se profile qui n’est pas anecdotique : c’est celui du Premier mai. Quels que soient les scénarios, il faudra que cette journée de manifestation marque le retour sur le devant de la scène de la question sociale. Parce qu’à la différence de 2002, il y a peu de chances que les places et les rues voient les mêmes manifestations marquées d’un antifascisme spontané se renouveler, tant la présence au second tour de Le Pen est attendue et balisée. S’il y en a, si on se trompe, tant mieux ! Il faudra alors se saisir aussi de ces mobilisations. Mais dans le doute, partons sur le Premier mai.

Ce n’est pas n’importe quelle date le Premier mai. Partout dans le monde, celles et ceux qui vivent de leur travail battent le pavé, parfois dans l’illégalité et au mépris de la répression, pour défendre leurs droits et dire leur aspiration à une société libérée de l’exploitation. C’était la journée de 8 heures lorsque le premier mai fut inventé à la fin du XIXe siècle, c’est aujourd’hui une mosaïque de revendications qui expriment autant de coordonnées différentes de la lutte des classes dans le monde comme de l’état du rapport de force entre Capital et Travail. On continuera ici de revendiquer l’abrogation de la loi travail par exemple. En Guyane, cette journée se conjuguera à la grève générale et aux blocages. Dans la plupart des villes (la plupart du temps plusieurs par départements), ce Premier mai s’organise déjà par ce qui continue de faire l’armature de l’action collective : des syndicats, petits et grands, leurs sections, leurs militant.e.s et adhérent.e.s… dont beaucoup cherchent tous les jours à améliorer leur capacité de mobilisation. Et ce n’est pas un hasard si ce sont ces syndicats, premiers de nos outils dans la lutte de classe, que les Fillon, Le Pen ou Macron cherchent à discréditer, réduire ou promettent de détruire. Car au moins cette forme organisationnelle a-t-elle le mérite d’avoir une prise directe avec la réalité de la moitié du temps que nous passons éveillé : celui du travail. Même quand on en a mal, pas assez ou pas du tout, c’est bien le travail et le rapport qu’on a avec lui qui continue d’organiser la société et nos vies. Ça s’appelle la question sociale, et ça mérite largement qu’on reparte de là.

Parce que bien trop souvent on continue de placer le « Politique » (avec une sorte de grand P) dans une position hiérarchique de supériorité par rapport au mouvement social. Plus « noble », plus « généraliste », il dessinerait les plans de notre avenir avec plus de hauteur de vue. À quel titre ? Parce que s’il existe vraiment beaucoup trop de déserts syndicaux, quand il est là, le collectif syndical c’est tout de même un lieu de solidarité concrète et immédiate. En tout cas cet outil là, disponible, ne devrait pas être autre chose. Bien sûr cette remarque est valable pour bien des associations qui remplissent des fonctions similaires : par exemple pour le droit au logement, en défense des droits des étrangères et étrangers, des réfugié.e.s et des migrant.e.s, contre les violences policières… Est-ce moins « noble », moins « général » ? Au contraire, c’est cet ancrage (qu’il y a urgence à renforcer et à rendre plus adapté à notre époque), c’est cette solidarité qui battra en brèche bien plus efficacement que n’importe quel bulletin de vote les divisions, les racismes, l’islamophobie qui gangrènent aujourd’hui la société. C’est ce mouvement social – encore faut-il l’investir – qui peut dessiner à partir des aspirations populaires ce qui devrait être arraché dès maintenant et mis en œuvre pour améliorer le quotidien. Parce qu’il est capable d’élaboration, d’analyse, de réflexion à partir de la positon qu’il occupe, il peut aussi, osons le dire, donner la confiance nécessaire pour aller au-delà d’un système qui (au passage) porte un nom : le capitalisme. Et ça, c’est éminemment politique, au sens premier du terme.

Alors, se donner, dès maintenant, le Premier mai à préparer, chercher à mobiliser, à convaincre nos ami.e.s, nos parents, nos collègues de descendre dans la rue ce jour là, sans être suffisant, disons que c’est nécessaire pour contribuer à redonner toute sa place à la question sociale.

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