Syndicalisme et travail : une intervention de Fabien Gâche (CGT Renault)

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Fabien Gâche, délégué central CGT à Renault, était invité à l’université d’été d’Ensemble! (Mouvement pour une alternative de gauche écologiste et solidaire) dans un débat consacré aux défis du syndicalisme sur le rapport au travail.  Merci à lui de nous avoir transmis son intervention.

Lien direct : Intervention CGT de Fabien Gâche 3ème université d’été « ENSEMBLE » le 29 aout 2016 à Guidel

 

Intervention CGT de Fabien Gâche à la 3ème université d’été « ENSEMBLE » le 29 aout 2016

 

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Objet :

  • La démarche « travail » de la CGT et le défi que cela représente pour le syndicalisme.

 

On ne peut pas comprendre la situation actuel du syndicalisme, les difficultés auxquelles il est confronté, sans aborder l’évolution des organisations du travail qui se sont imposées depuis une trentaine d’années, leur nature politique et leurs effets sur la santé des salariés et leur capacité d’action.

Aussi, pour le faire de manière très synthétique je partirai de l’évolution de Renault.

 

Depuis la fin des années 80, de nombreuses évolutions :

  • Sociologique :
    • Fin des années 80, les ouvriers représentaient environ 67% des effectifs, les cadres 5% et les ETAM 28%
    • Actuellement, les ouvriers représentent moins de 29% des effectifs, les cadres plus de 32 % et le reste pour les ETAM
  • De profondes réorganisations structurelles :
    • Réduction de la ligne hiérarchique et du nombre de salariés par équipe (Unité Elémentaire de Travail) :
      • avec des agents de maîtrise qui ne sont plus issus du sérail et ils ne sont plus nécessairement des hommes ou des femmes de métiers. Le Turn-Over est important.
      • Les agents de maitrise sont devenus des managers, avec un rôle politique visant à faire adhérer les salariés à la politique de l’entreprise (école de l’économie…). Leur rémunération est de plus en plus individualisée est assujettie à cet objectif.
      • Chaque semaine, les salariés sont conviés à une réunion au cours de laquelle l’agent de maîtrise présente à son équipe les objectifs (attendus par les dirigeants de l’entreprise) que chaque salarié se doit d’atteindre individuellement. Objectifs vendus comme les déterminants du niveau de leur activité et donc de leur emploi, inscrits dans un processus de culpabilisation des salariés.
    • Les organisations sont sans cesse restructurées. Elles sont vendues comme scientifiques, efficientes (qualité, coût, délais), non discutables.
      • Depuis l’accord dit de compétitivité, le salaire de l’ensemble des salariés, ouvriers compris, est individualisé et indexé à des objectifs de plus en plus inatteignables
    • Il est instauré une relation dite de clients/fournisseurs. entre chacune des équipes d’un même atelier, entre les ateliers d’une même usine, entre les usines du groupe à l’échelle internationale.
    • Les accords « de compétitivité » ont prolongé et amplifié ce processus qui institue tous les 3 ou 4 ans, la possible délocalisation de telle ou telle activité.
    • Les salariés sont placés dans une « incertitude économique récurrente », où aucune autre perspective que le moins-disant social ne leur est proposée.
    • Leur acceptation est jugée incontournable pour satisfaire nos dirigeants, leur donner une bonne image, afin qu’ils décident, seuls, d’octroyer ou non telle ou telle activité, sur la base d’objectifs (flexibilité, agilité, productivité…) non négociables !
    • Dans ce cadre :
      • La peur de perdre son emploi est ici constitutive d’un renforcement du pouvoir de subordination et « avoir peur, c’est se préparer à obéir ! »
      • La seule ambition qui est donnée est de produire sans cesse, toujours plus avec toujours moins…
      • d’être classé meilleur que les autres dans une compétition sans fin, (écraser l’autre)
      • d’être « la référence » du moment, susceptible de remporter ce que les autres pourront ne plus avoir… !
    • Si les évaluations permanentes sont toujours plus contestables et déconnectées des réalités du travail, elles attisent le conflit entre les salariés.
    • En lieu et place de coopération, la rivalité est devenue l’essence des organisations du travail et du top management.
    • Lorsque les intérêts des uns (les actionnaires) deviennent aussi divergents des intérêts des autres (les salariés), il devient impossible pour nos dirigeants de soutenir l’idée,
      • d’un monde commun, d’un bien commun qu’est l’entreprise,
      • de rassembler les salariés, de faire du lien, ni même de les différencier.
    • Raison pour laquelle ils propulsent les hommes et les femmes de l’entreprise dans un univers où l’existence est quantifiée, faussement objective, sans histoire et sans valeur :
      • un monde mathématisé, toujours plus numérisé, d’où cette prolifération de l’expertise, du benchmarks,
      • sa tyrannie et ses certitudes qui décrédibilisent le travailleur et le dépossède de fait, de ses activités et de ses droits.
    • En définitive et pour citer Roland Gori, nous sommes face :
      • à un dispositif politique de fabrication d’imposteurs, une société de la norme, du contrôle, du calibrage des comportements : une stratégie de masquage et du camouflage.
      • Une stratégie où s’effondre le pouvoir de la parole, la capacité de penser pour n’exiger que l’exécution, et quand bien même elle s’oppose aux valeurs, à l’éthique des individus dans ce qu’ils sont contraints de faire.
    • Comme le dit Jean-Claude Milner (Linguiste, philosophe et essayiste français) :
      • « L’évaluation n’est pas un mot, mais un mot d’ordre… En matière d’évaluation, l’essentiel n’est pas de produire du chiffre, mais d’obtenir le consentement d’autrui… »

C’est à mon sens, dans l’entreprise que s’est donc formée consciencieusement  depuis plus de 30 ans, cette forme dégénérée de la démocratie que l’on retrouve au plan politique à l’échelle de la société.

  • A cet égard, les accords dits de compétitivité constituent sans égal, l’outil approprié.
  • L’explosion de l’intérim, l’externalisation ou la prestation des activités visent ce même objectif,
    • celui d’exacerber la mise en concurrence des salariés à travers le monde, de pouvoir s’en débarrasser sans avoir à assumer la moindre conséquence sociale.
  • Dans les faits, la nature des relations sociales ainsi construites, relève de pratiques féodales qui s’exonèrent au passage des droits sociaux fondamentaux des salariés mais aussi du droit au sens large du terme des pays.

À défaut d’être compétitif, ces accords ont d’abord pour fonction d’exacerber le pouvoir de subordination patronal.

Mais pour permettre cette évolution, le patronat s’est attaqué simultanément au rôle, au moyen des organisations syndicales sur le terrain et à la capacité des salariés à se rencontrés, à échanger, à confronter leur point de vue.

Sur le plan syndical :

  • Chez Renault, le droit syndical était jusqu’en 2000 très au-delà des dispositions légales et notamment concernant le temps de délégation permettant aux élus d’aller au contact des salariés. Il a été divisées par deux.
  • Jusqu’à cette date, les syndicats pouvaient réunir tous les salariés trois heures part an en information syndicale sur le temps et lieu de travail.
    • L’accord de 2000 signé par toutes les autres organisations syndicales a remis en cause l’ensemble de ses acquis, sous couvert de renforcement des moyens des organisations syndicales au niveau central avec pour orbite : La professionnalisation du syndicalisme !
  • Dès septembre, la direction générale va engager une nouvelle discussion pour clairement baisser encore plus les heures de délégation et la capacité des élus à rencontrer les salariés.
    • En d’autres termes, un processus visant a éloigné les élus des salariés perdant leur assise, leur soutien au profit d’une institutionnalisation de l’activité syndicale.
  • Ce dispositif s’est conjugué à la fois :
    • à la suppression des temps de casse croute pour une majorité de d’ouvriers et globalement, les temps de pause sont réduits. Les organisations actuelles limites voir empêche toute rencontre collective tout échange en dehors de la hiérarchie.
    • La précarité, la prestation de services a explosée a tous les niveaux de l’entreprise et pour toutes les catégories professionnelles.
  • Les organisations du travail sont sans cesse modifiées et le turn-over est omniprésent

Nous sommes confrontés à des organisations du travail pathogène, où le travail des salariés est réduit à la simple exécution de prescription. Le travailleur serait alors passif, c’est là, un processus de réification où les salariés ne sont que des choses, interchangeables et dont on pourrait se passer.

Dans la logique de gestion actuelle : l’efficacité économique passe par la pression à l’accélération et à la standardisation.

  • L’excellence, c’est « le juste nécessaire ».
  • « La qualité pour le marché dans le temps du marché ».

Or il y a un fossé entre le Travail prescrit et le travail réel : « Au travail les gens ne font jamais ce qu’on leur demande de faire…et c’est pour ça que ça marche »

  • Les situations rencontrées sont toujours particulières. Avec le part de l’inattendu, de l’imprévu dans travail
  • La consigne vise une action type qui ne se présente jamais.
  • Faire face aux situations impose de redéfinir les objectifs en articulant les exigences
    • instrumentales : se débrouiller avec des moyens partiellement inadaptés
    • psychiques en lien avec sa propre sensibilité
    • sociales : décider de ce qui est juste
  • C’est le caractère inextricable des dimensions matérielles, psychiques et sociales.
  • Pour le salarié, c’est un arbitrage permanent entre :
    • le respect du prescrit (délais, procédures, .. et leurs contradictions) ;
    • le besoin d’apporter une contribution dans laquelle il soit possible de se reconnaître ;
    • l’articulation avec l’activité des collègues ;
    • La nécessité de préserver sa santé.

De fait, nous assistons à une montée des questions éthiques où les normes de gestion s’opposent à la qualité de la production et des services.

La qualité du travail est donc un enjeu pour les salariés parce qu’elle est constitutive de la santé des salariés : Pouvoir bien faire son travail, c’est pouvoir s’émanciper se reconnaître et être reconnu.

Au vu des pressions actuelles, bon nombre de salariés tente de se défendre individuellement.

  • Penser se protéger en respectant une fiche de poste sans plus… mais on assiste alors :
    • à l’épuisement émotionnel : on n’arrive pas à maintenir la qualité du service et on en rabat sur les normes et les valeurs
    • à la dépersonnalisation : désengagement douloureux. Défense: rendre responsable le destinataire : développement de conceptions péjoratives et d’attitudes cyniques.
    • Au déficit d’accomplissement : dynamique de dégradation de la situation. Perte de sens, fatigue, dégout.
    • Risque accru de désinsertion professionnelle et/ou familiale, de dépression ou de maladie physique.
    • Une ‟privatisation” de l’activité est un :
      • facteur de division entre salarié(e)s,
      • point d’appui pour leur mise en concurrence.
    • Une dévalorisation particulière du travail.
    • Un système générateur d’impuissance, de ressentiment et de dégradation de la santé.

Et puis une 2ème option portée par la CGT : reprendre la main sur les questions du travail !

  • Affronter les situations critiques.
  • Prendre en défaut l’organisation en pointant ses contradictions avec les réalités du travail et ses résultats.

Il s’agit alors d’une construction nécessaire d’un autre rapport aux situations du travail avec les premiers concernés : Les salariés !

  • Ce qui suppose la mise en discussion et l’élaboration collective des situations de travail, des perspectives et du pouvoir d’agir des salariés eux-mêmes.

Ceci étant dit, nous savons qu’il y a des obstacles inhérents aux organisations du travail actuelles (pas de rencontres collectives) qui empêchent les salariés à dire le travail.

  • « Au travail les gens ne disent pas ce qu’ils font
    et ne font pas ce qu’ils disent
    »

D’abord l’action n’est pas assujettie à la réflexion consciente :

  • En réalité :
    • des dimensions de la situation mobilisent la sensibilité.
    • les mémoires émotionnelles activent les dispositions à l’action acquises avec l’expérience, les savoir-faire, les habitudes, le style personnel.
    • les programmes moteurs sont déclenchés sans mobilisation de la réflexion consciente. (Celui qui pense la danse ne danse pas).
    • L’action est générée par son inconscient, par sa culture et son savoir dont il n’a pas lui même conscient, s’il n’est pas amené à l’exprimer.
    • C’est dans l’après-coup, dans le retour réflexif, que se manifestent la subjectivité, la responsabilité et le potentiel d’émancipation : « Qu’ai-je fait ? Ai-je bien fait ? ».
    • Ce retour réflexif passe par le langage. Il impose une prise de distance : Envisager l’action du point de vue d’autrui.
    • Il y a alors nécessité de la confrontation à l’expérience d’autrui. Car l’impensé, amène à la dévalorisation et à l’aliénation et les situations continueront d’être renvoyées à la sphère privée de chacun

Le syndicalisme a donc l’obligation de recréer des espaces de discussion :

  • D’abord en développant le travail d’investigation, d’enquête auprès des salariés
  • Analyser une phase critique. Que se passe-t-il ? Que font-ils ? Comment s’y prennent-ils ? Que s’efforce-t-ils de préserver ou de réaliser ? Qu’est-ce que ça donne ?
  • Se faire expliquer en détail.
  • Produire un récit.
  • Ni l’émotion brute, ni les valeurs générales, abstraites : Mais comment concrètement améliorer la situation ?
  • Enquêteurs comme salariés sortent enrichis d’une telle discussion.

Une deuxième étape consiste à mettre ce matériel au service de l’élaboration collective.

  • En réunion avec les salariés intéressés, à partir du récit validé, solliciter le récit d’expériences du même type de situation.
  • Valoriser les différences : si les salariés étaient d’accords entre eux, les choses ne seraient pas ce qu’elles sont.
  • Les différences d’approches permettent de repérer les différentes facettes de la situation.
  • S’expliquer en serrant au plus près les situations concrètes pour permettre de dissiper nombre de malentendus et d’incompréhension, d’enrichir la vision de chacun, de fabriquer du collectif.
  • Repérage des besoins auxquels l’organisation du travail ne permet pas d’apporter une réponse convenable et examen concret des options envisageables.
  • La discussion sur les transformations possibles permet de passer de ce que chacun tolère dans son activité à ce que l’on considère collectivement comme tolérable – ou non -, de ce dont chacun se satisfait à ce que l’on juge satisfaisant – ou non.
  • Compléter si possible par une approche quantitative (fréquence des situations critiques, données sur les conséquences). Enquêter en amont sur les déterminants de la situation. Solliciter la contribution active des salariés.

En d’autres termes, un processus qui vise à développer la capacité du personnel a affirmer, défendre, promouvoir ses propres normes de qualité.

Un dispositif syndical susceptible d’enrichir et de renforcer le pouvoir d’agir des salariés eux-mêmes :

  • qui prend essence sur un travail d’élaboration collective avec les salariés,
  • à partir de leur propre situation de travail, de ce qu’ils vivent,
  • qui part du micro vers le macro et non l’inverse.

 

Pour conclure et revenir sans doute plus en détail dans la discussion, je terminerai mon propos sur une citation de Simone Weil (*Philosophe, humaniste, écrivaine et militante politique française qui s’est entre autre engagée dans le mouvement ouvrier et aanalyser les questions du travail.)

 

« On dit souvent que la force est impuissante à dompter la pensée ; mais pour que ce soit vrai, il faut qu’il y ait pensée.

Là où les opinions irraisonnées tiennent lieu d’idées, la force peut tout. Il est bien injuste de dire par exemple que le fascisme anéantit la pensée libre ; en réalité, c’est l’absence de pensée libre qui rend possible d’imposée par la force des doctrines officielles totalement dépourvu de signification… »

Je crois que la situation actuelle illustre assez bien les enjeux du moment tant pour le syndicalisme que pour le politique. Le débat force la pensée et lorsqu’elle est partagée par le plus grand nombre elle devient une force incontournable.

L’enjeu pour le syndicalisme ne repose pas sur ce que l’on doit dire aux salariés, même si nous avons des choses à dire et qu’il faut les dire et en débattre, mais dans la perspective de travailler avec eux, pour faire avec eux !

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