Un article très pédagogique sur le COVID-19

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Jacques Haiech est militant au SNESUP FSU (enseignement supérieur). Il vient d’écrire un article très pédagogique sur ce qu’est la maladie COVID-19 et les moyens de la traiter. Mais il recommande aussi « l’interdisciplinarité » des recherches et « l’humilité » face à la nouveauté.

 

 

Réflexions sur le développement de thérapies pour combattre la pathologie COVID-19, par Jacques Haiech, 25 mars 2020

Publié le : 25/03/2020

Réflexions sur le développement de thérapies
pour combattre la pathologie COVID-19

par Jacques Haiech, professeur de biotechnologie,
membre de la Commission administrative du SNESUP-FSU

Conduire une stratégie pour développer une thérapie contre une maladie consiste à travailler en parallèle plusieurs axes de recherche et à les coordonner. Trois actions doivent être engagées :

  1. Décrire l’histoire naturelle de la pathologie [1]
  2. Comprendre le cycle viral (SRAS-Cov-2) et la pathologie (COVID-19) dans le cadre de nos connaissances ;
  3. Mettre en place les tests de mesure de biomarqueurs pour diagnostiquer la maladie et pronostiquer l’issue de la pathologie ;
  4. Développer un ensemble de thérapies qui visent à prévenir la maladie et/ou à bloquer l’évolution des différentes phases de la pathologie décrites dans son histoire naturelle.

En rester à une seule action sans prendre en compte les deux autres est voué à l’échec. A titre d’exemple, face à une forme de sélection (attaque par une thérapie antivirale)[2], le virus peut s’adapter et réorganiser son information génique pour échapper à la pression de sélection (apparition de nouvelles souches résistantes).

L’action doit être coordonnée. Elle signifie ceci : la mise en synergie de compétences et savoirs multiples (cliniciens, épidémiologistes/modélisateurs/virologistes/biologistes moléculaires/pharmacologues, cribleurs/chimistes médicinaux,  …). La pandémie nous met au défi de développer réellement l’interdisciplinarité et pas simplement d’en faire un objet de communication.

Dans tous les cas nous devons rester humbles. Ce que nous croyons savoir aujourd’hui peut se révéler erroné demain.

Que pouvons-nous dire sur l’histoire naturelle de la pathologie COVID-19 ?

La figure 1 décrit les différentes phases de la maladie.

Lorsque le virus est inhalé ou qu’il s’introduit dans notre organisme par la bouche, le nez ou les yeux, il va aller se loger dans différents organes et en particulier dans la partie basse des poumons.

Le virus pénètre dans les cellules pulmonaires, s’y multiplie et provoque la mort cellulaire pour aller investir d’autres cellules. Notre organisme réagit à cette attaque virale, un agresseur qu’il rencontre pour la première fois. Il déclenche alors une réponse défensive générale, un processus inflammatoire au niveau de l’organe attaqué, ici le poumon. Ce processus consiste à mobiliser des cellules spécifiques de notre organisme qui vont aller détruire les lieux où se trouve le virus. Imaginez que vous savez que des ennemis se cachent dans une forêt et vous envoyez des bombardiers détruire la forêt en espérant que les ennemis seront aussi détruits. C’est ce que fait notre organisme. Notre organisme met en place une défense graduée. C’est ce processus qui va générer les premiers symptômes (la fièvre est un indicateur de l’intensité de la bataille, la toux indique que la fonction de notre poumon est altérée …). Dans le cas où le virus est combattu efficacement par notre organisme, on peut ne pas s’apercevoir que l’on a été infecté : on est contagieux pendant quelques jours, pratiquement sans aucun symptôme.

Figure 1 : Différentes phases de la maladie d’après la publication du Lancet indiquées dans la figure de gauche. La colonne de droite indique les pourcentages approximatifs du devenir des personnes infectées par le coronavirus. Ces pourcentages sont données sous forme de fourchette qui vont s’affiner au fur et à mesure de la publication de données. Le pourcentage de décès est dépendant de la qualité du système de soin et du nombre de lits d’urgence présents sur un territoire donné.

Si la première attaque n’a pas été suffisante, notre organisme va intensifier ses moyens de défense. Mais on va alors commencer à détruire de plus en plus de tissus pulmonaires, on va avoir du mal à respirer, les symptômes vont s’intensifier (fièvre plus forte, quintes de toux) et d’autres symptômes apparaitront si le virus se loge dans d’autres organes ou tissus. Ceci pourrait expliquer la perte de l’odorat et la perte du goût. Cette deuxième attaque peut être suffisante. Il faut alors que notre organisme arrête sa défense, nettoie les tissus détruits et si possible les répare. On saura plus tard s’il nous reste des séquelles ou si notre organisme a pu réparer les dégâts.

Si ce deuxième niveau de défense ne suffit pas, notre organisme met en place son plan ultime, toutes les défenses sont mobilisées au risque de s’autodétruire. La destruction du poumon s’accélère. Le symptôme de détresse respiratoire aigu apparait. Notre organisme doit être aidé pour respirer. Il faut passer en réanimation. Cela peut suffire pour annihiler le virus, mais il faudra 2 à 4 semaines pour que notre organisme répare nos poumons.

Si notre organisme est déjà affaibli par d’autres maladies (comorbidité) ou si la quantité de virus dans nos cellules est trop grande, nous ne serons pas capables de récupérer même sous respirateur et le pronostic vital sera engagé.

La figure 1 donne une idée, pour l’instant approximative, du devenir d’une population de personnes infectées par le coronavirus. Le pourcentage de décès est variable dans un pays et un territoire donné car il dépend de plusieurs variables. Une variable importante est la qualité du système de santé et sa capacité à absorber sur un temps court l’arrivée d’un nombre important de patients.

Que pouvons-nous dire sur le virus ?

La figure 2 schématise les différentes étapes de la vie du virus appelé Sars-CoV-2 : la contamination, son arrivée dans les poumons, son entrée dans les cellules épithéliales pulmonaires et sa réplication.

Figure 2 : La vie du virus, de la contamination à la réplication.

Qu’elle présente des symptômes ou pas, une personne infectée, lorsqu’elle tousse ou qu’elle postillonne, génère des microgouttelettes de salives ou de mucus contenant le virus. Ces gouttelettes seront d’autant plus contaminantes qu’elles portent une grande quantité de virus. Leur pouvoir de contamination est donc fonction de la charge virale du porteur. Ces gouttelettes se dispersent dans l’air ambiant, plus ou moins loin en fonction de leur taille mais aussi des conditions environnementales et en plus ou moins grande concentration dans l’air ambiant (pièce confinée avec beaucoup de gens, brassage de l’air, …). Ces gouttelettes peuvent être respirées par une personne non infectée ou se déposer sur des surfaces sur lesquelles le virus peut survivre quelques heures ou plusieurs jours. Le fait de toucher ces surfaces et ensuite de porter la main à ses lèvres, son nez ou ses yeux peut entrainer aussi une contamination. On peut même supposer que ces gouttelettes entrent en contact avec des microparticules fines dans une atmosphère polluée, microparticules qui peuvent alors participer à la diffusion du virus.

Le virus a un tropisme pour les cellules pulmonaires. Il voyage dans les voies nasales et trachéo-bronchiques pour pénétrer profondément dans le poumon. Pour intégrer la cellule et l’utiliser afin de pouvoir se répliquer, il va reconnaitre une protéine membranaire (ACE2). Cette protéine est la porte

d’entrée du virus dans la cellule pulmonaire. Mais cela ne suffit pas. Il faut qu’une autre protéine membranaire TMPRSS2 interagisse avec la protéine S du virus pour rendre effective l’entrée du virus.

Ces protéines sont présentes dans les cellules humaines et sont importantes pour des fonctions normales de l’organisme. ACE2 est impliqué dans la régulation de la tension artérielle. La fonction de TMPRSS2 est moins connue.

Le virus entre dans la cellule hôte et utilise les dispositifs de la cellule ainsi que ses propres dispositifs codés dans son matériel génétique, pour se répliquer et se multiplier. Il sort alors de la cellule en induisant souvent la mort de la cellule infectée. C’est ce détournement des fonctions cellulaires normales et l’induction de la mort cellulaire qui vont déclencher des signaux de danger et induire un processus inflammatoire.

Quels sont les marqueurs pour diagnostiquer et pronostiquer ?

Si nous prenons en compte ces instantanés des connaissances (qui évoluent très vite, surtout si les chercheurs ont les financements nécessaires pour travailler), nous pouvons faire une liste de recommandations pour les tests permettant de détecter la pathologie COVID-19 et de pronostiquer le devenir des malades.

Nous aimerions disposer de trois familles de tests pour suivre les trois processus présentés dans la figure 1 :

  1. Des tests capables non seulement de détecter la présence ou l’absence du virus dans notre conduit nasopharyngé, mais aussi de définir la quantité totale de virus SRAS-cov2 dans notre organisme. Idéalement, le test qualitatif donnant une réponse contaminé/non contaminé, devrait être très peu onéreux et réalisable chez soi comme un test de grossesse. Le test quantitatif ne pourrait être réalisé qu’en laboratoire spécialisé, mais sous la condition que le test précédent a été positif. Des tests qualitatifs existent et sont en train d’être simplifiés. A ma connaissance, il n’existe pas encore de tests quantitatifs permettant de tester la quantité de virus dans des fluides corporels (sang, lymphe).
  2. Des tests permettant de suivre l’évolution du processus inflammatoire. Ces tests existent et il faut probablement les combiner pour suivre le processus inflammatoire dans le cas d’une infection par le SRAS-cov-2.
  3. Des tests permettant de suivre la détérioration des poumons et de la fonction respiratoire. Ces tests existent mais il faut définir quels sont ceux que l’on doit utiliser dans une approche bénéfice/coût.

Il semble que la Chine a utilisé ce type d’approches combinées pour diagnostiquer et suivre le développement de la pathologie COVID-19.

Ces tests constituent un défi industriel que la France est censée pouvoir relever. Il faut une coordination et une mise en synergie de différentes compétences.

Si nous disposions de ces tests, nous ne serions pas contraints de mettre en confinement toute la population. Nous aurions un système d’alerte efficace permettant d’éradiquer la pandémie dès son apparition et nous pourrions adapter les thérapies en fonction de l’évolution de la pathologie COVID-19.

Quels sont les thérapies possibles ? Faits, hypothèses et dangers.

En raisonnant à partir des connaissances schématisées dans la figure 2, les stratégies thérapeutiques vont avoir pour objet :

  1. De prévenir la contamination en empêchant la diffusion du virus par le port systématique des masques en période aigue de l’épidémie, par des tests systématiques afin de traiter le plus rapidement possible les personnes contaminées.
  2. D’empêcher l’entrée du virus dans la cellule hôte soit en interférant avec la protéine S du virus soit en interférant avec les protéines de l’hôte nécessaire pour l’entrée du virus (ACE2 et TMPRSS2). Pour éviter des effets secondaires, il serait plus judicieux d’interagir avec la protéine S du virus. Nous ne connaissons pas de médicaments existants interagissant avec cette molécule, mais les travaux sont probablement en cours. Par contre, nous connaissons des molécules qui interagissent avec ACE2 et surtout TMPRSS2. Encore faut-il les utiliser à bon escient car en interagissant avec ces molécules, on peut modifier leurs fonctions normales.
  3. D’empêcher la réplication du virus.
    1. On peut là aussi agir sur les éléments du virus nécessaires à sa réplication. Comme les différents coronavirus présentent de grandes similitudes fonctionnelles, on profite des recherches déjà entreprises sur les autres coronavirus et même les autres virus. C’est ce qui conduit à tester des molécules utilisées pour traiter la grippe, le virus Ebola ou même le VIH. On cherche aussi par des méthodes de criblage virtuel de rechercher des médicaments existants qui pourraient interagir avec les protéines du virus.
    2. On peut aussi perturber les systèmes de la cellule hôte qui sont nécessaires pour la réplication du virus. C’est probablement ce que fait la chloroquine et son dérivé l’hydroxychloroquine (action sur les endosomes [3] lors de la réplication du virus dans la figure 2). Toutefois en agissant sur les dispositifs de la cellule hôte, on n’est pas à l’abri d’effets secondaires importants, pas nécessairement chez l’individu sain mais chez l’individu malade dans certaines phases de la pathologie. Il apparait des cas cliniques où le traitement par la chloroquine utilisée dans les phases tardives de la maladie, conduit à des effets d’aggravation de la maladie. Cela pourrait être dû à une action anti-inflammatoire de la chloroquine en parallèle de sa possible action antivirale. Pour conjurer le risque d’un effet d’accroissement de la pathologie par la chloroquine, des essais cliniques sur des cohortes importantes de patients à différents stades de la pathologie doivent être absolument conduits.
  4. De diminuer le processus inflammatoire, surtout quand il s’emballe dans la phase tardive de la pathologie. C’est ce qui est en train d’être testé par l’utilisation d’interferon beta, une molécule qui est un modulateur de l’inflammation. Cette molécule ne peut être utilisée seule, mais en accompagnement d’un traitement permettant d’éradiquer le virus, ou au moins de diminuer la charge virale.

La compétition mondiale en cours, malheureusement conduite pour des raisons financières et politiques plutôt que strictement sanitaires, laisse espérer l’émergence de thérapies dans les 6 à 12 mois.

La voie vaccinale qui peut demander quelques mois de plus, a pour but de stimuler les défenses spécifiques de notre organisme en induisant des anticorps contre le virus ou plus spécifiquement la protéine S du virus. Nous n’avons pas encore toutes les connaissances pour être certains que cette induction est possible, qu’elle durera et n’induira pas une aggravation de la pathologie, un phénomène qui a été déjà observé pour certains types de vaccins antiviraux.

La gravité de la crise sanitaire en cours ne doit en aucun cas servir de prétexte pour négliger les règles et principes relatifs à l’intégrité scientifique dans les recherches, en particulier cliniques. L’urgence ne doit pas excuser des raccourcis qui pourraient déboucher sur une autre crise sanitaire, tout aussi dramatique.

Nous pouvons prévoir que nous aurons une nouvelle pandémie virale probable dans 5 ans (coronavirus, grippe ou autre virus). Espérons que nous saurons tirer les leçons de nos erreurs.


[1] :  https://www.afm-telethon.fr/glossaire/histoire-naturelle-maladie-2818 . Ce que les médecins appellent l’histoire naturelle d’une maladie est la description des différentes manifestations d’une maladie et de leur évolution au cours du temps en l’absence de tout traitement (médicaments, kinésithérapie, chirurgie…).

[2] : Quand nous utilisons un antibiotique à forte dose sur une population bactérienne, nous permettons aux bactéries résistantes à l’antibiotique de se développer au détriment des bactéries sensibles. Nous effectuons une sélection au sein de la population bactérienne. La même chose se produit avec une population de virus et l’utilisation de médicaments antiviraux. Il est plus efficace d’utiliser un cocktail de 2 ou 3 antiviraux. C’est le principe de la trithérapie pour le VIH.

[3] : Les endosomes sont des petits compartiments à l’intérieur de la cellule qui sont utilisés par le virus pour s’introduire et ensuite se répliquer dans la cellule hôte (https://fr.wikipedia.org/wiki/Endosome).

 

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