Une contribution au bilan de la mobilisation contre la loi Travail, par Laurent Degousée

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Laurent Degousée, co-délégué national de la fédération Sud commerce et services, a publié une brochure de bilan des mobilisations contre la loi Travail.  Extraits.

« Debout contre la loi travail et son monde » : le texte complet : Debout contre loi Travail LD

 

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Extraits :

« […VERS L’EPREUVE DE FORCE
Avec certainement plus d’un million de manifestants ce 31 mars et assurément au moins le double de ceux du 9 mars, le mouvement contre la loi Travail a passé un cap. Ni les prétendues concessions faites par le gouvernement le 14 mars dernier, ni le soutien devenu outrancier de la direction de la CFDT à ce dernier (la participation de dissidents de cette centrale dans les cortèges était d’ailleurs loin d’être anecdotique) n’auront suffit à marginaliser la contestation dudit projet de loi qui reste rejeté par sept Français sur dix.
À Matignon, on juge que le mouvement « est élevé mais on n’a pas non plus basculé dans un phénomène traduisant une mise en mouvement de toute la jeunesse et de tous les salariés » Ajoutons pas encore basculé car, contrairement aux réformes anti-ouvrières mises en œuvre par Hollande comme la mal nommée loi de sécurisation de l’emploi et celle portée par Macron, nous sommes bel et bien en face de la plus grande protestation contre sa politique économique et sociale depuis le début du quinquennat. Même François Fillon, inflexible face aux millions de manifestants contre la réforme des retraites de 2003 et 2010, dit qu’il vaut mieux arrêtez les frais !
Vers une crise majeure Au plus haut de l’État, la crainte d’une fin de mandat chaotique rend fébrile et on comprend mieux pourquoi El Khomri recevra finalement mercredi l’UNEF, soit le lendemain de la nouvelle journée d’action prévue dans les lycées et les universités, pour examiner certaines propositions du syndicat étudiant. Il est aussi clair dans toutes les têtes que si l’exécutif a finalement reculé sur la déchéance de nationalité et plus largement sur la révision constitutionnelle, on peut le contraindre à faire de même sur la loi Travail. Les ingrédients de la crise sont bien là. La plus vraisemblable est que la poursuite d’une contestation de haut niveau − le débat parlementaire démarre le 3 mai prochain, avant le traditionnel 1er mai qui tombe un dimanche cette année, et la bataille d’amendements s’y annonce rude − fasse exploser les contradictions sur le plan politique : au fur et à mesure des concessions accordées aux manifestants, la droite aura alors beau jeu de ne pas voter la loi comme elle n’irait plus assez loin à son goût tout comme les députés socialistes les plus à gauche qui se verraient rassenés dans leurs critiques. Dès lors, un nouveau recours au 49-3 n’est pas à exclure, qui ouvrirait la voie à une motion de censure votée y compris par une partie de la majorité et à la chute du gouvernement Valls. Alors même que ce dernier émettait l’hypothèse de sa démission début mars, ce serait en fait pour lui l’occasion de poursuivre sa carrière politique dans les habits du réformateur contrarié. Quant à Hollande, en parfait élève de Mitterrand, il est parfaitement capable d’opter pour la dissolution qui, avec le probable retour de la droite aux manettes suite aux élections législatives qui suivraient, constituerait pour lui une occasion unique de se relancer à un an de la présidentielle : vertige du pouvoir.
Construire le mouvement jusqu’au retrait total La crise, il faut surtout l’espérer sociale, y compris pour que les revendications basculent au-delà du seul retrait de la loi Travail qui n’en demeure pas moins un préalable : pour cela, la jeunesse doit clairement affirmer son rôle de locomotive du mouvement, à l’instar de son rôle lors de celui du CPE en 2006. N’étant pas assujettie sur le plan économique et en l’absence à ce jour de secteurs en grève reconductible (elle se fait y compris attendre chez les cheminots, en butte à une réforme de leur temps de travail analogue à celle de la loi Travail), c’est à une combinaison fine, en particulier sur le plan local où les organisations de jeunes ne sont pas toujours nécessairement coordonnées avec celles syndicales, qu’il faut travailler, alternant journées de mobilisation fortes et actions de blocages de l’appareil économique mais aussi de contrôle social. Selon Engels, « En dernière instance, l’État est une bande d’hommes armés » : les violences policières, dénoncées par la LDH, deviennent récurrentes et n’ont évidement rien à voir avec un quelconque maintien de l’ordre.  Les images qui circulent sur le net sont à cet égard confondantes et les rappels à la déontologie du ministre de l’Intérieur relèvent du vœu pieux. Le gouvernement, qui a passé une commande exceptionnelle de balles de Flash-Ball dénoncée par l’association des familles de mutilés par cette arme, est clairement dans une stratégie de la tension qui peut aboutir à un nouveau Rémi Fraisse : c’est pourquoi la question de mise en place de services d’ordre ne doit pas être l’apanage des centrales syndicales.

LES INDIGNES DE LA REPUBLIQUE

La radicalité, elle peut aussi être joyeuse comme celle de la Nuit Debout même si elle se heurte là aussi à l’intransigeance du pouvoir qui a évacué à deux reprises République, suite à l’installation d’un campement de fortune à l’issue de la manifestation du 31 mars, les occupants restés dormir sur place. L’occupation est stabilisée depuis dimanche où, après avoir subi une descente de fachos (la commission « accueil et sérénité » était heureusement là pour veiller au grain) puis une nouvelle manœuvre des les CRS : l’escouade, en nombre insuffisant, a finalement renoncé à chasser de nouveau au petit matin les nouveaux zadistes parisiens. Gageons aussi que l’interpellation d’Anne Hidalgo par ces derniers samedi soir, à l’occasion de la nuit des débats organisée par la ville, y aura contribué. Cette dynamique de convergence des luttes, lancée en parallèle de celle de la loi Travail et qui échappe pour le moment à la mainmise des organisations, a une forte similitude avec le mouvement espagnol des indignés (une de ses représentantes est d’ailleurs venu d’Espagne prodiguer leur savoir-faire). Deviendra-telle une agora permanente où se réfléchit non seulement l’après « loi travail » mais aussi une société débarrassée de l’exploitation ? C’est bien partir pour : avec le retour du beau temps, des milliers de personnes sont passées et des centaines ont participé à l’assemblée générale quotidienne qui rend compte, entre autres, du travail des différentes commissions mises en place pour faire vivre le lieu. Tous s’accorderont un répit ce lundi avant de reprendre l’occupation chaque soir puis de se réinstaller complètement après la manifestation du 9 avril prochain car comme le dit l’un d’entre eux, « Il ne faut pas défendre la place de la République, mais défendre notre place dans la République ». À votre tour, indignez-vous ! […]« 

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Et conclusion :

« LOI TRAVAIL : TOUS PERDANTS ?
Le Conseil constitutionnel, saisi par des parlementaires de l’opposition comme de la majorité, s’est prononcé le 4 août dernier sur la loi Travail comme suite à son adoption définitive. Il bride deux des rares dispositions favorables aux salariés que sont l’instauration d’une instance de représentation du personnel dans certains réseaux de franchises et la mise à disposition des locaux syndicaux par les collectivités territoriales.
Il annule par ailleurs trois cavaliers législatifs en faveur eux des employeurs dont la possibilité, pour les entreprise de moins de cinquante salariés, de provisionner les indemnités en vue de litiges prud’homaux. Plus encore, il ne trouve rien à redire sur l’adoption à la hussarde de la loi suite à l’emploi à trois reprises du 49-3 et la limitation du droit d’amendement des députés soumis à une procédure législative menée à marche forcée. De même, le Conseil, qui ne s’est pas saisi d’office des articles qui ne lui étaient pas déferrés, ne tranche pas sur le fond du texte. Il revient désormais aux organisations opposées à cette loi inique, qui seraient bien inspirées de mettre sur pied une force opérationnelle de juristes et d’avocats, de déposer des questions prioritaires de constitutionnalité comme les sages les invitent d’ailleurs à le faire : de quoi donner quelques sueurs froides au gouvernement qui pavoise sur une application rapide de la loi.
Victoire à la Pyrrhus

Avec sept français sur dix dont 85 % de jeunes qui restent opposés à la loi, il a clairement perdu la bataille de l’opinion. Pire, 55 % souhaite la reprise du mouvement à la rentrée ! Victime d’une impopularité record augmentée par les nouvelles attaques terroristes de cet été, c’est un exécutif à l’agonie − et un PS en phase terminale − qui pousse un certain Macron à s’émanciper. L’opposition est aussi à la peine : comment, en cas de probable alternance en 2017, imposer au corps social une thérapie sociale de choc sans avoir à affronter une rue prompte à s’enflammer ? Le FN, qui s’est fait discret lors du conflit, se prépare lui à engranger le vote des inévitables déçus et seul Mélenchon, à gauche, capitalise le souffle de la révolte.
Des syndicats mi-figue, mi-raisin

A l’aune du mot d’ordre de retrait du texte, on peut dire qu’ils ont perdu mais la CGT ne manque pas de brandir les concessions qui ont été obtenus en marge du conflit tels que le maintien du régime des heures supplémentaires pour les routiers, celui du statut SNCF ou des intermittents du spectacle. De son côté, FO peut se vanter d’avoir obtenu le maintien de la plupart des prérogatives des branches professionnelles et Solidaires aura réussi son apparition, tant dans les manifestations que sur les blocages : leur audience en sortira certainement grandie à l’occasion du scrutin TPE prévu en décembre prochain contrairement à celle de la CFDT qui soutient la loi avec ferveur. Le patronat lui rit jaune : il a certes obtenu l’inversion de la hiérarchie des normes qui fera flores dans d’autres domaines que le temps de travail à partir du 1er janvier 2019, date prévue pour l’entrée en vigueur du nouveau Code du travail, mais il devra composer, par exemple, avec le mandatement syndical dans les PME. N’attendons pas la rentrée pour préparer le 15 septembre, nouvelle date de mobilisation annoncée dès le 8 juillet dernier par l’intersyndicale, en vue désormais de l’abrogation de la loi Travail : pourquoi ne pas, comme le suggère Nuit Debout, rendre visite le 31 août prochain à l’université d’été du MEDEF en ayant à l’esprit ces lignes de Georges Sorel : « L e s o u v ri e r s n ’ o n t p a s d ’ a r g e n t, m a i s il s o n t à l e u r d i s p o s iti o n u n m o y e n d’action bien plus efficace ; ils peuvent faire peur. »« 

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