Une interview de la CGT Police Paris

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Nous reproduisons l’interview donnée par Anthony Caillé, secrétaire général de la CGT Police Paris, et membre de l’UD CGT 75, à la Lettre du Cercle Marc Peyrade N° 4. Il  décrit comment la police est de plus en plus dépendante de l’exécutif, comment les manifestations sont strictement encadrées par les préfets (aucune autonomie aux agents sur le terrain), ainsi que les dangers croissants de « privatisation » des missions régaliennes.

 

Accès à la publication : La lettre du CMP_004

 

Extraits :

« C’EST UNE VOLONTÉ ÉMANANT DU GOUVERNEMENT QUI S’EST EXPRIMÉE DANS L’UTILISATION DE LA FORCE PENDANT CES MANIFESTATIONS. CHAQUE FOIS, LE COMMANDEMENT D’UNE UNITÉ PRÉSENTE SUR LE TERRAIN PRENAIT SES ORDRES DIRECTEMENT DU PRÉFET PRÉSENT SUR LES LIEUX DE LA MANIFESTATION. »

 

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VOUS AVEZ DEMANDÉ LA CGT POLICE, NE VOUS INQUIÉTEZ PAS !

INTERVIEW D’ANTHONY CAILLÉ,

SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA CGT POLICE PARIS, MEMBRE DU BUREAU DE L’UNION DÉPARTEMENTALE CGT DE PARIS
Le Cercle Marc Peyrade : peut-on traiter des affaires de la Police indépendamment de la politique du gouvernement qui la dirige ?

Anthony Caillé : La Police, en effet, ne peut se dissocier du gouvernement en place. Elle n’agit ni n’intervient de façon indépendante de son ministère de tutelle, contrairement à la magis- trature. D’ailleurs c’est une préoccu- pation majeure de la CGT Police Paris. La Police fournit de moins en moins de travail au juge, parce que la procédure légale le contourne, tout simplement! Je te prends cet exemple précis : la procédure de flagrant délit se déroule de façon exclusive du juge, garant des libertés. Elle ne concerne que le policier qui a en charge l’enquête et le Parquet. Aucune juge ne met ses mains là-dedans. Il n’y a indépendance ni de la Police ni du Parquet à l’égard de l’autorité gouvernementale. Les temps de garde à vue ont été augmentés selon les affaires concernées, qu’il s’agisse de terrorisme, de bande organisée, de trafic de stupéfiant. Mais l’Officier de Police Judiciaire ne rend compte qu’à sa hiérarchie et au Parquet.

 

LCMP : Comment analyses-tu cette dérive ?

AC : La justification est évidente, le système en place veut éviter une procédure contradictoire, où le juge d’instruction peut instruire à charge et à décharge, il faut aller vite. Bien sûr, l’enquête de police doit en  principe     respecter cet état d’esprit. Mais dans la réalité, tout se polarise sur la recherche de la preuve.

La politique du chiffre, introduite ces dernières années, a accentué le phénomène. La procédure de flagrant délit court désormais après le score. De ce point de vue, l’Officier de Police Judiciaire détient un pouvoir consi- dérable, on le dit exorbitant du droit commun, plus que supplétif de celui du Parquet. D’oùmon appréciation sur le contournement du juge garant des libertés individuelles. Et aujourd’hui, le flagrant délit, par amour du chiffre, s’applique pour des automobilistes auteurs de délits, par exemple. Car la tendance est à la pénalisation des infractions au Code de la route. Un sentiment d’abattage naît de cette course au chiffre.

Je dois préciser quand même que dans la procédure de flagrance des garanties ont été données au moment de la garde à vue. La personne a le droit de garder le silence, elle peut s’assurer de la présence d’un avocat pendant les auditions, ou d’aviser un tiers. Ces mesures forment des contreparties qui prouvent que rien n’est joué définitivement. Ainsi, le juge des libertés et de la détention a été mis dans la boucle dans le cas des gardes à vue concernant leur prolongation pour des affaires de terrorisme et de trafic de stupéfiants ou des perquisitions hors les heures légales.

C’est bien au législateur d’intervenir dans ce cercle vicieux.

 

LCMP : L’intervention de la Police diffère de façon notable, quand elle se déroule dans les beaux quartiers ou dans les quartiers pauvres.

AC: Le comportement est très différent en raison des réactions de la population concernée. Riches et pauvres sont inégaux à bien des égards, et également devant la connaissance des droits du citoyen. Imagine que tu sortes d’une école de police sachant que tous les établissements sont en province. Tu as en moyenne 23 ans, tu viens d’avoir ton diplôme, mais tu ne vas pas du tout exercer cette qualification nationale de façon uniforme. Elle est surdéterminée par le lieu de ton affectation. Si c’est le commissariat du XVIIIe arrondissement de Paris, ou celui d’Aulnay-sous-Bois, le comportement du jeune fonction- naire va changer du tout au tout par rapport à celui qui évolue dans le XVIe arrondissement.

Lorsque j’étais affecté dans le XVIIIe, arrondissement au taux important de sans papier et d’immigrés, le nombre de garde à vue pouvait culmine jusqu’à 4 300 à l’année. Est-il utile de préciser que ces gardes à vue concernaient ces populations-là ?

Il convient d’ajouter à cette vision forte différente d’un quartier à l’autre la condamnation par le gouvernement de la Police dite de proximité. Ce retrait correspond exactement avec celui des services publics, bureaux de poste, de sécurité sociale. Et bien sûr le taux de chômage se concentre dans ces quartiers où l’on bat les records de gardes à vue.

LCMP : à propos du service public, peut-on à bon droit estimer qu’il existe un phénomène d’éclatement de la Police nationale ?

AC: A l’évidence… La Police municipale a été introduite par les édiles locaux au service des riches particuliers. Ce sont les Estrosi, Balkany, qui ont mis en place un dispositif sécuritaire qui est en rupture. Le pouvoir régalien de l’Etat disposait que la Police était une et indivisible. Aujourd’hui, avec les lois de décentralisation, existe un transfert généralisé de la charge de Police vers les unités municipales. Là aussi l’Etat se désengage.

Il ne s’agit pas d’un phénomène passager. Le transfert de compétence est en marche, et ce seront bientôt les municipaux qui détiendront les pouvoirs d’interpellation, de contrôle d’identité. L’intercommunalité a cette fonction de répercuter sur l’ensemble du territoire le transfert. Ainsi la Police municipale, ne rendant aucun compte ni à l’Etat ni au Parquet va tendre à devenir une force au service des riches commerçants, des associations puissantes dans les localités et les régions. Combien de fois la police municipale intervient jusque dans les lieux de délibération des mairies pour assurer l’ordre dicté par le maire ?

S’ajoute à cela la grande question de la sécurité privée. Les sociétés de vigiles et de gardiennage en tout genre se multiplient au point de compter 150 000 employés, contre

100 000 fonctionnaires de Police. Le gouvernement nous presse de nous recentrer « sur notre cœur de métier », et de délaisser gardes statiques, sorties d’écoles et patrouilles. Même la sécurité des ambassades, définie par les accords de Genève, est mise en cause. Regarde les aéroports: les agences privées depuis plus de 15 ans ont pris ce travail et conquis de véritables prérogatives exorbitantes: pouvoir de palpation, de fouille à corps, de bloquer l’accès au vol, etc. Ces tendances lourdes relèvent toutes de la privatisation de l’espace public, du retrait de l’Etat devant le marché.

 

LCMP : un mot sur la brutale unification des Renseignements Généraux (RG) avec la Direction de la Surveillance du Territoire (DST), désignée par beaucoup comme régression dans les capacités d’anticiper des actes terroristes…

AC : L’action menée par Sarkozy provient de cette propension à imiter le modèle américain. Il lui fallait sa NSA et sa CIA à la française. La DST était une petite direction tournée vers l’espionnage indus- triel, le terrorisme, sur le territoire voire en dehors. En revanche, les RG étaient un maillage territorial complet, chargé de se comporter comme un thermomètre social de tout le pays. Il lui était confié les informations générales concernant les associations, les partis, les syndicats, les cultes, le hooliganisme, etc. Les notes (blanches) de ce service, rédigées de façon fiable, parvenaient aux préfets qui faisaient suivre jusqu’au gouvernement.

Les RG ont été dépouillés jusqu’au moindre moyen de travail. La moitié des enquêteurs a été envoyée à cette nouvelle direction : la Direction Centrale du Renseignement Intérieur, devenue depuis Direction Générale du Renseignement Intérieur. Tout un savoir faire a été ramené à la consti- tution de ces fameuses fiches S, qui se multiplient sans appréciation sûre et fiable de leur constitution. D’où la priorité donnée aux réactions à chaud, au détriment de l’anticipation. Le fichage généralisé n’offre pas les appréciations requises. Aujourd’hui, le renseignement territorial (ex-RG) dépend des chefs de service des commissariats. Faut-il préciser que le travail fourni doit d’abord plaire à la hiérarchie locale, tributaire de la politique du chiffre ?

LCMP : Comment apprécier le traitement des manifestations ? La violence utilisée a opéré une rupture considérable avec les pratiques précédentes…

AC : La France était naguère élevée au rang de modèle européen dans ce qu’on appelle la pacification des manifestations. Les unités d’inter- vention se trouvaient à bonne distance des cortèges.

Dès l’instant où l’ordre est donné d’être au contact immédiat des cortèges, la rupture est introduite. Il s’agit de créer un rapport de domination, et de répandre un climat anxiogène. Les consignes très claires ont circulé en ce sens. Ce qu’il faut bien savoir, c’est qu’un agent de police judiciaire, ou un officier de police judiciaire, dans le contexte d’opérations de maintien de l’ordre, ne disposent plus d’aucune autonomie, ni même de sa qualité judiciaire. Ils ont même interdiction de prendre des initiatives. La chaîne de commandement remonte directement au préfet, qui, accom- pagné éventuellement du commis- saire de quartier, prend toutes   les décisions correspondant à tous les police de proximité, proche des besoins gestes requis. D’où cette appréciation réels des citoyens ordinaires. c’est une volonté émanant du gouvernement qui s’est exprimée dans l’utilisation de la force pendant ces manifestations. Chaque fois, le commandement d’une unité présente sur le terrain prenait ses ordres directement du préfet présent sur les lieux de la manifestation.
LCMP : Quelles revendications de la CGT Police Paris considères-tu comme essentielles ?

AC : Outre les revendications immédiates concernant les conditions matérielles de l’exercice de la fonction, ce que nous retenons comme principales sont les exigences concernant la conception globale de la Police. Pour nous, CGT Police Paris, combler le fossé qui se creuse entre police et population, revient à instaurer une police de proximité, proche des besoins réels des citoyens ordinaires. De plus, la Police Nationale doit recouvrer intégralement ses prérogatives d’exercer le pouvoir régalien de l’Etat. Les polices municipales tournent à la garde prétorienne des édiles locaux, les sociétés privées sortent globalement d’une définition républicaine de la sûreté nationale. Pour la CGT Police Paris, il paraît particulièrement important de rattacher les unités de Police judiciaire au Parquet et non plus au ministère de l’Intérieur. Considérons un instant l’exemple de la police financière. Combien de pressions sont exercées pour empêcher que des enquêtes arrivent à leur terme ? Il nous semble que la délinquance en col blanc, la délinquance financière, mérite un traitement par de services de police mis à l’abri des pressions particulières.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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