L’Ecole émancipée (EE), courant de pensée dans la FSU, a rendu public début février une contribution au bilan de la mobilisation de 2016 contre la loi Travail.
- Titre : « Réflexions et bilan »
- Extraits :
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Articulation des luttes
Le 9 mars, le mouvement est amorcé de façon conséquente. La CGT ne cesse de marteler l’importance du 31 mars comme date centrale de mobilisation, et concentre tous ses efforts sur cette échéance (la CGT est en congrès à cette période). Cela aura des conséquences importantes sur le 22 mars, décidé bien en amont par les fédérations de fonctionnaires, toutes unies pour une journée de grève sur les questions salariales. Ce 22 mars pose différents problèmes : pour les un-es, il pourrait affaiblir et faire contre-feu à la date centrale du 31 ; pour d’autres, dont la FSU, c’est le moyen, à travers une grève sectorielle, de toucher les agent-es et de les rallier à la mobilisation interpro. C’est aussi un moyen de « tenir » jusqu’au 31, avec une action « relais » qui entretiendrait un climat de mobilisation sociale. Cet appel à la grève, sectorielle mais ô combien légitime vu la situation salariale des fonctionnaires et la précarité de nombre d’agent-es, était nécessaire : elle aurait peut-être permis d’amorcer une mobilisation dans la fonction publique, et de jouer dès le début du mouvement la carte du « tou-tes ensemble, public et privé » qui n’a jamais vu le jour… Cette grève du 22 mars n’existera finalement pas, Solidaires et la CGT se retirant de l’appel.
Pendant tout le mouvement, cette question de l’articulation entre mobilisations sectorielles et action interpro va se poser : perçues auparavant comme alimentant les mobilisations interpro, les actions sectorielles sont vécues alors comme des concurrentes. Mais pour le 22, la raison profonde réside surtout ailleurs : la signature de PPCR par la CDFT, l’UNSA et la FSU a laissé des traces dans l’intersyndicale FP. Ravivée par l’appui de la CDFT au gouvernement lors de la loi Travail, cette fracture semble alors insurmontable aux orgas (CGT- Solidaires) qui ne peuvent faire grève avec la CFDT le 22 mars et la combattre le 31. Pourtant, dans la FP sur la question salariale, la plate-forme revendicative est partagée par toutes les orgas. Il aurait été bon de mener cette bataille, sans préjuger du positionnement de la CFDT et de l’UNSA, pour trois raisons : dans l’intérêt des salarié-es, évidemment, mais aussi pour associer CFDT et UNSA à ce bras de fer contre le gouvernement, (ce qui les aurait fragilisés en tant qu’allié-es sur le dossier interpro), et enfin pour imposer au gouvernement un recul qui aurait permis d’enclencher d’autres défaites, et donc de renforcer le rapport de forces contre la loi Travail.
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Les limites de ce mouvement
Il n’a pas entraîné la majeure partie de la population, ne s’est pas étendu, ni généralisé. Il a permis aux salarié-es du privé de renouer avec la mobilisation, ce qui n’est pas rien, mais il n’a pas touché toutes les formes de prolétariat, en a exclu notamment les franges les plus précarisées. Il n’a pas non plus entraîné la jeunesse, moteur qui aurait pourtant été déterminant. Il n’a pas réussi à concerner la FP. Pourquoi ?
Les fonctionnaires ont conscience que ce qui se joue pour le privé aura des retombées dans le public, ils-elles l’ont déjà vécu sur d’autres dossiers, les retraites notamment. Ils-elles savent aussi que leurs amis, leurs enfants sont concernés par ce dossier central du droit du travail, qu’il s’agit là d’un enjeu global de société. Il ne faut pas chercher le retrait des agent-es dans une moindre conscience ou un déficit d’information. La FP a connu de nombreux mouvements durant les 15 dernières années, elle a été très sollicitée à s’engager (2003 décentralisation et retraites, 2006 CPE, 2010 retraites, pour ne prendre que les mouvements les plus importants, et sans énumérer les luttes sectorielles) : aucune victoire au tableau, mis à part le CPE… Dans le même temps, la FP s’est vue laminée : suppressions de postes massives sous Sarkozy, attaques récurrentes contre le statut, gel des salaires, perte de sens des missions de service public, new management…. Le statut des fonctionnaires est présenté comme un privilège et tout est fait pour qu’ils-elles se voient en concurrence avec les salarié-es du privé. Même s’ils-elles soutiennent le mouvement, même s’ils-elles sont conscient-es qu’il s’agit là d’un enjeu de société qui les concerne donc eux-elles aussi, en fait, ils-elles se situent en extériorité. Leur mise en action n’a donc pas eu lieu : on peut penser qu’elle n’aurait pas été beaucoup plus massive avec une action volontariste de la part de la FSU et de ses syndicats. On peut cependant regretter la timidité globale de la fédération à outiller les personnels sur ce dossier et ses éventuelles retombées.
L’atout central
Ce mouvement a pourtant pour lui une intersyndicale unie, dans les modalités, le rythme et dans la durée. Et cette intersyndicale ne « trahit » pas, reste en accord avec la base. C’est une situation inédite dans un mouvement aussi long, et indéniablement un atout : ce mouvement suscite l’adhésion, même de ceux-celles qui n’y participent pas. Il est construit autour d’un mot d’ordre simple et unifiant (retrait), et un mot d’ordre « atteignable », qui fait penser qu’on peut gagner… Autre atout de taille : la complémentarité avec les Nuits debout : au soir du 31 mars, naissance de ce mouvement des places, qui va s’étendre très vite à la Province. Avec Nuit debout émerge le retour du débat public : la population reprend sa place dans la vie de la Cité, renoue avec une forme de démocratie qu’elle prétend réinventer. Il faut noter d’ailleurs que Nuit debout inquiète aussi le pouvoir : très politique, Nuit debout ratisse « large », aborde tous les sujets, réinvente la société, repense les règles de la démocratie, remet en cause toute forme de pouvoir vertical, et prétend traiter de l’écologie, de l’emploi, des migrants, de l’école, de la constitution…. au point qu’il est, au moins au départ, très réprimé : la police vide la place de la République avec violence, à plusieurs reprises…
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