Karel Yon : « …des potentialités d’action »

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Cette interview de Karel Yon, sociologue spécialisé sur les mouvements sociaux et le syndicalsme, est parue dans l’Humanité du vendredi 29 avril 2022. Il décrit un paysage syndical qui peut se nourrir des « potentialités » de luttes très diverses des dernières années : « le véritable enjeu pour les syndicats est de réussir à s’ouvrir à ces nouvelles formes de politisation du rapport au travail« . Il mise aussi sur « les convergences entre la CGT, Solidaires, la FSU et des associations comme Attac et Greenpeace« . 

 

« Il existe tout un réservoir de colères et de potentialités d’action »

Le sociologue Karel Yon décrypte la situation paradoxale entre une combativité grandissante et l’incapacité des confédérations à mobiliser massivement, tout en imaginant un horizon nouveau pour le syndicalisme.

Publié le vendredi 29 Avril 2022

Karel YonSociologue

Karel Yon Sociologue

Les manifestations du 1er Mai s’annoncent-elles comme le début d’un troisième tour social ?

C’est sans doute le souhait des organisations syndicales face à l’agenda néolibéral du président de la République. Il est possible qu’un 1er Mai massif s’organise pour marquer le coup contre l’extrême droite, dans la perspective des élections législatives. En revanche, je reste dubitatif sur la possibilité qu’une manifestation, même massive, débouche sur un troisième tour social. Les organisations syndicales sortent de cinq années de luttes défensives durant lesquelles elles ont essuyé un certain nombre de défaites. La seule victoire est celle de 2020 contre la réforme des retraites, mais elle est liée au contexte exceptionnel de la pandémie. Les syndicats ont été déstabilisés par la crise sanitaire, après avoir été fragilisés par les ordonnances Macron, qui ont réduit leurs moyens d’action, avec la perte d’un tiers de leurs mandats de représentation dans les entreprises. Par ailleurs, plusieurs congrès syndicaux s’ouvrent avec FO, la CFDT avant l’été, puis la CGT l’an prochain avec des divisions très fortes en interne. À cela s’ajoutent les élections professionnelles dans la fonction publique à la fin de l’année, qui vont exacerber la concurrence entre les syndicats.

Laurent Berger a demandé, dans une tribune, la convocation d’un « grand rendez-vous social » pour « coconstruire des décisions » avec Emmanuel Macron. La division syndicale pèse aussi sur la capacité à mobiliser…

La CFDT est la dernière sentinelle sociale-démocrate qui prône le dialogue social. Si une tribune similaire a été publiée en 2017, il existe cependant une vraie différence. Cette fois, Laurent Berger met en garde très clairement le président de la République, en affirmant que, s’il n’écoute pas les organisations syndicales, d’autres moyens d’action seront nécessaires. L’autre signal qui vient relativiser cette coupure entre deux grandes stratégies syndicales, c’est la signature de l’appel du 1er Mai par l’Unsa.

La situation est cependant très paradoxale. La colère est importante chez les salariés et nous observons un regain de combativité dans les entreprises sur la question des salaires. Ces éléments ne sont-ils pas des points d’appui au mouvement social ?

La situation est en effet assez contradictoire. Il y a les facteurs structurels évoqués, qui jouent en défaveur des syndicats, et puis il y a la conjoncture. La crise sanitaire d’abord, la poussée inflationniste ensuite ont rappelé le caractère essentiel des syndicats sur deux terrains très concrets pour les salariés : la santé et la sécurité au travail, et les salaires. Ils voient au travers de mobilisations ou de débrayages l’utilité directe du syndicalisme. C’est encore plus visible aux États-Unis, avec des victoires symboliques comme celles d’Amazon ou de Starbucks, qui témoignent de ce regain d’intérêt pour les syndicats. Et puis il y a aussi des colères qui sont des formes de politisation qui peuvent toucher le travail, comme avec la crise climatique. On voit tout un tas d’engagements se manifester dans les entreprises contre l’irresponsabilité sociale et environnementale des employeurs, qui sont autant de points d’appui à des engagements syndicaux ou à la constitution de collectifs de salariés dans les entreprises. Il existe aussi des mobilisations sur l’antiracisme ou le féminisme qui traversent les milieux de travail. En somme, on observe tout un réservoir de colères et de potentialités d’action, mais, pour faire mouvement, le véritable enjeu pour les syndicats est de réussir à s’ouvrir à ces nouvelles formes de politisation du rapport au travail.

Mais ces mouvements, comme on peut le voir avec les gilets jaunes, les luttes pour le climat ou les antivax, s’organisent en dehors du champ syndical…

Je mettrais de côté les antivax, mais ces nouvelles formes d’action et de protestation qui sont liées au travail ne rentrent pas dans le moule du syndicalisme classique. Elles se développent souvent dans des secteurs où les syndicats sont peu implantés. Ce qui n’enlève rien à la centralité du syndicalisme. Je pense qu’au contraire ça la renforce, en ce sens que ces luttes puisent dans l’imaginaire du syndicalisme, dans ses modes d’action pour revendiquer d’autres choix de société. Nous sommes en train de sortir d’un cycle de trente ans de dépolitisation du syndicalisme. La crise sanitaire, écologique, la guerre en Ukraine autant que la menace de l’extrême droite, la radicalisation du néolibéralisme poussent le mouvement syndical à remettre en question cette idée que, finalement, le syndicalisme ne pourrait tirer sa légitimité qu’en agissant dans le champ de la démocratie sociale, par le biais de la négociation collective, en restant à l’écart de toutes les questions politiques plus larges. Les convergences entre la CGT, Solidaires, la FSU et des associations comme Attac et Greenpeace autour d’un programme de transition écologique en donnent une bonne illustration. J’ai envie d’espérer que cela ouvre un nouvel horizon pour l’action syndicale qui contribue aussi à sa redynamisation.

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