Après la publication des réactions syndicales sur les résultats compilés de leur représentativité en 2025 (lire : http://syndicollectif.fr/?p=25839), nous publions une analyse de Jean-Marie Pernot, chercheur associé à l’IRES, spécialiste du syndicalisme.
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La représentativité des syndicats en 2025
Jean-Marie Pernot
Le Ministère du travail opère le recensement des élections professionnelles et publie tous les quatre ans une sommation des résultats de trois types de scrutins : les voix obtenues lors des élections aux CSE, les suffrages recueillis lors du scrutin national dit TPE, adressé aux travailleurs.euses des entreprises de moins de 10 salariés (ainsi, cette année, que des aides à domicile) ; enfin les suffrages tirés des élections aux chambres d’agriculture concernant la partie « salariés ».
Rappel : ce dispositif a été mis en place à la suite de la loi du 20 août 2008 qui réformait le mode de détermination de la représentativité des organisations syndicales. Pour être reconnue représentative dans une entreprise, un syndicat doit recueillir 10 % au moins des suffrages des salariés de l’entreprise ; le même seuil s’applique pour être reconnu représentatif dans une branche ; au niveau confédéral, il faut que la totalité des suffrages recueillis dans les trois dispositifs évoqués ci-dessus dépasse 8 % des suffrages exprimés. Ces résultats servent donc à dresser la liste des organisations habilitées à négocier aux niveaux concernés, en particulier celles considérées comme représentatives au plan interprofessionnel[1] ; ils servent aussi à calculer le niveau de représentativité obtenu par telle ou telle alliance en vue de la signature d’un accord.
Quatre tours d’élection ont eu lieu depuis le changement législatif ; on les désigne par l’année de la publication des résultats : 2013, 2017, 2021 et aujourd’hui 2025. Les deux dernières séquences ont été affectés par les réformes issues des ordonnances Macron (2017) qui ont créé le CSE en remplacement de l’ancien CE et qui ont, entre autres méfaits, supprimé les élections de délégués du personnel qui servait de substitut en l’absence de CE.
La fournée 2025 n’apporte guère de nouveauté. Les rapports de force entre les syndicats sont même d’une fixité impressionnante, seules quelques évolutions inscrites dans les tendances précédentes se donnent à voir. Après avoir fourni quelques données et surtout un rappel des données antérieures, on formulera quelques remarques ou hypothèses que des examens ultérieurs à des niveaux plus détaillés permettront de confirmer ou d’infirmer. Précisons cependant que nous ne disposons ici que de données concernant la métropole et pas encore non plus de données sur les secteurs professionnels qui seront communiquées plus tard.
Les rapports de force entre syndicats
C’est le point le plus observé par la presse et aussi par les centrales syndicales. Il est marqué par une stabilité relative et de faibles déplacements en ligne avec les tendances précédentes.
Au titre de la quasi-stabilité, on note le peu de variations des scores : CFE-CGC et Unsa ont l’évolution la plus importante, un point et demi pour la première, autour d’un point pour la seconde ; le reste s’apprécie au-delà de la virgule, entre une faible baisse (CFDT, 2 dixièmes de points) ou faible hausse (Solidaires, 1 dixième de point) ; un peu plus élevé, FO perd 3 dixièmes de point et la CGT 7 dixième. Ces faibles mouvements sont cependant inscrits dans les tendances antérieures, c’est-à-dire que la part relative des « grandes » (CGT, CFDT, FO) baisse (elles représentent en cumulé 63,7 % des suffrages au cours du dernier cycle) alors que la part relative des « petites » (CFTC, CFE-CGC, Unsa, Solidaires) tend à monter, ce qui ressert les écarts. Cette tendance est à l’œuvre depuis le premier cycle de la nouvelle représentativité.
Pourcentages relatifs des organisations syndicales, évolution 2013-2025, en %
2013 | 2017 | 2021 | 2025 | |
CGT | 26,77 | 24,85 | 22,96 | 22,21 |
CFDT | 26 | 26,37 | 26,77 | 26,58 |
FO | 15,94 | 15,59 | 15,24 | 14,91 |
CFTC | 9,3 | 9,49 | 9,5 | 9,58 |
CFE-CGC | 9,43 | 10,67 | 11,92 | 12,95 |
Unsa | 4,26 | 5,35 | 5,99 | 6,45 |
Solidaires | 3,47 | 3,46 | 3,68 | 3,75 |
Autres | 4,4 | 3,99 | 3,81 | 3,57 |
Poids relatif des « grandes » et des « petites organisations », évolution 2013-2025, en %
Grandes = CFDT + CGT + FO ; Petites = CFTC + CFE-CGC + Unsa + Solidaires
2013 | 2017 | 2021 | 2025 | |
Part des grandes organisations | 68,71 | 66,81 | 64,97 | 63,7 |
Part des petites organisations | 26,46 | 28,97 | 31,09 | 32,73 |
Il convient cependant d’inscrire ces pourcentages dans la réalité du nombre de voix obtenues, plus éclairant en longue période sur ce qu’on peut apprendre d’un tel scrutin.
Les suffrages recueillis par les syndicats, en nombre de voix[2]
2013 | 2017 | 2021 | 2025 | |
CGT | 1 355 927 | 1 302 775 | 1 151 897 | 1 086 341 |
CFDT | 1 317 111 | 1 382 610 | 1 343 055 | 1 300 087 |
FO | 807 434 | 817 403 | 764 329 | 729 281 |
CFTC | 470 824 | 497 572 | 476 564 | 468 340 |
CFE-CGC | 477 459 | 559 441 | 597 777 | 633 413 |
Unsa | 215 696 | 280 507 | 300 391 | 315 483 |
Solidaires | 175 557 | 181 412 | 184 513 | 183 440 |
Autres | 217 918 | 209 226 | 190 896 | 174 616 |
La progression de la CFE-CGC était attendue, elle traduit le poids croissant des ingénieurs cadres et techniciens dans les entreprises en général et dans les grandes entreprises industrielles en particulier où la plus grande part du travail ouvrier est désormais externalisé ou sous-traité, souvent dans des entreprises plus petites, dépourvues de représentation syndicale. Cette croissance n’est pas toutefois un raz de marée : il convient de rappeler que le vote CFE-CGC dans la seule catégorie de l’encadrement est certes en croissance depuis le début de la mesure mais ne renverse pas la table.
2013 | 2017 | 2021 | 2025 | |
Vote CFE-CGC dans le seul collège encadrement | 18,14 | 19,39 | 20,71 | 21,75 |
La CFDT a quelques raisons de rappeler qu’elle recueille 27,5 % des suffrages de la catégorie en 2024, ce qui la place assez loin devant l’ainsi nommée « Confédération de l’encadrement ».
Peut-on tirer beaucoup d’enseignements sur la dynamique syndicale ?
Rappelons qu’il ne s’agit ici que de la représentativité dans le secteur concurrentiel et que ces indicateurs ne prennent pas en compte les quelques cinq millions d’agents publics, de l’État, du système de santé ou des collectivités territoriales. On peut néanmoins tenter de réfléchir à la situation de cet immense champ que représentent les 19,2 millions de salariés dans l’ensemble du pays.
On remarque d’abord une diminution constante de la participation électorale.
La participation électorale (en %)
2013 | 2017 | 2021 | 2025 | |
Taux de participation | 42,80% | 39,59 | 38,24 | 36,5 |
La participation a toutefois un peu progressé dans la partie « CSE » où elle passe de 57,7% pour le cycle 2021 (celui de la mise en place des CSE) à 58,8% dans celui-ci. La participation recule au global en raison d’une nouvelle baisse de la participation dans le scrutin TPE tenu en décembre 2024.
L’élection TPE de décembre 2024
2012 | 2017 | 2021 | 2024 | |
Inscrits | 4 614 653 | 4 502 621 | 4 888 296 | 5 380 351 |
Votants | 478 866 | 330 928 | 265 762 | 218 926 |
Participation | 10,38% | 7,35% | 5,44% | 4,07% |
Les causes générales de ces reculs sont bien connues : beaucoup sont dans les dynamiques de redéploiement du salariat, dans les phénomènes d’externalisation et de sous-traitance. Mais il existe aussi des facteurs jouant dans l’autre sens : la tendance à l’appartenance des entreprises à un groupe favorise la participation : la légère remontée de la participation électorale dans le champ des CSE peut relever de cela. Mais les lois issues des ordonnances de 2017 ont créé des vides dans la présence syndicale qui ont des effets contraires.
La CFDT ne semble pas retirer de gain électoral de sa présence active dans le conflit des retraites, malgré la grande visibilité de son leader (Laurent Berger). Elle a adopté depuis deux ou trois ans un profil plus revendicatif, elle est davantage présente dans les conflits d’entreprise, elle paraît plus soucieuse d’unité syndicale même si elle ne renonce pas à ce qu’elle appelle son pragmatisme, comme on l’a vu sur les retraites. Elle est en tous les cas une composante majeure du syndicalisme dans le secteur concurrentiel et son avance sur la CGT tend à s’accentuer.
Force ouvrière reste d’une stabilité de granit et la CFTC recueille un nombre de voix équivalent lors de toutes les séquences. On pourrait presque croire que ce sont les mêmes qui votent d’un scrutin à l’autre, ce qui est naturellement inexact puisque le corps électoral s’est considérablement renouvelé depuis 2012 !
Il convient également de relever le recul (ou la stagnation) des organisations les plus en pointe dans le syndicalisme de lutte ou, pour faire vite, les plus ouvertes aux perspectives d’émancipation. Solidaires ne parvient pas à franchir la barre des 4% reflétant la faiblesse persistante de son implantation (seuls 18 % des travailleurs.euses avaient la possibilité de voter pour une organisation de Solidaires au cours du dernier cycle). La CGT poursuit un effritement sensible mais dont on pouvait attendre un recul plus grand encore. En effet, les élections dans les grandes entreprises du secteur public (EDF, SNCF, La Poste) avaient enregistré au cours de la période récente des pertes de plusieurs points qui laissaient craindre un affaissement plus important du score global de la CGT. Une étude par secteur d’activité pourra sans doute permettre de mieux comprendre les effets de compensations partielles qui ont pu jouer en sa faveur, par exemple une amélioration de son implantation ? Car il faut le répéter, le scrutin de représentativité sanctionne peut-être le regard que portent les travailleurs.euses sur les syndicats mais il est surtout le reflet de leur implantation : pour faire des voix, il faut être là et déposer des listes. Pour en faire davantage encore, il faut des pratiques de proximité, d’action revendicative, etc. Mais d’abord être présent : la CFDT tire avantage d’une meilleure organisation qui lui permet de disposer de plus d’implantations dans le secteur privé que la CGT. C’est pourquoi les enjeux de structuration ont une telle importance.
Beaucoup dans les rangs de la CGT doivent se dire que « ça aurait pu être pire ». On s’interroge encore cependant sur les annonces triomphalistes après l’élection TPE qui ont produit un résultat en pourcentage assez flatteur pour la CGT mais qui représentait en fait un nombre de voix assez catastrophique, 219 000 votants pour près de 5,4 millions de travailleurs.euses !
Les scores à l’élection TPE de 2024, en pourcentage
2012 | 2016 | 2020 | 2024 | ||||
CGT | 29,54 | 25,12 | 26,31 | 27,64 | |||
CFDT | 19,26 | 15,49 | 16,46 | 14,86 | |||
FO | 15,25 | 13,01 | 13,84 | 11,69 | |||
CFTC | 6,53 | 7,44 | 5,9 | 8,29 | |||
CFE-CGC | 2,32 | 3,338 | 3,95 | 4,1 | |||
Unsa | 7,35 | 12,49 | 15,89 | 14,38 | |||
Solidaires | 4,75 | 3,5 | 4,27 | 5,34 | |||
|
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Les scores à l’élection TPE 2024, en nombre de voix
2013 | 2017 | 2021 | 2024 | |
CGT | 136 033 | 81 286 | 67 634 | 58 001 |
CFDT | 88 699 | 50 122 | 42 309 | 31 174 |
FO | 70 231 | 42 117 | 35 583 | 24 623 |
CFTC | 30 074 | 24 082 | 15 160 | 17 386 |
CFE-CGC | 10 697 | 10 928 | 9 907 | 8 603 |
Unsa | 33 864 | 40 429 | 40 845 | 30 175 |
Solidaires | 21 885 | 11 324 | 10 973 | 11 215 |
Et alors, l’effet « mobilisation sur les retraites » ?
Le mouvement de protestation contre la réforme des retraites en 2023 a produit, selon les organisations syndicales, un regain de syndicalisation qui n’était pas annoncé comme une déferlante mais comme la preuve d’un gain de légitimité accrue pour le mouvement syndical. Ceci n’est certainement pas faux mais ne semble pas s’être traduit dans les urnes. Il faut rappeler que le mouvement est survenu à la moitié du cycle, il n’aurait pu avoir d’incidence que sur les scrutins de fin de période, entre fin 2023 et fin 2024. Le scrutin TPE de décembre 2024 ne montre pas toutefois d’effet mobilisateur attribuable à la mobilisation, c’est le moins qu’on puisse dire.
Le plus probable est que le lien n’a pas été vraiment ressenti entre une mobilisation globale contre une mesure inique (le report à 64 ans de l’âge légal pour la retraite) et l’appel à un vote de départage local entre les organisations. Le scrutin TPE n’a pas d’enjeu, si ce n’est de déterminer la composition de commissions paritaires au niveau des régions (et de désigner des conseillers prud’hommes), c’est-à-dire des instances éloignées et sans grand pouvoir. Donner un bon point à tel ou tel sigle est dès lors considéré comme dépourvu d’intérêt. C’est un peu différent dans le vote CSE mais les enjeux locaux et l’image des syndicats de l’entreprise, voire de leurs animateurs.trices jouent sans doute davantage dans le vote que les enjeux nationaux. L’appréciation des syndicats se jouent sur deux registres séparés et qui ne communiquent pas vraiment.
L’image produite par le scrutin reste toutefois celle d’un syndicalisme en recul (participation) avec des correctifs internes qui accroissent la fragmentation. Près de 5,4 millions de travailleurs.euses des PME sont en quasi-déshérence syndicale alors qu’ils représentent un gros quart des salariés. En revanche, le regain de participation là où existent des CSE montre que là où les syndicats sont présents et actifs, ils peuvent regagner de la confiance, au moins reconstituer un électorat. Le processus de désaffiliation sociale, largement en cours depuis 20 à 30 ans, notamment parmi les travailleurs les plus exposés au travail dévalorisé, n’en a pas fini de produire de la distance aux sociabilités en milieux de travail. Le syndicalisme n’a pas de remède miracle à ce processus dont les effets sur le champ politique sont également ravageurs. Et l’avenir proche n’est guère encourageant.
S’implanter mieux et davantage, sortir de ce qui reste de ses bastions pour ratisser plus largement, c’est plus facile à dire qu’à faire. Ce qui est plus à portée, c’est de resserrer les rangs, jouer un peu moins avec la corde identitaire, redonner un peu d’envie en cessant de privilégier ce qui divise par rapport à ce qui rassemble. Le moment de l’annonce des résultats n’est jamais celui où on se posent les bonnes questions. Espérons qu’il laissera la place aux constats lucides et aux réponses communes.
14 avril 2025.
[1] Ce qui n’a pas empêché le gouvernement de convier l’UNSA au fameux « conclave « sur les retraites alors que cette organisation n’est pas légalement considérée comme représentative. L’État de droit, c’est bon pour les p’tits gars de banlieue, le gouvernement lui, il fait ce qu’il veut.
[2] On a dû recalculer (à quelques approximations près) le nombre de voix de certaines organisations qui n’ont pas publié elles-mêmes le nombre de leurs suffrages sur leur site alors que le Ministère du travail n’a pas cru devoir publier le nombre de voix par OS et pas non plus, comme à l’habitude, le nombre d’inscrits et de votants.