COVID et syndicalisation aux USA

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C’est inattendu (du moins en Europe): le COVID-19 suscite un regain d’adhésion à la syndicalisation aux Etats-Unis. Cet article est paru dans Médiapart.

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Le Covid-19 va-t-il susciter une vague de syndicalisation?

Par Steven Greenhouse

Aux États-Unis, le taux d’approbation des syndicats par le public a quasiment atteint son plus haut niveau en cinquante ans. Les travailleurs sont furieux du traitement insensible qu’ils ont reçu sur leurs lieux de travail durant la pandémie.

 

À la mi-mars, quelqu’un m’a demandé si le Covid-19 allait susciter une vague de syndicalisation. Ma première réaction a été négative. Comment les travailleurs pourraient-ils se syndiquer, alors qu’il y a toute cette distanciation physique et que les gens ne peuvent même pas se réunir en groupe ? De plus, je pensais que les travailleurs seraient tellement effrayés par les horreurs de la pandémie qu’ils ne penseraient pas à se syndiquer.

Cette réaction était peu clairvoyante. Je n’avais pas réalisé à quel point de nombreux travailleurs seraient furieux de la manière insensible, voire impitoyable, avec laquelle leurs entreprises les ont traités pendant cette crise.

De nombreux employeurs n’ont pas levé le petit doigt pour fournir des masques ou du désinfectant pour les mains. Beaucoup de ces travailleurs furieux ont reconnu que le moyen le plus sûr d’obtenir de leurs employeurs la protection dont ils avaient besoin était l’action collective.

Nous avons observé ce genre d’action chez Amazon, McDonald’s, Domino’s, Instacart, Perdue Farms, Whole Foods, et dans de petites épiceries comme MOM’s Organic Market à Philadelphie. De nombreux travailleurs ont intégré la distanciation physique dans leurs combats : ils se tenaient à un mètre de distance lorsqu’ils manifestaient sur leur lieu de travail ou utilisaient des voitures pour bloquer le drive-in de leur McDonald’s.

Manifestation en mai devant un entrepôt d'Amazon près de New York pour dénoncer les conditions sanitaires. © Stephanie Keith/Getty Images North America/AFP Manifestation en mai devant un entrepôt d’Amazon près de New York pour dénoncer les conditions sanitaires. © Stephanie Keith/Getty Images North America/AFP

Beaucoup de ces travailleurs voteraient sans doute pour rejoindre un syndicat demain s’ils le pouvaient (même si le National Labor Relations Board [Conseil national des relations du travail – ndlr] antisyndical de Trump a temporairement suspendu toutes les élections des syndicats, fin mars).

Mais on ignore toutefois si toute la colère et l’activisme inspirés par la crise liée au coronavirus vont se traduire par une augmentation du nombre de syndiqués. La raison principale pour laquelle ce ne serait pas le cas est ancienne : lors des élections de syndicalisation aux États-Unis, les règles du jeu penchent fortement en faveur des entreprises et contre les travailleurs qui cherchent à s’organiser.

Dans une étude, Kate Bronfenbrenner, de l’université Cornell, a découvert que les entreprises utilisent souvent des tactiques d’intimidation pour contrecarrer les campagnes de syndicalisation. Dans son analyse qui portait sur les élections de syndicalisation supervisées par le NLRB entre 1999 et 2003, 57 % des entreprises ont menacé de fermer leurs portes si les travailleurs votaient pour se syndiquer, tandis que 47 % ont déclaré qu’elles réduiraient les salaires ou les avantages.

Mme Bronfenbrenner a également constaté que 34 % des entreprises ont licencié illégalement des partisans du syndicat, 28 % ont tenté d’infiltrer illégalement le comité d’organisation du syndicat et 22 % ont utilisé illégalement des « pots-de-vin et des avantages spéciaux » pour encourager les travailleurs à voter contre le syndicat. Une autre étude sur les élections de 2016 et 2017 a révélé que les entreprises ont licencié près d’un travailleur de base sur cinq qui avaient mené des campagnes de syndicalisation.

L’inclinaison conservatrice du pouvoir judiciaire fédéral rend la syndicalisation encore plus difficile.

Non seulement les employeurs exigent souvent que les travailleurs entendent des consultants antisyndicaux et regardent des vidéos antisyndicales, mais ils ont également le droit d’interdire aux organisateurs syndicaux de mettre le pied sur le terrain de l’entreprise, grâce à un arrêt de la Cour suprême de 1992 qui a exalté les droits de propriété privée bien au-delà des droits et des préoccupations des travailleurs.

En vertu de cet arrêt, les employeurs peuvent même interdire aux organisateurs de mettre des tracts sur les pare-brise des parkings des employés.

Pendant la pandémie, de nombreux employeurs restent plus agressifs que jamais dans la lutte contre les syndicats. Amazon semble avoir fait tout son possible pour signaler qu’il ne tolérera pas les efforts de syndicalisation. L’entreprise a licencié Christian Smalls, le fer de lance d’une grève des employés de son entrepôt de Staten Island qui estimaient qu’Amazon faisait bien trop peu pour les protéger du virus.

Amazon a également licencié Bashir Mohamed, le principal militant ouvrier d’un entrepôt du Minnesota, ainsi que deux employés techniques de Seattle qui militaient ouvertement en faveur du climat et avaient critiqué les conditions de sécurité dans les entrepôts.

Whole Foods, une filiale d’Amazon, a créé une carte thermique qui utilise vingt-cinq paramètres, dont les niveaux de diversité et le nombre de plaintes concernant la sécurité, pour savoir quels sont les magasins les plus exposés au risque d’activité syndicale.

Le 31 mars, le PDG de Trader Joe’s a envoyé une lettre antisyndicale à tous les employés, tandis qu’un employé de Trader Joe’s à Louisville a déclaré que l’entreprise l’avait licencié pour avoir exprimé des préoccupations en matière de sécurité concernant le Covid-19 sur sa page Facebook.

Tout cela s’est produit après que Google a licencié quatre dirigeants syndicaux qui faisaient la promotion de l’action collective et après que le chouchou de la technologie, Kickstarter, a soudainement licencié plusieurs membres de son comité d’organisation syndical (Kickstarter a déclaré qu’ils n’avaient pas été licenciés en raison de leur soutien à un syndicat).

Les perspectives de syndicalisation ne sont pas si sombres. L’explosion des débrayages et des arrêts de travail liés à la crise du coronavirus survient après la plus grande vague de grèves depuis les années 1980 : les grèves #RedForEd de 2018-2019, ainsi que des arrêts de travail majeurs chez General Motors, Marriott et Stop & Shop.

Le taux d’approbation des syndicats par le public a quasiment atteint son plus haut niveau en cinquante ans. Il y a également eu une vague de syndicalisation parmi les professeurs adjoints, les étudiants diplômés, les journalistes de la presse écrite et numérique, les employés des musées, les infirmiers, les travailleurs des magasins de cannabis et les employés des organisations à but non lucratif.

Un autre développement bienvenu pour le monde du travail est que les candidats démocrates à la présidence ont présenté, cette année, les plans les plus ambitieux pour reconstruire les syndicats depuis des décennies, mettant peut-être fin à une longue période pendant laquelle le parti a considéré le travail comme allant de soi.

Les candidats démocrates se sont succédé et ont semblé réaliser (ou agir comme s’ils venaient de réaliser) que si la stagnation des salaires doit prendre fin, si l’inégalité des revenus doit être réduite, si les démocrates doivent reconquérir le Michigan, la Pennsylvanie et le Wisconsin, il sera alors vital de renforcer le mouvement syndical.

Il est difficile de savoir si le candidat présumé Joe Biden pense ce qu’il dit à propos de la lutte acharnée pour reconstruire les syndicats ; une chose est sûre, les travailleurs bénéficieraient d’une majorité démocrate au NLRB, qui vient avec le contrôle de la Maison Blanche.

Dans une vidéo d’un débrayage dans un entrepôt d’Amazon à Chicago, une travailleuse courageuse a déclaré : « Il ne s’agit pas d’employés paresseux d’Amazon. Nous voulons travailler. Nous voulons travailler dans des installations propres. Nous voulons travailler dans un endroit sûr, où nos enfants et nos familles seront en sécurité. Comment pouvons-nous être des travailleurs essentiels, alors que nos vies ne sont pas essentielles ? »

Elle a exprimé un point crucial : dans une société où les entreprises s’efforcent sans relâche de maximiser les profits et la productivité, l’action collective est de loin le moyen le plus efficace pour les travailleurs d’amener les employeurs à répondre à leurs besoins impérieux.

La plupart des dirigeants d’entreprise ne se soucient guère de savoir si leurs employés ont voix au chapitre au travail. C’est aux travailleurs du pays de faire entendre leur voix auprès de leurs employeurs, haut et fort. Il n’y a pas de moment plus urgent pour le faire qu’au cours d’une pandémie épouvantable où de nombreux travailleurs sont morts parce que leurs entreprises n’ont pas pris les précautions de sécurité adéquates.

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