Le Global Labour Institute (GLI) organisait en France avec ses partenaires syndicaux et associatifs une deuxième Université syndicale pendant trois jours. Nous y avons participé une journée et rendons compte ici de deux expériences passionnantes : la campagne pour les 15 dollars de l’heure aux Etats-Unis chez Mc Donald’s et dans le monde, et la construction d’un syndicat de base chez Amazon en Pologne (« Initiative des travailleurs« , 700 syndiqué-es), ainsi que la préparation d’une grève précédée d’un référendum : il faut obtenir au moins 50% de votes favorables.
- Télécharger le programme des trois journées avec les syndicats présents : Programme-GLI-2019-format-A4
(Prise de notes : Jean-Claude Mamet)
La bataille pour les 15 dollars de l’heure aux USA
Nick Allen est représentant international du Syndicat international des employés de services (SEIU) aux Etats-Unis et Canada, organisant deux millions de personnes (syndicat né en 1921 à Chicago). Il explique la campagne menée contre le géant Mac Donald’s depuis des années pour arracher un salaire de 15 dollars de l’heure, action qui connait un succès grandissant, utilisant des méthodes non traditionnelles dans le syndicalisme états-unien.
Cette action part d’un constat de crise syndicale aux USA (comme partout) avec même un « risque d’extinction ». La majorité des travailleurs n’ont aucun droit syndical ni de droit du travail. En 2012, commence une tentative pour changer cela dans les fast-foods, donc parmi les travailleurs-euses du « bas de l’échelle ». Aucune organisation n’y existe. Il est alors expérimenté d’entrer en partenariat avec les organisations « communautaires » pour lancer un mouvement social « sans passer par le chemin normal » des règles US, à savoir des élections très difficiles dans chaque entreprise pour légitimer une représentation syndicale. Il est donc envisagé de lancer d’emblée un mouvement de « grève sauvage » pour les salaires.
Apparemment, l’initiative parait très audacieuse, voire « folle » ! Elle se répand cependant dans 200 fast-foods de New-York avec une assemblée collective pour décider à combien doit être fixé le salaire minimum pour vivre. C’est alors que l’assemblée fixe le montant à 15 dollars, soit deux fois le SMIC officiel. Cette décision se fait très empiriquement parmi les présents : il n’y a rien de « scientifique » dans ce chiffre. Certains proposent plus, d’autres moins et le consensus s’établit à 15 dollars. Il est également demandé l’obtention de droits syndicaux.
En novembre 2012, deux cents restaurants sont en grève. A la grande surprise des syndicalistes du SEIU, les médias « se ruent » sur l’évènement. Logiquement ou habituellement, il ne se passe rien. Mais la manière inédite de lancer cette grève attire. Comme le dit Nick Allen, « il y a un appétit énorme » pour cette action, qui se répand aux Etats-Unis. On passe de 6 ou 7 villes en lutte à plus de 100 en un an. En suivant la méthode dite de l’ « organizing » pour renforcer les syndicats : demander aux salarié-es un par un s’ils veulent faire grève. Et cela fonctionne.
En trois ou quatre ans, de grosses augmentations de salaires sont concédées par Mac Donald’s, et même par Amazon aux USA, par peur de la contagion. La revendication est « reprise » par les élu-es et maires démocrates (souvent soutenus par SEIU), qui parviennent à imposer dans des états le SMIC à 15 dollars (exemple : Californie). En cinq ans, le SMIC a été multiplié par deux pour 20 millions de travailleurs-euses. Par contre, rien n’est obtenu en matière de droit syndical : refus total.
Ce qui fait dire à Nick Allen qu’une campagne mondiale est maintenant nécessaire contre la multinationale. Il faut toucher Mac Donald’s sur son image, par exemple « le contrat «zéro heure» au Royaume-Uni, le travail des enfants au Brésil ou l’évasion fiscale en France » (selon Libération) ou au Luxembourg (où McDo ne paye pas d’impôt), etc. Cette action est en cours : Philippines, Grande Bretagne, Nouvelle Zélande, Corée du Sud, Nicaragua… Aux Etats-Unis, il y a également une campagne « contre le harcèlement sexuel » des travailleuses précaires.
Répondant aux questions des stagiaires syndicalistes, Nick Allen ne cache pas sa méthode. C’est l’appareil permanent du syndicat qui utilise ses moyens financiers et humains pour décider la campagne en mobilisant les syndicats de base, et en mettant de l’argent (exemple : des dizaines de milliers de dollars pour telle ou telle ville), un argent « strictement lié aux cotisations des adhérent-es » (2 millions). Mais aussi sur le plan international en étant lié aux Fédérations professionnelles internationales dans les services : Fédération européenne des syndicats de l’alimentation (EFFAT) ou celle des services publics (EPSU). En quelque sorte, un syndicalisme à la fois très professionnel, très organisé (dans une conversation, Nick Allen ne rejette pas le mot « d’entreprise syndicale »), et enraciné sur le terrain de manière directe. Mélange détonnant.
Le syndicat « Initiative des travailleurs » mobilise en Pologne contre le géant Amazon
Ci-contre le logo de Inicjatyva Pracownicza (initiative des travailleurs)
M. Rozmystowicz est déléguée du syndicat indépendant « Initiative des travailleurs » qui s’est construit en Pologne dans les établissements de stock du géant mondial Amazon. Militante, elle se sait menacée : son contrat risque prochainement de ne pas être reconduit. Mais même pour les non syndicalistes, on reste « en moyenne pas plus de trois ans » dans cette dictature du travail. Tous les contrats sont d’abord de courte durée, en général 3 mois, avant espérer un CDI. Une personne peut cumuler 8 contrats sur un seul mois. Amazon est « un cancer » qui profite de la désindustrialisation dans le pays, recrute de la main d’œuvre dans les petits villages, avec un système de transport gratuit pour se rendre dans les entrepôts. Les salariés disent oui à des contrats de 4,6 euros de l’heure ! Parfois il faut 2heures et demi pour se rendre au travail et autant pour le retour. Le travail est « épuisant », « la productivité augmente tous les deux mois », selon des critères « tenus secrets ». « Tous les gestes sont calculés ».
De plus, Amazon ne vend rien en Pologne. Les entrepôts sont là pour servir le marché européen, notamment Allemagne et France. Amazon choisit la Pologne pour ses stocks par crainte des grèves en Allemagne, bien plus fréquentes.
Le syndicat « Initiative des travailleurs » s’est créé par la base. Il y a une histoire et une tradition de l’autogestion ouvrière en Pologne, avant la création de Solidarnosc. Il est présent chez Amazon avec aujourd’hui 700 syndiqués, et il est représentatif. De même que Solidarnosc, mais qui est plus faible. Au départ, « Solidarnosc était contre nous, mais cela change ». Il y a 15 447 salariés. Pour déclencher une grève, il faut obtenir l’avis favorable de 50% du personnel par un référendum. Le syndicat a donc déclenché la consultation et cela semble très bien marcher avec un afflux de salarié-es sur les tables devant l’entrée des magasins (selon une vidéo). 5000 votes favorables ont déjà été obtenus, il en reste 3000 pour dépasser les 50%.
« Nous sommes en réseau avec l’Allemagne » depuis 5 ans (avec le syndicat Verdi), mais aussi en France (avec SUD commerce), aux USA, en Espagne, en Slovaquie. « Le but est de se coordonner », là aussi, contre le géant mondial.