Au moment où le gouvernement donne des signes de crainte d’un mouvement social, l’interview de Frédéric Sève, secrétaire national de la CFDT chargé des retraites, publiée par la newsletter CFDT, est très claire : pas d’appel au 5 décembre 2019.
Réforme des retraites : “Il est temps que le gouvernement donne des gages”
Secrétaire national chargé des retraites, Frédéric Sève fait le point sur la concertation en cours. Alors que les esprits s’échauffent, il rappelle que cette réforme peut être l’occasion d’engranger de nouveaux acquis sociaux.
Où en est la concertation avec le gouvernement. Peu d’informations filtrent ?
Les discussions suivent leur cours mais il n’y a aucune décision formellement actée, d’où ce sentiment de flottement. On peut dire que nous avons aujourd’hui un cadre général qui nous satisfait dans les grandes lignes mais les points les plus délicats restent à traiter. Il est temps que le gouvernement donne des gages, qu’il annonce des mesures qui certifient que cette réforme sera positive pour les salariés et les retraités.
Quelles mesures attend la CFDT ?
Nous le martelons lors de chacune de nos rencontres avec l’exécutif. Cette réforme n’a de sens que si elle permet de mieux prendre en compte la pénibilité au travail, d’améliorer les dispositifs de retraite progressive, de compenser les inégalités entre les femmes et les hommes ou encore de revaloriser les basses pensions. La CFDT défend l’idée d’un régime universel parce que réunir l’ensemble des travailleurs dans un même système donne des marges de manœuvre pour un mieux-disant social. Le gouvernement doit prouver qu’il s’inscrit dans cette philosophie. Sur chacun de ces thèmes, nous lui avons fait des propositions concrètes. À lui de saisir la balle au bond.
Parmi les points délicats, on peut citer la période de transition entre les deux systèmes ?
Ce n’est pas tant la période de transition qui soulève des questions mais la manière dont les droits acquis par les salariés dans le système actuel seront garantis dans le nouveau système. La réponse n’est pas simple car plusieurs options sont possibles. Par exemple, les années cotisées peuvent être converties en points du jour au lendemain ou les deux systèmes peuvent cohabiter un certain temps avec un calcul des droits qui se fait en proportion du temps passé dans chaque système. Si les droits acquis sont garantis, le passage d’un système à l’autre se fait progressivement : seuls les droits à retraite des périodes travaillées après 2025 seront modifiés. Pour la CFDT, toutes les professions ont vocation à rejoindre le nouveau système afin qu’il soit réellement universel, mais il faut que cette convergence tienne compte des engagements passés, notamment en matière d’âge de départ. Il faut se donner les moyens nécessaires de surmonter les points de blocage.
Quels points de blocage ?
Il y en a beaucoup car chaque situation doit être passée au crible afin d’éviter que la réforme ne pénalise quiconque. Prenons par exemple le cas des enseignants. L’application des nouvelles règles ne leur est pas favorable parce qu’à la différence d’autres fonctionnaires, ils n’ont pas ou peu de primes à intégrer dans le calcul de la pension. Tout l’enjeu de cette période transitoire va consister, pour cette profession, à construire progressivement une nouvelle rémunération revalorisée.
Certains salariés des régimes spéciaux, notamment ceux de la SNCF et de la RATP pour ne citer que les plus importants en nombre, défendent l’idée que cette réforme ne s’applique qu’aux nouveaux entrants dans l’entreprise. Que penser de cette clause dite du grand-père ?
C’est une revendication que l’on entend de plus en plus ces dernières semaines. Le gouvernement semble même y prêter une oreille attentive. Il est logique de garantir les droits acquis : ceux qui ont obtenu le droit à un départ anticipé doivent le conserver. Comme je le disais, il faut aussi apporter les compensations ou les garanties nécessaires quand les deals entre salaires et retraites sont bousculés par la réforme. Attention cependant au risque de désunion interne que porte cette clause du « grand-père » ! Avec le temps, les salariés sous l’ancien statut deviendront minoritaires et leur régime sera fragilisé financièrement et socialement. Les salariés ont davantage intérêt à rejoindre le système universel en veillant à ce que leurs droits acquis soient pris en compte. Une fois qu’ils auront rejoint le système universel, ils auront la garantie que leur retraite sera mieux protégée des aléas conjoncturels et politiques.
Beaucoup craignent que l’âge auquel ils peuvent aujourd’hui partir à la retraite soit relevé.
Il faut distinguer les questions liées au calcul du montant de la pension et celles liées à l’âge de départ. Pour l’âge de départ anticipé, cela fait généralement partie des droits acquis, il faut donc le préserver. Pour le calcul de la pension, le mieux est de garantir les droits acquis et d’apporter d’éventuelles compensations salariales quand c’est nécessaire. De cette façon, tous les droits sont embarqués dans le nouveau système et sont assis sur la solidarité de tous les actifs. Cela permet notamment de changer plus facilement d’entreprise quand on le souhaite. Pourquoi raisonner comme si on devait faire toute sa carrière au même endroit ? C’est avec ce genre de préjugés que l’on a pénalisé les polypensionnés.
Il est également possible de négocier dès à présent avec les employeurs des mesures spécifiques pour l’ensemble des salariés de ces champs. Regardons du côté des routiers. Ils ont construit l’équivalent d’un départ anticipé à la retraite financé par leurs employeurs et l’État, qui perdurera dans le nouveau système. Selon la CFDT, système universel ne veut pas dire système unique. Chaque profession est légitime à concevoir et financer des règles spécifiques.
La CFDT ne s’associe donc pas à l’appel à la grève du 5 décembre ?
Non, parce que cet appel est fait sur une base qui n’est pas la nôtre : le refus par principe de la réforme. Nous sommes aujourd’hui engagés dans la concertation en essayant de faire de cette réforme une avancée sociale pour les salariés. Notre approche syndicale n’est pas de faire grève avant la fin des discussions. Une fois que le gouvernement rendra ses arbitrages, nous verrons la suite.
Propos recueillis par jcitron@cfdt.fr