Cette note du secteur international CGT analyse le « racisme institutionnalisé » aux Etats-Unis et publie des extraits de prises de positions syndicales de l’AFL-CIO, et de la fédération des services SEIU.
Note d’information 10/06/2020
Etats-Unis : Le racisme institutionnalisé
La violence contre les hommes et les femmes de couleur est inscrite dans les origines mêmes de la construction des États-Unis. Il suffit de se rappeler pour s’en convaincre du génocide des peuples premiers amérindiens ainsi que des esclaves en provenance d’Afrique, transportés par des négriers anglais vers le territoire américain avant-même que n’arrivent les premiers colons. Ce n’est que 250 ans plus tard, après la guerre de sécession, que le XIIIème Amendement de la Constitution abolit définitivement l’esclavage (1865). Mais entrent alors en vigueur les lois Jim Crow, qui institutionnalisent, pour les Etats du sud des Etats-Unis, la ségrégation raciale envers les Noirs (« Equal but Separate »). Il faudra cent ans de plus pour que la ségrégation raciale soit enfin interdite, dans la douleur.
Les précurseurs des services de police américains modernes étaient majoritairement blancs et brutalisaient régulièrement les communautés afro-américaines. Des milliers de lynchages de Noirs américains par des justiciers blancs sont restés impunis. Et pendant la période de la lutte pour les droits civiques, les protestations pacifiques ont été sévèrement réprimées par des officiers ayant juré de « protéger et servir ».
Dernièrement : Mike Brown, Eric Garner, Tamir Rice en 2014. Tony Robinson, Eric Harris, Walter Scott, Freddie Gray, William Chapman, Samuel DuBose en 2015. Alton Sterling, Philando Castile en 2016. EJ Bradfor en 2018. Willie McCoy en 2019. Breonna Taylor, George Floyd en 2020. Cette liste est loin d’être exhaustive.
Tous morts entre les mains de la police locale. Car aux Etats-Unis, la police est divisée en 18.000 « comtés », dans lesquels le chef de la police est élu. Il prend ses ordres du maire de la ville et décide en toute indépendance de ses méthodes pour maintenir l’ordre, de ses embauches et de son matériel. Cela rend toute réforme quasiment impossible. Seul le FBI peut prendre la main sur la police locale, avec des conflits entre forces de l’ordre aisément imaginables.
Les statistiques sont dramatiquement éclairantes : sur 100 arrestations « musclées » d’Afro- américains par les forces de l’ordre suivies de plaintes, 97 sont classées sans suite, 2 donnent lieu à un procès dont l’issue est favorable aux officiers incriminés, et seule une condamnation est prononcée, dans la plupart des cas clémente.
L’administration Obama est la première à avoir véritablement tenté, dans un contexte contraint par le IIème amendement de la Constitution (droit au port d’armes) et par le lobby des armes, de modifier cette culture policière raciste et violente. Après la mort de Mike Brown, Obama a usé de son autorité pour cibler des services de police où les problèmes étaient avérés, notamment à Ferguson, Chicago ou encore Baltimore. Il a publié un décret visant à limiter l’acquisition par les services de police locaux de certains équipements lourds, d’ordinaire réservés aux militaires. Il a mis en place un groupe de travail sur le maintien de l’ordre au 21ème siècle, dont les conclusions insistaient sur la nécessité, pour les forces de l’ordre américaines de passer d’une culture de « guerrier » à une culture de « gardien ».
Mais l’arrivée au pouvoir de Donald Trump change totalement la donne. Trump est le président de « l’ordre public », acclamé en cela par ses partisans, généralement blancs, peu éduqués et avec peu de revenus. Cette population n’a jamais accepté le président « noir ».
La présidence chaotique de Trump a détourné l’attention du débat sur les assassinats par des policiers. Il a mené une guerre de relations publiques contre ceux qui s’agenouillaient pendant l’hymne national pour rendre hommage aux vies noires perdues et s’opposer au racisme structurel. Il a permis à Jeff Sessions (procureur général) d’effacer tout le travail accompli par Obama.
Sessions a commencé par remettre en cause les réformes visant les services de police problématiques. Il a révoqué la directive de l’administration Obama, qui visait à en finir avec l’incarcération dans des prisons privées. Quelques mois plus tard, c’est Trump lui-même qui a révoqué le décret interdisant les armes lourdes. Il a également mis fin au programme du gouvernement précédent sur la mise en place d’une police dite « communautaire », que l’on peut comparer à notre police de proximité.
Une grande partie de ces mesures n’a pas trouvé d’écho dans les médias, trop occupés à suivre les déclarations scandaleuses et contradictoires de Trump sur Tweeter. De même, les Noirs (et autres minorités) ont continué de mourir dans l’indifférence générale.
Il aura fallu l’assassinat « en direct » de George Floyd pour qu’un grand nombre d’Américains s’insurgent contre les agissements des forces de l’ordre.
Les rassemblements se sont multipliés, pour culminer par des funérailles quasi nationales pour George Floyd. Mais ces rassemblements ont été suivis par des pillages. Trump a réagi en chef de guerre, non en pacificateur. Il a d’ailleurs déclaré « qu’après les pillages viennent les fusillades », en référence au chef de la police de Miami, qui avait réprimé par la violence des émeutes raciales en 1967, fidèle à sa tactique de déverser de l’huile sur le feu.
L’attitude de Trump est de plus en plus erratique. Après son procès en destitution, a commencé la pandémie de Covid-19, avec les conséquences dramatiques que l’on connait aux USA, tant sur les plans sanitaire que social. De fait, la mort de George Floyd lui permet de déplacer le problème : les médias ont délaissé sa gestion de la crise sanitaire. Mais il est en chute dans les sondages, et des personnalités républicaines, comme George Bush, Colin Powel ou encore la famille de John McCain, ont déclaré publiquement qu’ils voteraient pour le candidat démocrate.
Quant au mouvement syndical américain, il a unanimement condamné l’assassinat de George Floyd. Les locaux de l’AFL-CIO ont fait l’objet d’une attaque d’émeutiers après un rassemblement à Washington et son président, Richard Trumka a déclaré : « J’ai le cœur lourd face aux événements de ces derniers jours. J’ai regardé la vidéo de George Floyd implorant qu’on le laisse vivre sous le genou d’un policier de Minneapolis. Personne ne peut entendre les appels à l’aide de Floyd et ne pas comprendre que quelque chose ne va pas bien en Amérique.
« Ce qui est arrivé à George Floyd, à Ahmaud Arbery et à beaucoup trop de personnes de couleur non armées, cela se produit depuis des siècles. La différence, c’est que nous avons maintenant des téléphones portables. Ils sont là pour que nous puissions tous les voir. Et nous ne pouvons pas tourner la tête et regarder ailleurs parce que c’est déplaisant.
« Le racisme joue un rôle insidieux dans la vie quotidienne de tous les travailleurs de couleur. C’est un problème de travail parce que cela arrive sur le lieu de travail. C’est un problème communautaire, et les syndicats sont une communauté. Nous devons nous battre, et nous continuerons à le faire, pour réformer les services de police et résoudre les problèmes d’inégalité raciale et économique.
« Nous rejetons catégoriquement les marginaux qui se livrent à la violence et à la destruction des biens. Les attaques comme celle du siège de l’AFL-CIO sont insensées, scandaleuses et ne font que faire le jeu de ceux qui oppriment les travailleurs de couleur depuis des générations et détourner l’attention des manifestants pacifiques et passionnés qui mettent à juste titre les questions de racisme au premier plan.
« Mais en fin de compte, le mouvement ouvrier n’est pas un bâtiment. Nous sommes un ensemble vivant de travailleurs qui ne cesseront jamais de se battre pour la justice économique, sociale et raciale. Nous sommes unis sans équivoque contre les forces de la haine qui cherchent à diviser cette nation pour leur propre profit personnel et politique à nos dépens.
« Nous allons nettoyer le verre, balayer les cendres et continuer à jouer notre rôle pour faire émerger de ce moment d’obscurité et de désespoir un jour meilleur. Aujourd’hui et toujours, le travail de l’AFL- CIO se poursuit sans relâche ».
Le syndicat des conducteurs de bus de Minneapolis a, pour sa part, refusé de transporter vers les centres de détention les manifestants arrêtés pendant les manifestations contre l’assassinat de George Floyd : « Nous sommes prêts à faire ce que nous pouvons pour garantir que notre travail ne soit pas utilisé pour aider le département de police de Minneapolis ». D’autres syndicats de la ville (infirmières, chauffeurs de taxi, personnels hôteliers…) se sont regroupés en solidarité.
La Fédération des services (SEIU) a également publié une déclaration par la voix de sa présidente, Mary Kay Henry :
« Chacun d’entre nous, quel que soit son lieu de résidence ou son apparence, mérite de savoir que le pays dans lequel il vit respectera ses droits fondamentaux. Aujourd’hui plus que jamais, nous avons appris à quel point la sécurité et la sûreté sont précieuses pour nous tous, nos familles et nos communautés.
« Mais ces dernières semaines, nous avons été témoin des meurtres insensés d’Ahmaud Arbery, de Breonna Taylor et de George Floyd, ainsi que de l’attaque raciste contre Christian Cooper. Nous avons vu la montée des crimes haineux contre les Américains d’origine asiatique, alimentés par les politiciens qui cherchent des boucs émissaires. Nous avons vu le fardeau injuste que représente la
Covid-19 pour les personnes de couleur (…) et qui est aggravé par l’inaction du président Trump et l’échec des grandes entreprises à protéger les travailleurs essentiels en première ligne.
« Les travailleurs se sont rassemblés au-delà de leurs différences, dans notre organisation syndicale, pour lutter pour un avenir meilleur pour toutes les familles. Nous réalisons des efforts proactifs et permanents pour construire une solidarité interraciale dans notre organisation, parce que nous savons que nous ne pouvons pas atteindre la justice économique sans justice raciale – elles sont inextricablement liées. C’est pourquoi nous ne resterons pas silencieux. Nous continuerons à utiliser nos voix collectives pour dénoncer la violence persistante infligée aux personnes noires et autres communautés de couleur. Nous demanderons des comptes à ce président et aux autres politiciens qui osent utiliser la douleur d’une ville pour inciter à plus de violence dans leur propre intérêt politique.
« Ces dernières années, nous avons assisté à une prise de conscience accrue de la population envers le racisme dont les personnes de couleur sont les victimes. La prise de conscience ne suffit pas, elle doit déboucher sur des actions. A Minneapolis, cela signifie arrêter et inculper les officiers responsables de la mort de George Floyd.
« Il est important de reconnaître que les agents de Minneapolis ne sont pas représentatifs de l’ensemble des forces de l’ordre. Les membres de la SEIU sont en première ligne et font un travail essentiel, y compris de nombreux agents des forces de l’ordre, pour assurer la sécurité des personnes et maintenir la confiance de la population. Cependant, lorsque cette confiance est brisée, nous devons utiliser nos voix collectives pour appeler au changement.
« Malheureusement, la justice ne peut être rendue pour Ahmaud, Breonna et George. La justice serait qu’ils soient en vie et en bonne santé avec leur famille et leurs amis. Mais nous pouvons choisir de faire de ce moment un tournant afin qu’aucune autre vie ne soit perdue de manière insensée.
« Les adhérents de SEIU poursuivront la lutte pour la justice raciale et économique, notamment en s’éduquant mutuellement et en se mobilisant pour élire en novembre des dirigeants qui se tiendront à nos côtés et agiront pour la justice. Nous serons solidaires de nos membres du Minnesota qui demandent des comptes à leurs dirigeants élus, et de ceux qui manifestent dans les villes de tout le pays ».