Lors de l’Université d’été des mouvements sociaux et des solidarités à Nantes (24-28 août), le collectif Plus jamais ça a organisé deux ateliers sur des luttes impliquant syndicats et associations écologistes dans la recherche de solutions articulant emploi et transition industrielle : l’usine de recyclage papier de la Chapelle Darblay (Seine Maritime) et la raffinerie Grandpuits (Seine et Marne). Ci-dessous une restitution des ateliers et des débats.
Photo : atelier Chapelle Darblay
L’atelier (voir photo) est animé par Cyril Brillault (CGT), Arnaud Dauxerre (CGT) Julien Sénécal, (cadre de l’usine sans affiliation syndicale), ainsi que : François et Margot de Greenpeace. Benoit Teste, secrétaire général de la FSU, est également présent. Prise de notes sous la responsabilité de Jean-Claude Mamet. Les intertitres correspondent à des questions posées dans l’atelier.
L’atelier commence par une vidéo sur la reprise de l’usine de fabrication de masques en Bretagne (La Coop des masques), soutenue par Plus jamais ça et une intersyndicale locale.
Puis le débat sur Chapelle Darblay commence (ou « Pap Chap » comme on dit à Grand Couronne). Pap Chap est la dernière usine qui fait du papier journal recyclé à 100%. Selon les syndicalistes, il n’y a plus de solution de recyclage en France pour le papier, y compris pour la poubelle papier de nos tris ménagers.
Septembre 2019 : annonce de la mise en vente de l’usine, en fait sa destruction. Pour le propriétaire UPM (multinationale finlandaise de 10 milliards d’euros de CA), il s’agit d’un problème de compétitivité. Cela coûterait moins cher aujourd’hui d’acheter du papier vierge que de recycler. Pap Chap est la seule usine qui subsiste sur ce créneau. Pour le syndicat, il s’agit de sauver l’usine, le métier et le bois d’arbre. La fibre de papier est recyclable 7 fois ! L’usine a une capacité de 480 000 tonnes. Le syndicat participe au comité de groupe d’UPM, « pour comprendre la stratégie longtemps à l’avance ».
Mai 2020 : l’usine est à l’arrêt et les salariés en congé de reclassement pendant un an. Mais 70 à 80% veulent revenir travailler à l’usine et non pas rechercher un travail ailleurs. Il s’agit donc de se battre pour trouver un repreneur. « Mais on s’est heurté à un mur ». La lutte obtient le maintien du site pendant un an (congé de reclassement) en capacité de fonctionnement.
Juin 2021, c’est la fin du délai. Mais suite à l’action avec le Collectif Plus jamais ça (voir ci-après), un nouveau délai de 3 mois est arraché.
Le dispositif loi « Florange » (votée en 2014) oblige les grandes entreprises qui ferment un établissement à chercher un repreneur. Cependant, explique Cyrille Brilaut, quand des salariés subissent plusieurs PSE comme ici depuis des années, ils peuvent envisager un chèque valise. Mais il faut être « tenace », ajoute-t-il. A Pap Chap, ils le sont.
Avril 2021 : Bercy occupé ! ?
Margot, chargée des mobilisations à Greenpeace, explique l’occupation des abords du Ministère de l’économie en avril 2021 : « Nous étions 100 militant-es sur le parvis du ministère, avec Greenpeace, CGT et Attac. Avec une banderole de 15 mètres. On ne bouge pas tant que la délégation n’a pas été reçue. Nous sommes restés 10h avec le camion sono et la musique. Nous avons jeté des grands mannequins dans la Seine, repéchés par la police fluviale ! Le ministère ne voulait qu’une délégation CGT. Nous avons tenu bon sur : c’est tous ou personne. Finalement, Philippe Martinez a été reçu avec un gilet Plus jamais ça. Nous avons obtenu une promesse de maintien du site par la ministre de l’industrie ».
Question : Quelles formes de lutte ? « Est-ce que l’expérience actuelle Chapelle Darblay est reproductible » ?
Réponse syndicale : Sauver une usine implique d’avoir l’attention des médias. Mais ceux-ci ne s’intéressent aux luttes d’entreprises que si des « politiques » viennent dans l’usine ou s’il y a des coups d’éclat, voire des violences.
Les syndicalistes tentent donc une lutte au long cours sur un trait commun : « Cultivons ce qui nous rassemble » (le désir collectif de sauver l’usine). Cela fait 24 mois qu’ils se battent pour que l’usine « reste opérationnelle » : recycler. Cela nécessite de se projeter dans une « logique de filière », qui soude le collectif depuis les années 1980. Greenpeace ajoute : « un exemple parfait d’économie circulaire ».
Le préfet lance une « commission industrielle ». Des « spécialistes » rendent leurs conclusions en janvier 2020 : la solution des travailleurs est jugée « pertinente », avec 5 à 8 ans de visibilité sur le papier d’emballage. Mais le cabinet préfectoral finit par ajouter : « Le problème, ce sont les salariés » ! Cependant l’usine n’a donc pas été mise en liquidation et l’outil industriel maintenu. Le syndicat CGT a conditionné la signature du PSE (plan de sauvegarde de l’emploi) à la sauvegarde du site pendant un an. Afin de se « donner le temps industriel pour réfléchir sur l’avenir ». Macron n’a-t-il pas dit au début du confinement en 2020 : « Il faut relocaliser en France » ?
Mais en juin 2021, à la fin de la période d’un an, « on a failli être rasé ». Un repreneur belge s’est dérobé. Le propriétaire UPM ne veut plus de « solution papier ». Une offre de recyclage dans l’hydrogène est soutenue par UPM. Les travailleurs refusent : « Ce n’est pas notre métier ». Un délai de trois mois est encore arraché, pour étudier l’éventuelle reprise par Véolia recyclage, que Philippe Martinez a lui-même négociée.
Question : une coopérative ? Refaire tourner l’usine comme à Lip ?
« Le débat a eu lieu sur une coopérative ». Mais il faudrait un fonds de roulement de 80 millions d’euros, pour 217 salariés. Pas simple. Ce n’est pas la première fois que l’usine est menacée. Quant à faire tourner l’usine comme Lip, « il n’y a pas assez de stock pour cela. C’est une industrie lourde ».
Question : « quelle place des travailleurs dans l’action » ?
L’équipe syndicale actuelle est mise en place en avril 2019, suite au départ des plus anciens. Arnaud Dauxerre, le plus jeune, explique : « J’ai été élevé dans la CGT ». « On a repris ce que les anciens ont fait ». L’ensemble des salariés a bien accepté le plan de lutte : sécurisation du PSE, un an de congé reclassement. Arnaud ajoute : « On leur disait de penser à eux, de chercher un nouveau métier au cas où…». Mais ce n’était pas leur idée. Il y a une « fierté » du travail sur le site.
La CGT syndique plus de 50% du personnel. Elle a vécu des PSE « à répétition » depuis des décennies. Mais les syndicalistes, et surtout cette nouvelle équipe, ne veulent pas devenir « des experts en PSE » ! Certains « anciens » pensaient que la CGT allait faire « comme d’habitude : faire une AG, voter l’occupation ». Et après « on fait quoi » ? « On l’a fait pendant trois jours, parce que les salariés ont besoin d’action ». Mais la consigne a été donnée aux salariés de « pointer » comme s’ils travaillaient et ils ont été payés !
L’espoir Véolia depuis juin ?
L’équipe syndicale semble penser que c’est sérieux. « Le monde des déchets, on se connait tous ». Julien, cadre sans affiliation syndicale, explique : « il ne faut pas rester tout le temps dans le monde patrons contre ouvriers ». Si Véolia arrive, c’est qu’il y voit sans doute un intérêt. Ce serait « gagnant pour tout le monde ».
Pendant ce temps, rappelle Margot de Greenpeace, la multinationale UPM cultive des eucalyptus en Uruguay (ce qui a des effets néfastes sur les terres) pour vendre du papier toilette au marché asiatique.
François Chartier (Greenpeace), Paul Feltman (CGT Grandpuits), Cécile Marchand (Amis de la Terre). Prise de notes de la responsabilité de Jean-Claude Mamet.
Lire ici : le décryptage de la « solution » Total: :total décryptage
Historique : Le 26 septembre 2020, Total annonce la fermeture de la raffinerie Grandpuits, avec un plan de reconversion « hors raffinage », et trois projets : fabrication du bio carburant (avec huile végétale et huile d’usagers) ; fabrication de plastic « biodégradable », et enfin du recyclage plastic. Sur 450 salariés de Total, il en resterait 250, et sur 7 à 800 salariés « extérieurs », il en resterait 200. Soit en tout 700 suppressions d’emplois.
En fait le projet Total de « sortie du raffinage » est une « vitrine ». La vraie question est qu’ils ne veulent pas investir pour réparer un pipeline d’alimentation en pétrole devenu vétuste (et même tombé en panne) : les frais coûteraient 600 millions, alors que la restructuration en coûte moins.
La CGT se rapproche des organisations écologistes pour discuter de solutions alternatives. Il y avait déjà eu des contacts entre les syndicats raffinerie et des écologistes (en 2010 dans les Flandres et en Provence à Mède, usine qui produit du biocarburant avec l’huile de palme conduisant à la déforestation en Asie). « Il faut sortir de l’énergie fossile ». Mais ce n’est pas facile non plus avec la fédération chimie FNIC CGT qui conteste le collectif Plus jamais ça. Mais l’idée que le pétrole est fini à terme progresse.
Lutte : Décembre 2020, une tribune est publiée dans Libération, signée par des responsables politiques, les syndicalistes et des personnalités, pour soutenir la démarche. Au début de 2021, 40 jours de grève. Avec un Comité de grève, mis en place dans les équipes et avec les syndicats (la CGT est majoritaire avec 52%, il y a aussi FO et la CFDT). L’idée est qu’il ne faut « pas seulement contester, mais proposer ». Et que « les travailleurs peuvent penser » à une solution différente, sans suppression d’emplois : travail avec les écologistes et le cabinet Négawatt pour une alternative.
La place des travailleurs : aujourd’hui, la lutte n’a pas réussi à bloquer le plan de Total. Une action au tribunal aura lieu en septembre pour contester le PSE. La CGT reconnait des difficultés : il n’y a pas toujours d’unanimité parmi les travailleurs. Certains sont dubitatifs. C’est normal : les salariés sont prêts à discuter de solutions plus écologistes si leurs besoins de base sont garantis (emplois et salaires). Les alternatives ne sont pas prêtes, alors que Total va beaucoup plus vite avec son PSE.
Alternatives : Ce sont des pistes de deux ordres : la production d’hydrogène « vert » avec de l’énergie électrique renouvelable, et la production de chanvre pour la rénovation thermique des bâtiments. Mais l’hydrogène fait également débat.
« Reprendre l’usine » ? Il faudrait des investissements importants (120 millions tous les 7 ans pour entretenir). Il y a un débat entre « coopérative » et service public de l’énergie, ce qui peut peut-être se combiner. « Il faut bien comprendre que Total ne peut pas accepter le contreplan », moins profitable pour lui, et surtout « symboliquement » dangereux pour son image de multinationale.
Greenpeace et Amis de la Terre : « La grève s’est terminée mais pas la mobilisation ». « Ce n’était pas facile pour nos organisations » de se lier à cette situation. « Notre culture de lutte est très différente avec la CGT ». Nous cherchons un vrai plan alternatif « coconstruit » avec les salariés. « Nous n’en sommes qu’au début en réalité », il faut « prouver » qu’on peut y arriver. Un document de « décryptage » précis du projet de Total à Grandpuits a été réalisé, pour contester ce qui est présenté comme « sortie du raffinage », alors que les risques sur l’huile de palme sont des aberrations pour l’environnement. Nous travaillons sur une transition pétrole/gaz en France. Il y a 30 000 emplois dans le raffinage, 48 000 en tout avec le gaz. Et nous travaillons aussi sur les projets de Total dans le monde.