Nous remercions Caroline Chevé, nouvelle secrétaire générale de la FSU, pour cette interview exclusive donnée au blog Syndicollectif après le 11ème congrès à Rennes (cf. : notre article : http://syndicollectif.fr/?p=25533).
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- Documents adoptés au 11ème congrès FSU en 2025 : FSU-11ème congres-Compilation-de-lensemble-des-textes-adoptes
Vous insistez dans le discours de clôture du congrès sur votre expérience à la section départementale (SD) des Bouches du Rhône. En quoi est-ce un apport décisif pour la FSU ?
Je ne sais pas si c’est décisif, mais en tout cas c’est nouveau pour la FSU. Les précédent.es dirigeant.es étaient issu.es de leurs syndicats nationaux, avec une alternance entre le SNES (NDR: syndicat national des enseignements du second degré) et le SNUIPP (syndicat national du premier degré), depuis le premier secrétaire général qui, lui, venait du SNETAP (NDR : syndicat national de l’enseignement technique agricole). Pour moi le défi ne consiste donc pas tant à accomplir une mue « fédérale », qu’à prendre la mesure de la dimension nationale. Apprendre à connaître les interlocuteurs, dans l’administration comme chez nos partenaires syndicaux et associatifs, voir même dans la FSU. Apprendre aussi à construire les mobilisations avec cet éloignement des lieux où elles vont s’ancrer.
Ce que mon expérience de secrétaire départementale peut apporter c’est le souci du « bout de la chaîne » militante. Il me semble important de se poser toujours la question de la manière dont ce qui se décide peut se traduire réellement : de quoi ont besoin les militant.es pour s’approprier les décisions nationales, qu’est-ce qui semble obscur ? De quelles informations a-t-on besoin, pour répondre à la presse locale, pour participer à une intersyndicale départementale, pour discuter avec des représentants locaux des associations avec lesquelles on signe un appel national ? La construction de l’unité dans une action est typiquement un exemple d’articulation entre les logiques locales et nationales qui nécessite d’être très informé.
Dans les départements, la FSU est une force qui compte, à la fois dans les mobilisations et dans le débat public, où elle a une place singulière. La mesure de la représentativité est un critère qui me semble peser davantage au niveau national, alors que localement, au fond, ce sont souvent les forces qu’on peut mettre dans les manifs qui comptent, et la FSU est reconnue pour cela. C’était très net dans les Bouches-du-Rhône, et j’en garde la conviction d’une forte légitimité de la FSU dans les échanges avec nos partenaires.
Dans cette responsabilité, on imagine se confronter à des questions souvent abordées dans le thème 3 des congrès, sans oublier l’école bien sûr. Par exemple sur les questions écologiques (participation à l’Alliance écologique et sociale-AES-ex-Plus Jamais ça) ou d’autres. Y a-t-il des sujets marquant ou difficiles sur lesquels la FSU doit absolument s’engager ? Est-ce cela qui s’appelle la « double besogne » selon l’expression de la Charte d’Amiens ?
La FSU a toujours mené de front cette « double besogne », la défense des personnels, individuelle et collective, et l’élaboration des alternatives, ce que nous nommons aussi la transformation sociale. Ce qui est frappant, c’est que des sujets autrefois un peu périphériques sont aujourd’hui transversaux, et au coeur du travail syndical. Je pense évidemment à l’égalité entre les femmes et les hommes, qui nourrit nos revendications en matière salariale, en matière de retraites, de santé au travail et d’éducation. Je pense aussi aux enjeux écologiques : le bâti des services publics, qui accueille à la fois personnels et usagers, le nombre et la formation des agent.es qui seront demain de plus en plus confronté.es aux crises climatiques.
Je verrais aussi deux autres directions importantes : celle de la jeunesse, ou plutôt justement « des jeunesses » car aujourd’hui les conditions d’existence des jeunes, scolarisés, étudiants, en emploi sont très polarisées et marquées par des inégalités très fortes, certains jeunes subissant des politiques très répressives. C’est un enjeu fort pour la cohésion sociale. L’autre direction c’est le vieillissement de la population au travail : conséquence des réformes des retraites successives, elle n’est pas anticipée et va poser des problèmes importants de santé au travail, d’adaptation, de formation … Ces deux questions aussi sont transversales, mais elles relèvent bien de l’élaboration des alternatives.
Le document initial du congrès posait la question d’un « cadre pérenne » susceptible de rassembler syndicats, associations, forces politiques, pour discuter de questions politiques d’actualité (de type juillet 2024). Est-ce une possibilité ?
Le pré-rapport du congrès était en cours de rédaction au moment même des élections législatives en 2024, dans ce climat d’angoisse et d’effervescence très particulier. Le texte en porte la trace. La FSU s’est engagée de manière exceptionnelle dans le débat public à ce moment là. Face à la menace bien réelle de prise de pouvoir par l’extrême droite, elle a appelé à soutenir les candidats qui portaient le programme du Nouveau Front Populaire. Les militant.es de la FSU se sont en outre fortement investi.es dans les manifestations, les meetings…
Pour autant la FSU n’a pas « fait partie » du NFP. Au mois de septembre 2024 par exemple, elle n’a pas appelé aux manifestations du samedi qui portaient sur des revendications politiques. Elle continue de considérer que les rôles des partis politiques, des associations et des organisations syndicales doivent rester distincts et indépendants, que leurs intérêts et leurs stratégies leur appartiennent en propre. Pour autant nous sommes loin de théoriser une étanchéité entre les mondes. Au contraire, la FSU se caractérise historiquement par l’étroitesse de ses liens avec le monde associatif, par la diversité de ses interlocuteurs, associations, collectifs, partis. Le U de unitaire ne concerne pas que l’unité des organisations syndicales.
C’est pourquoi le texte qui a été voté dans notre congrès est in fine beaucoup plus souple, et plus conforme à ce que la FSU a toujours fait : des espaces d’échanges entre associations, partis politiques et organisations syndicales, à géométrie variable selon les sujets ou les périodes, dans lesquels les organisations débattent, construisent, dans le respect de leurs spécificités et sans se lier les mains.
Le rapprochement entre la FSU et la CGT date de 2009. Il semble maintenant se préciser beaucoup plus. Comment expliquer le temps très long mis pour progresser alors que les deux organisations se retrouvent souvent dans l’action ?
La vie des organisations est complexe, les conjonctures sont variables, et le temps militant n’est pas infini. Il n’est pas très étonnant que dans une période de fortes offensives du néo libéralisme contre les droits sociaux, les organisations aient concentré leur force sur leur coeur de cible, la défense des salarié.es et des agent.es publics, la construction des mobilisations, contre les réformes des retraites, la Loi travail, le statut de la fonction publique. Travailler de façon concrète et efficace pour faire évoluer le paysage syndical, élaborer des rapprochements qui ne soient pas que des mouvements d’appareil mais qui entrainent largement les salariés et les personnels demande du temps.
La FSU porte dans son identité l’idée que les divisions du paysage syndical doivent être surmontées et qu’il faut inventer le syndicalisme qui répond aux enjeux du XXIeme siècle. C’est le sens de son mandat de « nouvel outil syndical ». Les discussions avec la CGT datent de 2009 mais elles avaient, entre autres, achoppé sur le manque d’implication des militant.es de terrain. Et elles ne faisaient pas forcément l’accord au sein des deux organisations… Ce n’est pas à moi de parler des débats internes de la CGT, mais il me semble que l’idée de « Nouvel outil syndical », porté par la FSU, ne pouvait pas faire l’accord.
Ce qui manquait, c’était peut-être d’inventer les modalités pour rendre opérationnel, concret, le rapprochement, et aussi transparent du point de vue démocratique. C’est à cela que nous nous sommes attelés depuis 2023, et cela porte ses fruits : nous construisons des formations communes, nos équipes se rencontrent sur le terrain, nous échangeons régulièrement sur nos analyses et nos stratégies. Nous avons aussi l’ambition de travailler concrètement à confronter nos revendications, ce qui montrera que nous avons beaucoup plus de points communs que de différences.
La CGT met en avant le constat d’une « histoire commune » entre CGT et FSU. Comme si les deux histoires allaient se rejoindre. Qu’est-ce que cela évoque dans la FSU ?
La CGT et la FSU ont une histoire commune d’abord parce qu’elles ont mené toutes les luttes interprofessionnelles ensemble depuis… la naissance de la FSU en 1993. Avant cela, il y avait la FEN, et là on peut distinguer deux périodes historiques : avant 1947 et après. La FEN a en effet été une fédération de la CGT. Mais en 1947 elle a refusé la scission entre la CGT et la CGT FO, et elle a choisi l’autonomie. Tout n’a pas été aussi simple mais globalement, c’est ainsi. 46 ans de FEN, puis 30 ans de FSU. Cela laisse largement le temps de construire une histoire propre, avec ses spécificités. La FSU a son propre positionnement, souvent proche de celui de la CGT mais parfois très différent, comme sur l’AES, ses propres pratiques pour le débat démocratique (les tendances, la règle des 70 %…), elle a accueilli de nouveaux syndicats, elle s’est élargie à la fonction publique territoriale. Sa composition ne ressemble plus à une fédération de la CGT. Les militant.es, les syndiqué.es sont attaché.es à ce qu’elle représente d’original dans le paysage syndical.
Mais je crois que c’est justement pour cela, parce que la FSU a atteint cette forme de maturité, qui lui permet d’assumer ce qu’elle est et de sortir des représentations un peu mythiques, que nous avons pu avancer franchement cette année et au cours de ce congrès. Pour la première fois la FSU a dit dans un texte, de façon précise, ce qu’elle entend faire, comment elle entend le faire, et ce qu’elle n’entend pas faire. Se rapprocher de la CGT par du travail concret, impulsé à la fois au niveau national et local en cherchant à produire des dynamiques au sein des équipes militant.es et au-delà. Ce que nous avons appelé « maison commune » n’est donc pas une absorption/fusion, le point d’aboutissement n’est pas écrit avant de s’engager, au contraire, nous inventons ensemble. Nous ne pouvons donc pas dire jusqu’où nous irons ainsi, mais nous constatons que cela rencontre de l’intérêt, et que cela nourrit l’espoir de renforcer le syndicalisme de transformation sociale, pour qu’il pèse davantage. Le contexte de montée de l’extrême droite, de durcissement du capitalisme vers des formes autoritaires l’exige.
Peut-on imaginer qu’avec Solidaires les choses évoluent aussi ?
Le mandat que nous nous sommes donné à Rennes s’inscrit dans la continuité de l’ aspiration de la FSU à un nouvel outil syndical, qui s’adresse prioritairement à la CGT et à Solidaires, mais sans exclusive des autres organisations qui pourraient être intéressées. Notre démarche reste ouverte. Nous entretenons les meilleures relations avec Solidaires, avec lesquels nous continuons de faire vivre l’AES par exemple. Solidaires mène de son côté la réflexion sur l’avenir du syndicalisme, selon sa temporalité propre. Nous verrons ce qui en sortira.
On a entendu au congrès que maintenant, au-delà du projet de « maison commune », il va falloir « rentrer dans le dur ». Qu’est-ce à dire ?
Je ne sais pas, il se dit tant de choses dans les congrès, en tribune, dans la salle, dans les couloirs… Il y a les invités, les secrétaires généraux, les intervenants… On a aussi entendu filer à l’infini la métaphore du bâtiment… Pour ma part je considère que le rôle qui m’est confié en tant que secrétaire générale, sur ce sujet comme sur les autres, c’est de mettre en œuvre la feuille de route que constituent les mandats que nous avons votés, de manière déterminée et constructive, en veillant en permanence à l’unité de la FSU.
Pour moi « le dur » aujourd’hui, c’est la menace de l’extrême droite, qui prospère sur le sentiment d’abandon et de déclassement. C’est l’état de nos services publics et des agent.es qui les portent à bout de bras. C’est un débat budgétaire pour 2026 qui s’est engagé sous les plus mauvais auspices. C’est la nécessité pour le syndicalisme de peser plus fort. Les nuages s’accumulent et chacune de nos décisions en tant que responsables de nos organisations est lestée de cette responsabilité.
Propos recueillis par Jean-Claude Mamet.