Claude Debons, ancien responsable syndical, co-initiateur avec Gérard Aschieri, Pierre Khalfa, Bernard Thibault, d’un appel de syndicalistes pour « un sursaut unitaire » (lire: http://syndicollectif.fr/?p=25372) publie une tribune : « Social-Politique, dépasser la coupure« . Le débat continue dans la rubrique EmanciPassion.
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Social et politique, dépasser la coupure
Pour des convergences dans l’indépendance
“Les partis seuls n’y arriveront pas, les syndicats seuls n’y arriveront pas, les associations et activistes seuls n’y arriveront pas, il faut vraiment reconnecter ces trois gros blocs là mais pour ça, il faut que chacun se remette en question.” Priscillia Ludosky, ex porte-parole des Gilets jaunes, dans l’enquête du Labo des Partis, 2023 (photo ci-dessous dans Le Parisien).
Je partage ce jugement. Depuis quelques décennies les luttes sociales ont été plus souvent défensives que conquérantes face à l’offensive néolibérale et patronale. Et après un exercice du pouvoir qui avait trahi ses promesses la gauche politique a connu des défaites. Les différentes forces qui prétendent à l’émancipation sont à la peine chacune de leur côté. Peut-on se satisfaire de ces impuissances parallèles ? Face à la contre-révolution trumpienne, aux volontés prédatrices du Capital et au projet raciste et réactionnaire de l’extrême droite qui menacent l’ordre démocratique et humaniste, est-il raisonnable de combattre séparément quand l’essentiel est en jeu ?
Dans cette situation, il devient nécessaire de repenser les relations du social et du politique, d’inventer des convergences dans l’indépendance pour faire front commun. Cela ne peut se concevoir que dans le respect des responsabilités respectives des syndicats, associations et partis. Cela ne sera pas facile car on connaît les racines des défiances et ressentiments : les prétentions dominatrices de certains partis, les tentatives d’instrumentalisation, les déceptions face aux reniements programmatiques, les divisions et polémiques. C’est justement parce que c’est difficile qu’il est urgent d’ouvrir le débat.
L’époque où le syndicalisme pouvait arracher seul des concessions substantielles au Capital s’est éloignée. Les conditions de la lutte des classes ont été bouleversées par la mondialisation capitaliste, la contre-révolution néolibérale, la nouvelle division internationale du travail, les transformation productives, l’éclatement du salariat, etc. Le salariat d’aujourd’hui n’est pas la classe ouvrière d’hier, les rapports de forces et la conscience de classe non plus. Les luttes d’entreprises sont à la peine, le patron décideur n’est pas toujours « à portée de main », les multinationales appellent des actions internationales difficiles, la concurrence sauvage appelle des régulations publiques, les attaques contre l’Etat social appellent des alternatives politiques, etc.
Pour les syndicats, il devient nécessaire de dépasser une vision étriquée de la Charte d’Amiens, qui n’a jamais été réductible à l’indépendance syndicale, et de retrouver le souffle originel d’une conception totalisante de l’action syndicale : des revendications immédiates à la transformation sociale et à l’édification d’une société nouvelle. Comment élaborer et porter des projets de transformation au-delà des revendications immédiates ? Comment construire l’irruption du mouvement social et de ses exigences dans le politique pour peser sur les choix sociaux, économiques, environnementaux, démocratiques ?
L’extrême droite, toujours aux portes du pouvoir, se nourrit de la désespérance des couches populaires et de leur perception d’un avenir sans perspective positive ; mais aussi du sentiment de déclassement de la France et de sa puissance impériale révolue qui lui sert à alimenter une nostalgie réactionnaire qui peut faire illusion faute d’une alternative ambitieuse crédible. Les gauches et les écologistes n’ont pas su jusqu’à présent apporter des réponses sous forme d’un projet d’avenir désirable à vocation majoritaire que ne suffit pas à dessiner un catalogue de mesures. Comment pourraient-ils le faire sans échanger avec les forces syndicales et associatives porteuses de réflexions et de propositions tirées de leur expérience : refondation démocratique, justice sociale et nouveau contrat social, planification écologique, services publics, fiscalité et partage des richesses, renouveau industriel, inégalités diverses, discriminations en tous genres, racisme, pauvreté, mal logement, etc.
Le chantier est vaste mais le temps presse. Lors des dernières législatives, l’engagement résolu de forces sociales et citoyennes a permis d’écarter la menace de l’extrême droite et de hisser en tête le NFP. La menace est toujours là. Le NFP divisé rebute ? Assurément. Raison de plus de s’engager pour l’unité, seul moyen d’éviter le désastre et d’espérer.
Mai 2025
Claude DEBONS
Ancien responsable syndical