Pierre Héritier est ancien secrétaire national de la CFDT et fondateur du Laboratoire social action innovation réflexions échange (Lasaire) et du Forum syndical européen. Il a écrit une tribune très critique parue dans Le Monde du 1er février 2018 contre les ruptures conventionnelles collectives et l’accord passé à ce sujet chez Peugeot, accord signé par la CFDT.
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Chez Peugeot, on lance un nouveau modèle… social
L’accord signé le 19 janvier chez le constructeur préfère le gain immédiat à l’anticipation des risques, selon le syndicaliste Pierre Héritier
PAR PIERRE HÉRITIER
Peugeot vient de lancer un nouveau modèle… social: la procédure de rupture conventionnelle collective, concoctée dans le cadre des ordonnances d’Emmanuel Macron, a bien vite accouché d’un accord finalement approuvéle19 janvier par une large majorité des syndicats de l’entreprise.
Malgré les garanties apportées par la direction en termes de maintien des mesures existantes et de modalités qui rendent l’accord attractif, le nouveau modèle Peugeot servira de moteur à un nouveau traitement des salariés dont on veut se débarrasser. Il s’agit là d’un changement majeur dans la gestion du personnel et des qualifications, et d’une rupture avec les discours et les pratiques dominantes de l’Europe continentale. L’idée d’un compromis social postfordiste entre le salariat et le patronat long-termiste a décidément du plomb dans l’aile!
Désormais, l’entreprise qui a besoin de qualifications nouvelles peut aller les chercher à l’extérieur et se débarrasser de celles qui lui paraissent obsolètes. Il en va des salariés comme des stocks… Il en sera des futurs accords comme des plans sociaux et des mesures d’âge: au fil du temps les copies du modèle se feront au rabais. La souplesse donnée par les ordonnances dispense les entreprises d’unegestion prévisionnelle des emplois et des compétences, d’un investissement dans la formation du salarié, d’un effort d’adaptation des compétences aux besoins de l’entreprise.C’est la victoire du court-terme et du juste à temps sur l’anticipation et la respon sabilité sociale voire sociétale de l’entreprise à l’égard des salariés, du terri toire et de la nation.
ll appartiént désormais à l’Etat, la ré gion, la farnil . de former les futurs salariés pourqu’ils soient conformes aux requis de l’entreprise. Mais aussi de recycler ceux dont les qualifications sont obsolètes, de leur redonner l’employabilité et la qualification requises, de les remettre dans le circuit de l’embauche alorsqu’ils sont usés par la pénibilité et le stress… et enfin, de les indemniser en cas d’échec. L’entretien des compétences, la réparation de «l’usure» au travail, l’adaptation aux changements technologiques, l’effacement du choc et des stigmates de la perte d’emploi…, tout cela ne relève plus de la responsabilité de l’entreprise.
Une bombe à retardement
Au fond, c’est la victoire du modèle anglo-saxon fondé sur la flexibilité externe, face au modèle de l’Europe continentale – notamment allemand – fondé sur la flexibilité interne. De façon prophétique, à l’aube de ces changements technologiques, Bertrand Schwartz (1919-2016), spécialiste de l’insertion professionnelle des jeunes et inspirateur des missions locales, appelait les entrepreneurs «à faire les entreprises de demain avec les femmes et les hommes d’aujourd’hui». ll ne se contentait pas d’une formule, il préconisait des changements subversifs dans le système éducatif, la formation professionnelle, l’organisation du travail, la coopération entre école et entreprise.
C’est vrai qu’il aurait fallu un gouvernement courageux et novateur, un patronat d’entrepreneurs long-termistes, des institutions et des syndicats audacieux et visionnaires! Mais les choix court-termistes ont prévalu. Le danger est à moyen terme. Comme pour les mesures d’âge-préretraites et autres-, on peut dans l’immédiat trouver des arrangements. Mais après…Qui s’occupera de ces salariés obsolètes? Qui leur donnera les moyens de soutenir la concurrence sur le marché du travail avec des salariés plus jeunes, pas encore usés par le travail et fraîchement formés? Comment concilier l’allongement de la durée de vie au travail des seniors et la facilité qu’auront les entreprises à se délester de leur «stock de main-d’œuvre » devenu pesant faute d’accompagnement approprié?
Les gains de compétitivité immé diats des entreprises vont générer un coût social, financier et sociétal à moyen et long terme.Une bombe à re tardement qui ne va pas arranger la démocratie, ni réhabiliter les politiques et tous ceux qui s’accommodent de cette fuite en avant.