Cet article est la mise par écrit d’un exposé fait à l’Université d’automne du mouvement Ensemble! à propos des aspects nouveaux dans les mouvements sociaux récents (2016-2018), des rapports avec le syndicalisme, des attentes de certaines fractions de la jeunesse, et de la nécessité de renouveler les répertoires d’action. Etaient également présents dans ce débat Simon Gevaudan (CE confédérale CGT, président de la NVO) et Sebastian, du réseau européen Altersommet.
Mouvement social, mouvement syndical : quoi de neuf ?
- Exposé complet (Jean-Claude Mamet) : intro débat mouvement social Ud’A
- Extraits : « Cortèges de tête : Quelles réflexions tirer ?
– On peut décrire dans les cortèges de tête une sorte « d’interprofessionnelle de la rue ». Par affinité, par réseaux sociaux.
– Une volonté de ne pas dépendre des mots d’ordre et structures syndicales. Sans antisyndicalisme pour autant.
– Donc ces espaces de manifestation expriment peut-être une recherche de « syndicalisme informel », une demande de pratiques nouvelles que certains chercheurs décrivent comme du «para-syndicalisme » (« Sociologie politique du syndicalisme »- Béroud, Giraud, Yon-2018).
– Dans un bilan tiré des luttes du printemps 2016 contre la loi Travail, j’écrivais que le syndicalisme de lutte pourrait utilement se ressourcer en assumant l’idée d’être un « syndicalisme du mouvement social ». C’est-à-dire d’apparaitre comme renouvelant les modes de lutte et de construction, afin d’être plus en phase avec des attentes contemporaines de souplesse ou de refus du formalisme.
– Dans la discussion (trop brève) de l’atelier, il a été dit que les syndicats étaient aussi en capacité de recruter. Par exemple, on note dans la CGT une avancée de la proportion des syndiqué-es de moins de 35 ans. On le remarque aussi dans les cortèges. Tout cela touche le débat récurrent sur la syndicalisation de masse, o combien nécessaire et sans doute possible à une certaine échelle, permettant de combler au moins quelques déserts syndicaux, en particulier dans le salariat précaire (les nouveaux secteurs, les services, etc). Dans certains pays, notamment anglo-saxons, les méthodes dites organizing de plans de resyndicalisation ont eu des résultats. En France, pays de syndicalisme militant, la notion est peu utilisée, voire suspecte. C’est pourtant cela que la CFDT a quand même su pratiquer avec des résultats, qui la rend présente dans beaucoup d’entreprises privées. C’est aussi cela que l’association REACT (avec de jeunes militant-es pro-syndicaux très volontaires) met en œuvre (exemple : hôtellerie), mais avec des résultats fragiles s’ils ne sont pas suivis d’un « encadrement » organisationnel durable. Mais cela n’empêche pas de se poser la question de l’image un peu surannée que renvoie le syndicalisme de lutte vis-à-vis de jeunes ou de salarié-es éloigné-es des cultures du mouvement ouvrier. Il ne s’agit pas de remplacer une culture par une autre, mais de trouver des points de jonction et de « donner envie ».«
Jeunes et engagement : « 1- Un travail qui ait du « sens » : Il s’agissait dans cette journée d’étude d’observations de groupes de jeunes volontairement embauchés dans certaines formes d’entreprises, notamment d’économie sociale ou de distribution alimentaire. On note non pas une recherche de « carrière sociale», mais la participation à ce qui est appelé une « production engagée ». Les emplois dits traditionnels sont jugés peu « éthiques » et il est recherché un travail qui ait du « sens », en phase avec une « cause », dans lequel on trouve une certaine « autonomie » et pas trop de « hiérarchie ».
- Nuit Debout : le public de Nuit Debout à Paris (reste à vérifier ailleurs) n’est pas un public uniquement d’étudiants. 20% de chômeurs. 16% ouvriers (soit 3 fois le taux parisien). 38% de cadres. 1/3 de femmes. Peu de très jeunes : moyenne 30 ans. Attentes : critique du travail parental, recherche de sens, « prendre des risques», critique des « manifestations classiques à papa ».
- Travailleurs Deliveroo : on note dans les enquêtes le caractère ambivalent du « statut d’auto-entrepreneur ». D’un côté un certain discours sur la « liberté», l’absence de contrainte horaire, de « subordination » dans le travail Deliveroo, et même le refus du mot « salarié ». De l’autre une conscience de plus en plus claire de la surexploitation par les plates-formes. Et des formes de lutte qui peuvent se propager à grande vitesse, voire même s’internationaliser très vite aussi (réseaux spontanés d’une ville à l’autre, d’une capitale européenne à l’autre, et même réunion récente du réseau européen Altersummit avec 80 jeunes et plus de 10 pays représentés, à comparer aux extrêmes lenteurs du syndicalisme international).
- Jeunes en entreprises « traditionnelles » : Les jeunes ne rechignent pas toujours à se tourner vers les syndicats. Cela a été dit dans le débat de l’atelier. L’enquête citée plus haut faite par certains chercheur-es comprend aussi des situations impliquant des jeunes ouvriers (notamment immigrés) dans des usines, y compris par exemple une usine automobile. Où l’on observe qu’une dynamique d’engagement syndical peut s’affirmer très rapidement suite à une révolte sur le travail, débouchant sur un recrutement syndical significatif, mais peut aussi retomber très vite s’il n’y a pas de résultat, si un conflit échoue (suite à des trahisons d’autres syndicats), et en dernier ressort s’il n’y a pas de projet de construire quelque chose dans la durée. Ce qui implique de dépasser la colère par une vision d’avenir. D’autres enquêtes montrent une très grande distance entre le vécu des salarié-es sous la dictature néolibérale, et l’idée que des Institutions représentatives du personnel (ex : DP ou CHSCT), ou les syndicats, pourraient jouer un rôle utile.«
Renouveler les répertoires d’action :
[…] « Le laboratoire de la grève SNCF : le débat a été vif entre syndicats, entre cheminots, sur la tactique de lutte suivie : pas de reconductible d’emblée, mais grève deux jours sur cinq, afin que l’action dure longtemps. Et cela a duré ! Cette tactique de lutte peut être considérée comme un renouvellement du répertoire d’action. Permettre de durer, c’est se donner du temps pour la bataille d’opinion dans une guerre de tranchée, une vraie bataille politique au bon sens du terme. Même la défense des statuts aurait dû être claire et nette, parallèlement avec les mouvements dans la fonction publique, où c’est un élément-clef et pas du tout « corporatiste ». A condition de l’assumer comme une conquête dont la portée peut être généralisée et être entendue dans le secteur privé (Code du travail). Mais c’est justement ce qui a manqué beaucoup. La CGT s’est efforcée d’avoir un plan alternatif à celui de Macron, très complet. Il y a même eu une plate-forme en 8 points, commune à l’intersyndicale. Mais cette base commune n’a pas franchi un seuil où elle aurait été vue et comprise sur la scène politique nationale, de telle sorte qu’elle puisse être un contre-projet crédible face à la propagande déferlante du pouvoir. On peut penser que l’intersyndicale ne pouvait pas assumer un tel défi politique, pour des raisons d’équilibre interne (La conf CFDT, qui surveillait étroitement sa fédération, ne veut pas du tout assumer une telle bataille politique). Cependant, la consultation interne à la SNCF a ensuite joué un rôle politique important. Il s’est également passé la même chose à Air France, avec la crise de direction qui s’en est suivi.
On peut aujourd’hui tirer le bilan d’une très insuffisante offensive idéologique et politique contre Macron et son monde, élément clef du rapport de force en plus de la grève. La CGT cheminots semble aujourd’hui consciente de cette nécessité en mettant en place un « Comité de vigilance » avec associations et forces politiques (mais pas les autres syndicats !), avec en ligne de mire une votation populaire.
On connait la devise de la Charte d’Amiens, dont tout le monde se réclame : la double besogne « quotidienne et d’avenir ». Mais c’est justement « la besogne d’avenir » qui fait défaut trop souvent. Or il faudrait que la besogne d’avenir accède enfin au statut politique, sinon on le laisse exclusivement aux partis (et au gouvernement). Reconnaissons-le : la tâche est rude […]. «
Marée Populaire, ou l’embryon d’un espace social et politique
« Même si la mise en place de l’initiative Marée Populaire comporte une bonne part de pragmatisme liée aux circonstances (y compris les débats internes à la CGT), c’est la première fois que se constitue un espace associant syndicats, incluant la confédération CGT, associations, forces politiques (les 12), et cela sur des sujets de confrontation directe avec le pouvoir dans le domaine social. D’ordinaire, c’est là l’espace « réservé » du syndicalisme, même s’il existe quand même des collectifs de périmètre comparable mais unithématiques : Collectif national pour le droit des femmes, Convergence des services publics. Cet espace « réservé » est d’ailleurs la raison pour laquelle la CGT n’a pas voulu en septembre 2018 s’engager à nouveau dans une action sur le même terrain que celle du 26 mai, parce qu’existe maintenant une intersyndicale interprofessionnelle nationale (CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, UNL, FIDL), même si les déboires de FO la mettent en stand by.
Ce pragmatisme indique aussi la fragilité du dispositif. En aucun cas on ne peut le considérer comme un état-major de lutte, qui servirait à tout. En tout cas pas sur le plan national (localement, il y a plus de souplesse possible).
Pour que cela dure et gagne en efficacité, il convient évidemment que le syndicalisme soit pleinement engagé, ce qui est loin d’être gagné (ne serait-ce par exemple qu’à cause de l’extrême prudence FSU). Or une partie des réseaux syndicaux, s’ils soutiennent ce cadre, ont besoin d’avoir la certitude qu’il s’agit d’un cadre assumé et durable. Un débat syndical est donc souhaitable !
Mais la deuxième condition est aussi que le groupe des forces politiques agisse de manière unitaire, et pas en permanence de manière concurrentielle. Or cette condition est peut-être encore plus difficile à garantir. Le syndicalisme ne peut pas s’engager vraiment et en confiance si les partis politiques ne sont pas eux-mêmes « en confiance » dans leurs rapports réciproques. Or c’est loin d’être le cas.
Le cadre Marée Populaire peut peut-être, malgré les difficultés, se consolider comme un espace qui donne du sens aux luttes communes, sociales et politiques au sens noble du mot (quelle société), qui permet de visualiser des approches convergentes sur les grandes questions, et donc qui donne un horizon à tout le monde. C’est par exemple le défi du meeting antiraciste du 21 novembre.«