Avenir de l’automobile : CGT, Greenpeace, RAC

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La Fédération des travailleurs de la métallurgie (FTM) CGT organisait le mercredi 24 mai un Forum sur l’avenir de l’automobile (voir l’annonce publiée ici : https://wp.me/p6Uf5o-5ug) avec les ONG Greenpeace et Réseau action climat (RAC). Plus de 300 personnes y ont participé, dont la majorité des syndiqué-es de la FTM. Un débat parfois rude, mais passionnant.

https://youtu.be/9TzqQbcI_Wk

 

FORUM-1280x640Ecologie et social : les salarié-es experts?

Il n’est sans doute pas exagéré de dire que cette journée (préparée depuis 6 mois) est une sorte de mode d’emploi pour mettre en débat des syndicalistes de l’industrie et des organisations écologistes. On n’a donc pas parlé la langue de bois !  Le lendemain du Forum, la FTM organisait un bilan interne dont il serait sans doute utile de connaître la restitution. La preuve est faite qu’on peut donc travailler avec une approche pluraliste de ces questions, pour avancer vers un éco-syndicalisme.

Sophie Binet (absente car participant au congrès de la CES), avait enregistré une vidéo qui saluait l’initiative, et rappelait que le récent congrès CGT avait appelé à poursuivre ce type de dialogue, pour « dépasser la contradiction entre le social et l’environnemental », à partir des salariés « experts de leur travail ». Par ailleurs, Philippe Martinez était présent au démarrage du Forum.

L’avenir de l’automobile fait partie des « points chauds » de la transition écologique, puisque l’automobile individuelle est responsable de 50% des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le secteur transport, lui-même globalement le premier émetteur de GES en France. Avec l’avion, le bâtiment, l’énergie (dont le nucléaire), la chimie, l’agriculture, ces questions interpellent fortement -c’est le moins qu’on puisse dire- les salarié-es et leur avenir. Quand la Commission européenne annonce qu’en 2035, il ne sera plus possible de fabriquer des voitures thermiques sur le continent, cela crée un choc dans les usines. Des centaines de milliers de postes de travail sont pointés du doigt. Mais aussi le savoir-faire, le rapport aux matières et techniques utilisées, à l’utilité spécifique de chaque métier.

Au total : une redoutable complexité où s’entrechoquent les besoins de transports (13 millions de personnes sont en précarité mobilité), les usages individuels et collectifs, la distance domicile-travail, le lieu d’habitation (urbain, péri-urbain, rural), la présence ou non de services publics de transports, le revenu, le prix des carburants, les innovations techniques des carburants (plus ou moins émetteurs de CO2), les capacités de recharges de batteries, etc. Il faut ajouter à cela les règles (nationales et européennes), le lobbying, les conflits industriels mondiaux, et aussi les procédures de décision : démocratiques ou non ?  Il y a de quoi donner le tournis pour y réfléchir, incluant une rupture des cultures professionnelles.

Paroles 

Aussi avons-nous entendu, au fil de la journée, des témoignages et des alertes venant de travailleurs à qui on prétend donner des leçons de normes antipollution, ou de choix écologiques « pour la planète », alors qu’ils et elles vivent le mépris de leur vécu et savoir-faire.

Quelques témoignages :

  • « A Peugeot Mulhouse, on a déjà perdu 50% des emplois. Nous ne voulons pas continuer. La pollution, les vapeurs, on connaît dans les ateliers ! Pas de leçons là-dessus. Voiture thermique ou électrique, je m’en fiche. Ou sera-t-on dans 10 ans (2035) ? En guerre ? Je ne veux pas qu’on me parle du « bloc » soudé que les « Allemands » font à la concurrence. Je ne suis pas contre l’Allemagne, nous sommes tous des travailleurs».
  • Un salarié Ford Blanquefort : « Le tout électrique, on veut nous l’imposer. Donc on laisse entendre qu’on ne sait pas le faire. Or l’électrique, c’est 60% d’emplois en moins»
  • Un salarié des fonderies (cinq usines de fonderies ont été fermées suite au virage électrique des constructeurs) : « Je ne suis pas contre l’écologie, mais nous faisons des carters à huile. Cette production, soit 75% de notre activité, va tomber à 25%. On fait quoi ?».
  • Jean-Philippe Juin (responsable à la fédération CGT, fonderies du Poitou) : « 2035, c’est pour le patron l’opportunité de fermer les usines de fonderie. Dans les fonderies, nous avons proposé des nouveaux projets : SCOP, nationalisations, etc. Les salariés de la GMS (Creuse) avaient déposé un projet de loi sur les rapports entre donneurs d’ordre et sous-traitants. Tous ont été refusés. Aucun soutien de l’Etat. Le tout électrique est une aubaine pour les patrons.  Pourtant, si le but est d’alléger le véhicule, on pourrait développer des fonderies avec l’aluminium. Il y a un risque de ne plus savoir produire dans la fonderie ».
  • « Nous n’assistons pas à un débat, mais à un lavage de cerveaux» (applaudissements), proclame un partisan des deux roues, dont on ne parle jamais.

ONG-Syndicat : « 80% de points d’accords »

Les tables rondes entre représentants syndicaux, ONG et chercheurs, ont fait apparaître une constante en matière de confrontation écologique : la très grande complexité. Tout ce qui n’a pas été jusqu’à une période récente décortiqué ou étudié dans les choix techniques et dans les pratiques sociales a besoin de longues descriptions, de mise en balance, et sans doute des tâtonnements. Mais le temps presse ! Il faut atteindre zéro émission de CO2 en 2050.

Tout le monde a fortement critiqué l’absurdité des modèles préférés par les grands industriels mondialisés, qui développent l’électrification à grande vitesse, mais sur des voitures dites « premium » (les SUV) de plus de deux tonnes et très chères. Totalement inaccessibles aux budgets de la majorité des familles.  Des absurdités écologiques, mais des « machines à cash » comme le disent cyniquement les patrons. Le débat porte donc sur une « petite » voiture électrique, fabriquée en France, certes pour maintenir l’emploi mais aussi pour limiter les importations écologiquement stupides. Car ce qui n’est pas fabriqué sur le territoire en raison des choix de profits sur des gros modèles, privilégiés par Renault ou Stellantis, peut parfaitement être une opportunité pour des constructeurs japonais, y compris en implantant des usines. Le marché est mondial depuis longtemps. La concurrence féroce, y compris intra-européenne (Europe de l’Est contre celle de l’Ouest).

Selon la CGT et les ONG, « au moins 80% des points de vue » sont communs sur les diagnostics et les propositions.  Mais il reste une plage de désaccords, au vu des tables rondes.

Tout électrique ou mix énergétique ?

Ainsi la fédération CGT, avec la présentation faite par Pierre Nicolas (ingénieur au Technocentre de Renault), privilégie le choix d’un petit véhicule en mix énergétique, avec l’utilisation de la batterie électrique pour les déplacements quotidiens (80% du total en moyenne), et le moteur thermique pour des loisirs longue distance (20%). En longue distance une motorisation électrique est inapte en raison du poids de la batterie (et donc non économe en lithium et cobalt), et du coût exorbitant des gros modèles (sans compter les embouteillages pour le rechargement des batteries sur les autoroutes).

Il semble bien que les ONG militent ardemment pour le tout électrique en petit volume.  La raison en est la date couperet de 2035 interdisant la vente du thermique par l’Union européenne.  Aujourd’hui 23% du marché est électrique, l’objectif est 100%, explique Tommaso Pardi, chercheur CNRS.  Il craint aussi que les constructeurs « généralistes » soient les plus vulnérables à la concurrence mondiale, qui privilégie le haut de gamme (« premium »). « Seul l’électrique garantit zéro émission », défend Marie Chéron de l’ONG Transport et environnement. Les pertes d’emplois existaient avec le moteur thermique, explique-t-elle.  Mais si on freine la transition vers l’électrique il y a un « danger de perdre la filière ».  Le débat n’est pas clos.

« Mettre les travailleurs dans la boucle »

Fabien Gache, ancien délégué syndical central (DSC) CGT Renault, insiste surtout sur la nécessité de construire du « commun », avec du « bon sens » en impliquant les travailleurs, afin qu’ils ne soient pas « relégués à accompagner ». Fabien Gache est justement un des responsables syndicaux CGT qui a proposé ces dernières années une pratique syndicale basée sur l’écoute des travailleurs, « experts » de leur travail, et cela contre une tradition bien ancrée où tout descend d’en haut. Ce débat a traversé grâce à lui la confédération CGT (mais s’est malheureusement un peu enlisé plus récemment). Lui non plus n’est cependant pas partisan du « tout électrique, un mythe cachant la rentabilité ».

Daniel Sanchez, ancien secrétaire général de la FTM CGT, reconnait que « ce n’est pas le climat qui a inauguré les suppressions d’emplois », même s’il ajoute un « défi supplémentaire ». Il refuse lui aussi un « passage en force » pour le tout électrique en 2035. Mais « il faut que les salariés s’en mêlent ».

On peut cependant noter une absence dans la discussion : le report modal. Le document préparatoire de la fédération expliquait pourtant : « Les véhicules urbains par excellence sont le vélo, le bus, le tramway, le métro. Pas la voitureDans les zones denses…l’avenir est aux zones piétonnes et aux modes doux ». Nous en sommes donc loin pour « les familles qui n’habitent pas les centres des grandes agglomérations », où « la voiture reste indispensable ». Est-ce pour cette raison que la fédération se refuse à abandonner le moteur thermique ? Sans doute. Mais il serait sans doute nécessaire qu’un débat croisé ait lieu entre tous les syndicalistes des transports (dont la SNCF), pour envisager aussi des modes collectifs en zone rurale.  Utopie ?

Jean-Claude Mamet (30 mai 2023)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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