Editorial : Le débat sur l’unité syndicale

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EDITORIAL de Syndicollectif

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Ré-ouvrir le débat sur la pratique et le contenu de l’unité syndicale

 

 

La question de l’unité syndicale revient régulièrement dans l’histoire du mouvement syndical.

Mais chaque période comporte ses particularités. Vouloir, à toutes fins, plaquer tel ou tel schéma n’est donc pas pertinent. À contrario affirmer comme on l’entend parfois que l’unité syndicale n’est pas, ou plus, possible, c’est prendre le risque d’une coupure définitive dans le monde du travail, avec des effets de démoralisation.

 

Rien n’est pire que de s’ignorer

 

S’il est un point qui devrait faire consensus, c’est bien celui-là. S’ignorer, ne plus échanger – au besoin durement – est incompréhensible pour tout salarié. Cette incompréhension prend sa source dans la simple affirmation commune à l’ensemble des organisations syndicales que leur existence vise à défendre les intérêts des salariés. Si telle est bien leur fonction, alors elles doivent échanger sur les meilleurs moyens d’atteindre ce but.

 

Une objection fréquente est opposée face aux difficultés de l’unité d’action : comment travailler ensemble dès lors que tel syndicat refuserait tout – suivez mon regard vers la CGT ou le pôle dit « contestataire – et que tel autre accèderait à toutes les demandes patronales, sous-entendu la confédération CFDT ou le pôle dit « réformiste » ou d’accompagnement.

 

Ces catégorisations sont caricaturales sur le terrain, même si elles correspondent aussi à des divergences réelles sur le plan confédéral interprofessionnel. Dans l’entreprise tout syndicaliste est tour à tour dans l’accompagnement, la contestation, la proposition, la négociation. La véritable question c’est d’être du côté des salariés – avec toutes les nuances, les contradictions qui existent – ou d’être une antenne patronale – ce qui a toujours existé sous des étiquettes parfois différentes.

 

Reconnaissons qu’au niveau de l’entreprise lorsqu’il y a le feu, que l’emploi est menacé, le verrou saute vite pour organiser ensemble la résistance. C’est donc davantage au niveau des structures professionnelles ou interprofessionnelles que les blocages se manifestent. Mais le niveau national retentit évidemment sur le « local » et aussi sur la bataille des idées dans le débat public ou politique.

 

La conséquence en est alors évidente : sans unité d’action, c’est souvent l’action tout court qui en pâtit dans une situation de faiblesse militante que les mesures de l’actuel Président et son gouvernement n’ont fait qu’accentuer avec la disparition de milliers de délégués du personnel, d’élus de CE ou de représentants des CHSCT par la simple suppression de ces institutions conquises de haute lutte. Rien n’est pire que de s’ignorer.

 

Agir en bas et en haut

 

Pour renouveler les pratiques unitaires, il faut observer ce qui a été fait et réussi, en faire le bilan et tenter de dégager des pistes pour la suite. La réforme de l’Assurance Chômage ou l’action contre la hausse de la CSG sur les pensions de retraites permettent de tirer quelques enseignements.

 

Les syndicats ont remporté une première victoire en référé devant le Conseil d’État concernant la réforme de l’Assurance Chômage. La réforme est provisoirement gelée. C’est le résultat d’une prise de position commune des organisations syndicales et d’une saisine de la justice administrative. Un bon point !

 

En cette rentrée, la question de la « réforme » est reposée. L’action doit donc continuer. Elle doit viser au retrait total de la réforme en lien avec toutes les associations qui se sont mobilisées. C’est une nécessité pour imposer ensuite un rapport de forces qui permette d’envisager une avancée des droits vers une sécurité sociale professionnelle.

 

Pour créer ledit rapport de forces, une mobilisation doit être construite. Ce n’est pas qu’une question de sommet des confédérations. Puisque celles-ci sont d’accord pour refuser la réforme en cours, il devrait être possible de proposer d’agir partout au niveau local en associant salariés et demandeurs d’emplois et en construisant une mobilisation en direction des représentants de l’État, du patronal et des députés. A quelques mois de la Présidentielle, cette action peut bénéficier du contexte plus général.

 

L’action des neuf organisations de retraités, déclinée de haut en bas, a montré l’efficacité dont une telle méthode était porteuse. Au terme de ces actions multiformes avec cartes-pétitions, rencontres avec les députés, manifestation, et donc d’un soutien dans l’opinion publique, le gouvernement a reculé en annulant la hausse de la CSG sur les pensions entre 1200 et 2000 euros mensuels. Les victoires ne sont pas si fréquentes. Elles méritent d’être valorisées.

 

Définir des campagnes et fixer des priorités

 

Lorsqu’on a le nez dans le guidon, des moyens en moins, une pandémie et des confinements… tout est plus compliqué. Il faut s’occuper des suppressions d’emplois et des entreprises qui ferment. Il faut regarder les questions de salaires de tous les « premiers de corvée ». Il faut réagir aux attaques contre tel ou tel responsable syndical dont l’action est criminalisée. Et dans un contexte de faible rapport de force il faut aussi répondre aux attaques permanentes d’un gouvernement qui fait flèche de tout bois notamment sur le terrain des libertés.

 

Tout n’est pas possible en même temps. Vouloir répondre à tout au même niveau c’est risquer de « zapper » d’un sujet à l’autre, brouiller le message, ne pas apparaître aux yeux du grand public et de la masse des salariés ou retraités comme porteurs d’une exigence. Le syndicalisme y perd en lisibilité.

Même si ce n’est pas simple, il appartient donc aux confédérations de fixer des priorités.

 

Ainsi, au moment de la crise sanitaire, de l’absence de masques, etc… la campagne menée sur la gratuité des masques a-t-elle été suffisante et visible ?  Plus tard la question de la levée des brevets des vaccins aurait pu mobiliser davantage en en faisant une exigence citoyenne centrale, en alliance avec d’autres forces, sur le plan médical, associatif, politique.

 

Ces exemples indiquent une méthode, un chemin possible, à discuter. Ainsi sur la base des déclarations des confédérations, il doit être possible de mener une campagne jusqu’au moment où le Conseil d’État devra se prononcer sur le fond de la réforme de l’Assurance Chômage en fin d’année. Et que le rapport de force sur ce sujet s’en trouve modifié si dans chaque localité, chaque circonscription des actions sont menées dans le même sens.

Nul besoin d’être d’accord sur tout pour le faire, chaque organisation pouvant ainsi présenter ses propositions spécifiques.

 

Peut-être, dans quelques jours ou semaines s’imposera la même méthode sur la question des retraites qui peut devenir une question majeure à la rentrée de septembre 2021.

 

Et une campagne pour des moyens à l’hôpital public serait utile alors qu’un certain confusionnisme règne avec des amalgames entre anti vax et anti pass sans qu’on entende réellement une parole forte au plan syndical déclinable en actions sur le terrain.

 

Discuter publiquement des points de désaccord

 

Il existe des désaccords majeurs par exemple sur les retraites, en particulier entre la CFDT qui soutient la proposition d’une retraite par points, et l’intersyndicale de 2019 : CGT, FO, la FSU, Solidaires.

De même, il y a depuis longtemps des désaccords nationaux importants sur des sujets interprofessionnels décisifs : réforme du Code du travail, retraites (on se souvient qu’en 2003, en pleine lutte le 15 mai, la direction CFDT a signé l’arrêt de jeu avec Raffarin-Fillon, ou a accepté d’autres réformes de l’assurance-chômage qui ont considérablement baissé les droits).

La CGT et d’autres syndicats se situent sur le terrain de la lutte des classes, ce que la direction CFDT a abandonné depuis longtemps, malgré son passé en 1968 et après. Ce clivage national est réel, il affaibli considérablement le rapport de force avec le capitalisme et les forces néolibérales. Mais il ne doit pas conduire à un refus du débat, ou un refus de toute recherche de terrain d’accord sur des questions précises.

C’est pourquoi il serait possible de proposer la mise en place d’un « espace » national d’échanges et de discussions publiques (avec des publications), pour que chaque position soit bien connue dans le monde du travail, et éviter des invectives inutiles.

 

Par exemple, il peut y avoir un point d’accord contre le recul de l’âge de la retraite ou l’instauration d’un âge pivot. Cette question de l’âge peut devenir centrale dans une mobilisation. « Pas un an de plus » peut être le slogan de ralliement du plus grand nombre.

Et ceci n’interdit nullement de le compléter par des revendications différentes des diverses centrales à mettre en débat au niveau des entreprises, des départements y compris entre organisations syndicales : hausse des cotisations, droit à la retraite à 60 ans, etc.

 

Organiser des débats sur le système de retraites serait même un plus, un encouragement à la mobilisation.

C’est, là aussi, la méthode d’action et d’unité dans l’action de bas en haut qui peut s’avérer payante pour ceux qui la portent – sans faire des positions différentes des obstacles indépassables à toute mobilisation en commun.

Par ailleurs, puisqu’il y a souvent une intersyndicale nationale qui rassemble CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, pourquoi ne pas proposer des rapprochements plus structurés ? Pourquoi les propositions de la FSU pour aller plus loin dans les échanges et l’action commune, sans exclusive a priori, ne sont-elles pas débattues clairement ? Ce serait un signal positif pour montrer qu’il se passe quelque chose de nouveau dans le syndicalisme, qui pourrait attirer des jeunes en recherche d’outils efficaces et faire un lien avec les mobilisations écologiques.

 

Faire avec qui veut et décliner en bas les propositions d’en haut

 

On entend parfois dire : « mais ils ne voudront pas » ou « au vu de leur orientation, ce ne sera pas possible ». C’est renoncer avant d’essayer. Et au bout du bout, ce sont les salarié-es qui sont juges de l’action de telle ou telle organisation. Proposer ne veut pas dire réussir. Mais refuser la recherche d’une position commune n’est pas un signe de vitalité.

 

Il faut des stratégies articulées à tous les niveaux. Proposer en haut et proposer en bas est une méthode qui permet de gagner en efficacité.

 

Prioriser des thèmes revendicatifs et construire l’action autour plutôt que d’être dans un discours généraliste – même juste – produit en général les conditions pour aller plus loin que le point de départ. Toute l’histoire du mouvement ouvrier fourmille d’exemples de cette nature et toute l’histoire de l’unité d’action aussi.

 

L’urgence est à sortir d’une sorte d’inertie et d’impuissance qui produit plus de découragement que d’enthousiasme.

 

 

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