Interview d’un syndicaliste de Latécoère

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L’interview ci-dessous est parue sur le site de l’Université populaire de Toulouse, que nous remercions pour ses envois d’articles. Florent Coste, du syndicat CGT de l’usine Latécoère, analyse les raisons (alors qu’on parle de « réindustrialisation ») de la quasi fermeture de l’équipementier aéronautique, dont les effectifs en France sont en perpétuelle décroissance, et les activités délocalisées (Mexique, Tchéquie).  L’interview aborde aussi la lutte sur les retraites.

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« Le 1er aout 2017 nous avons publié un entretien avec Florent Coste délégué syndical et secrétaire adjoint du syndicat CGT de l’usine latécoère. https://universitepopulairetoulouse.fr/spip.php?article974. Dans ce nouvel échange nous revenons sur les mutations à l’œuvre depuis 2017 et en voie d’achèvement en 2023. C’était le temps nécessaire pour finir le travail de démantèlement. L’usine 4.0 étant étant l’étape flamboyante d’un saccage. Tout cela sous le regard désintéressé des pouvoirs publics. Retour sur la mobilisation contre la réforme des retraite à Latécoère et manifestation dans les petites villes, ici Muret. »

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Peux-tu nous préciser comment, durant ces années la direction de Latécoère a procédé pour liquider l’entreprise ?

 Liquider l’entreprise est peut-être beaucoup dire. Elle a beaucoup changé depuis une dizaine d’années, a été beaucoup abîmée et ses salariés ont beaucoup souffert mais elle existe toujours ! Il n’est pas question pour notre syndicat de pleurer sur un tas de cendre ; il y a encore beaucoup à défendre et encore plus à conquérir : voilà comment nous voyons la chose. Nous oscillons, comme disait Gramsci, entre le pessimisme de la raison et l’optimisme de la volonté. En revanche il est tout à fait juste de parler de liquidation – plus précisément de délocalisation – pour ce qui concerne les activités de production. Ce mouvement de délocalisation a débuté dans les années 2000. D’abord à bas bruit puisque les premières implantations à l’étranger ont correspondu avec une période de forte croissance de l’entreprise de sorte qu’elles se sont opérées sans préjudice pour l’activité en France : on ouvrait des usines à l’étranger mais sans fermer celles en France.

Puis les choses ont commencé à sérieusement se gâter à partir du début des années 2010 : fermeture de l’usine de Cornebarrieu en 2010, fermeture des usines de Toulouse Périole et de Tarbes en 2017, création ou rachats d’usines à l’étranger essentiellement dans des pays pauvres (Mexique, Maroc, Bulgarie, etc…), nombreux transferts industriels des usines françaises vers ces usines étrangères,plans de licenciement en 2016 et 2020, modération salariale, casse du statut, forte détérioration des conditions de travail, etc… .

Jusqu’à la dernière saloperie en date : l’annonce au début de cette année de la délocalisation de la totalité de l’activité de l’usine de Montredon – usine toute neuve largement financée par des fonds publics – vers le Mexique et la Tchéquie et la fermeture de l’usine de Labège. Au total ce sont près de 150 postes qui sont visés et s’ils sont effectivement supprimés alors plus de 500 postes auront été détruits en France, essentiellement à Toulouse, depuis 2016.

 

Dans l’entretien de 2017, tu ironises sur les sourires, ceux convenus de Mme Assouad, la nouvelle directrice du groupe Latécoère et ceux pour le moins surprenants de Mme Delga et Mr Moudenc, qui n’ont pas voulu comprendre que l’usine 4.0 n’était « pas une vitrine mais un paravent ». Dès la création de cette usine d’un type nouveau pour promouvoir leurs propres intérêts le développement exponentiel de la capitale européenne de l’aéronautique ?

 

Par leur présence ce jour-là je crois qu’ils ont surtout exposé leur proximité (complicité ?) avec un ordre économique qu’ils soutiennent et qui les soutient.

La présence de personnel politique à l’inauguration d’une usine n’est pas en soi un problème.Mais ce qui nous énervait prodigieusement à l’époque et qui nous énerve encore prodigieusement aujourd’hui, c’est que ce même personnel politique qui s’affichait alors aux côtés de notre direction ne trouvait strictement rien à dire et encore moins à faire contre ce que cette même direction accomplissait par ailleurs au même moment.

Il se trouve en effet que la création de l’usine de Montredon s’inscrivait dans un projet beaucoup plus vaste et résolument destructeur : fermeture de deux usines à Toulouse et Tarbes, suppression de 200 postes, transferts d’activités. Le cœur de ce projet n’était pas la création d’une nouvelle usine à Toulouse mais la délocalisation de l’essentiel de l’activité de production de Toulouse vers l’étranger. Or contre ça ni JL MOUDENC ni Carole DELGA n’ont,sauf erreur,jamais rien dit ni fait.

Lorsqu’au début de l’année la direction nous a annoncé son projet de délocaliser la totalité de l’activité de l’usine de Montredon et de fermer l’usine de Labège, nous avons écrit à Carole DELGA et publié ce courrier. Dans les jours qui ont suivi, Carole DELGA a publié un communiqué condamnant sans ambigüité le projet de la direction ; elle a peu après redit son hostilité au micro de France Bleu tout en précisant – et je la cite fidèlement – qu’elle ne lâcherait rien. Depuis plus rien ; c’était il y a 6 mois.

S’agissant de JL MOUDENC, il n’a à notre connaissance exprimé aucune critique publique envers le projet de la direction, pas plus qu’en 2016 et 2020 lors des précédents plans de licenciements. Avec Monsieur MOUDENC c’est à chaque fois la même chose : on licencie sous ses yeux, il réagit en publiant un communiqué indiquant combien il est attaché à l’emploi toulousain puis il passe à autre chose.

Mais l’acteur public le plus lourdement responsable des déboires de Latécoère c’est l’Etat. C’est bien lui en effet qui a laissé deux fonds anglo-saxons pourtant très défavorablement connus, Apollo et Monarch, prendre les rênes de Latécoère en 2015. C’est encore lui qui laissé faire l’OPA par laquelle un fonds inconnu nommé Searchlight a pris possession de Latécoère en 2019. Et c’est lui enfin qui vient de rembourser aux banques 60% des PGE contractés par Latécoère pour un montant de 115 millions d’euros.

Je souhaiterais vraiment insister sur cette dernière information, toute fraîche puisqu’elle date de quelques semaines. Alors même que la direction de Latécoère venait d’annoncer la délocalisation de 150 postes de Montredon et Labège vers le Mexique, la Tchéquie et la Tunisie ; alors même qu’elle a utilisé l’argent des PGE (plus de 200 millions €) pour racheter depuis 2/3 ans des boîtes au Canada, au Mexique, en Espagne et en Belgique (pour un montant total de 150 millions €) ; alors même qu’elle a supprimé des centaines de postes en France au cours des 5/6 dernières années, l’Etat vole à son secours et lui verse inconditionnellement la somme colossale de 115 millions €. Il y a là un scandale prodigieux !

 

Pour que tout le monde comprenne, peux-tu nous préciser ce qu’il reste de Latécoère en 2023 ?

 

Voici quelques chiffres éloquents me semble-t-il : au 31 décembre 2010 le groupe comptait 3707 employés dans le monde dont 2027 en France donc environ 55% des effectifs du groupe étaient localisés en France ; au 31 décembre 2022 il en comptait 5918 dans le monde dont 1277 en France soit environ 20% en France. Donc en une dizaine d’années les effectifs internationaux du groupe ont progressé de 60% alors que ses effectifs hexagonaux ont régressé de 40% !!

Aujourd’hui la branche aérostructure, c’est-à-dire la maison mère, le Latécoère historique disons, compte à peine plus de 600 salariés en France alors que nous étions près de 1000 sur le seul site de la rue de Périole il y a 10 ans.

L’essentiel de l’activité de production a été délocalisé. Si le projet de délocalisation de l’usine de Montredon est mené à son terme, il ne restera plus en gros que l’usine de Gimont, soit 100 à 150 salariés répartis sur trois chantiers dont un devrait s’arrêter en 2026. Nous allons donc tout droit vers la fin de toute activité de production – du moins de production série – en France !

Pour ce qui concerne la 2° branche du groupe, la branche systèmes d’interconnexion aussi connue sous le nom de Latelec, j’ai moins d’informations mais elle possède encore plusieurs sites de production en France qui ne me semblent pas menacés à court terme.

 

Dans l’article publié dans Médiaparthttps://www.mediapart.fr/journal/economie-et- social/220223/toulouse-l-usine-latecoere-s-en-va-le-politique-bat-des-ailes tu précises « Il y a une responsabilité des donneurs d’ordres, en l’occurrence », est ce que tu peux préciser ces propos ? Dans le cas de l’automobile on a vu comment Renault et Stéllantis se sont débarrassés des fonderies dont celle de Decazeville dans l’Aveyron. D’autre part où en est-on du déménagement des machines ?

 

La question de la responsabilité des donneurs d’ordre est à nos yeux absolument capitale, cruciale, prioritaire et nous ne cessons de la marteler dès que l’occasion nous en est donnée. Nous l’avons encore fait récemment chaque fois que nous avons eu à nous exprimer contre le projet de délocalisation de l’usine de Montredon ; le premier message que nous véhiculions était celui-ci : « si on veut des usines en France alors il faut qu’Airbus paie un prix français »

Pour nous, le donneur d’ordres c’est donc Airbus qui reste notre premier client même si son poids relatif dans notre chiffre d’affaires a pas mal régressé. Et la question de sa responsabilité c’est donc la question du prix auquel il paie les biens et services que nous lui vendons.

Nous soutenons qu’Airbus exerce sur les prix des pressions constantes et démentielles qui sont la cause première des difficultés elles-mêmes constantes (défaut de rentabilité, endettement, etc…) de Latécoère et de bien d’autres acteurs de la chaîne d’approvisionnement.

Nous manquons de données pour objectiver notre propos car, comme chacun le comprendra, les informations commerciales étant particulièrement sensibles elles ne nous sont fournies qu’avec la plus grande parcimonie.

Quelques chiffres quand même. En 2017 l’expert de notre CE avait fait une étude établissant que sur la période 2017-2022 les évolutions tarifaires, c’est-à-dire le solde des hausses/baisses de tarifs, entraineraient une perte de chiffre d’affaires cumulée de 120 millions € dont 100 millions € au seul profit d’Airbus. Autrement dit ce que l’expert nous disait c’est qu’Airbus allait, du fait des baisses de tarifs qu’il nous imposait, nous piquer 100 millions € de CA sur la période 2017-2022 ce qui est considérable à l’échelle d’une entreprise comme Latécoère.

Autre exemple, il y a quelques années la direction nous annonce que la chaîne du Nose Fairing de l’A350 va être transférée de Gimont vers la Bulgarie (le pays de l’UE où les salaires sont les plus bas). Motif : les baisses de prix imposées par Airbus.

Autre exemple, il y a quelques années la direction nous annonce que la chaîne des portes de l’A320 –chantier parfaitement mature et optimisé que nous assurons depuis des décennies, longtemps à Toulouse et depuis le milieu des années 2010 à Prague – va être transférée de Prague vers la Bulgarie. Motif : les baisses de prix imposées par Airbus.

Latécoère a progressivement délocalisé depuis plus de 20 ans l’essentiel de sa production ; nous avons donc désormais le recul largement nécessaire pour juger de l’effet de ces délocalisations. Or que constatons-nous ?

En 2005, soit aux premiers temps des délocalisations, l’endettement était voisin de 300 millions € ; en 2015, soit quelques délocalisations plus loin, l’endettement était toujours voisin de 300 millions € ; en 2016, après une première recapitalisation, l’endettement était voisin de zéro ; en 2023, soit beaucoup de délocalisations plus loin, l’endettement est voisin de 300 millions €.

Conclusion : les délocalisations n’ont eu aucun effet sur la santé financière de l’entreprise alors même qu’elles nous ont systématiquement été présentées comme une condition sine qua non de celle-ci. Pourquoi ? Parce que les gains de productivité associés à ces délocalisations successives ont été captés par nos clients, singulièrement par Airbus.

Cette course sans fin aux délocalisations est donc le plus logiquement du monde vouée à un échec perpétuel. Sauf bien sûr pour les actionnaires d’Airbus, les créanciers de Latécoère, ses cadres dirigeants et supérieurs qui en profitent grassement.

 

Durant le mouvement social contre la réforme des retraites, les cortèges des salariés de l’aéronautique, étaient conséquents durant les journées de grève nationale. Mais la reconduction des grèves n’a pas eu lieu, comme à la SNCF, dans les raffineries ou dans l’énergie. Comment peut- on expliquer cette situation, alors que l’appel de l’intersyndicale était clair cette fois ci pour mettre le pays à l’arrêt ?

 

Je me garderai bien de donner une explication d’ordre général mais je peux parler de ce que j’ai observé ou ressenti chez Latécoère.

D’abord la participation aux manifs, au moins lors des premières journées, a été inédite chez nous sans être non plus massive. Nous n’avons pas de chiffre, ni sur les taux de grévistes ni sur le nombre de manifestants mais nous avons des yeux et des oreilles et nous avons bien constaté que les collègues ont été inhabituellement nombreux à participer aux premières manifs. Tant dans les ateliers où la participation aux manifs est traditionnellement meilleure sans être jamais exceptionnelle que dans les bureaux où – et c’est rarissime –nous avons vu pas mal de collègues sortir.

Pour ce qui est de la reconduction, je dois avouer que nous n’avons mené aucun travail syndical en ce sens. Parce que nous n’avons pas senti d’énergie, de force, de volonté pour aller plus loin. J’ai bien conscience que s’abstenir d’agir parce qu’on anticipe un échec est une bien piètre pratique syndicale qui ne peut mener elle-même qu’à l’échec. Or pourtant je n’ai aucun regret (ou pas beaucoup) car je suis foncièrement convaincu que toute tentative était vouée à l’échec.

 

Tu as participé activement à l’organisation des manifestations à Muret, sans aucun doute celles-ci auront permis à beaucoup de salarié e s, de retraité e s…de participer aux manifestations. Peux tu nous expliquer comment la décision a été prise ? Qui participait à ces manifestations ? Une fois les manifestations terminées, que reste t’il de toute cette activité collective ?

 

Je suis effectivement membre de l’Union Locale CGT de Muret qui est une UL très dynamique portée par un secrétaire général, Emmanuel BALDY, que je tiens pour un militant de tout premier plan et qui est pour beaucoup dans la vitalité de notre organisation.

La décision d’organiser des manifs à Muret a été prise très simplement : à la demande de la population muretaine. Dans les premiers temps nous diffusions des tracts à la gare, sur le marché ou ailleurs pour appeler à participer aux manifs toulousaines et à force de nous entendre dire « c’est dommage qu’il n’y ait pas de manif à Muret », « c’est compliqué d’aller à Toulouse », « ça va encore castagner à Toulouse », etc… on a finalement et rapidement décidé d’organiser nos propres manifs à Muret avec le soutien immédiat de nos camarades de la FSU et aussi avec des gilets jaunes avec qui nous avons noué des relations et qui ont participé à plusieurs de nos initiatives.

Qui participait ? C’est difficile de répondre à cette question car on n’a jamais fait d’enquête pour savoir d’où venaient – géographiquement ou sociologiquement – les manifestants muretains. Mais ce que je peux dire – et qui ne répond pas à la question posée – c’est que nous avons drôlement bien fait d’organiser ces manifs, apéros, repas et autre fête populaire vue la participation toujours bonne et parfois exceptionnelle – jusqu’à près de 3000 manifestants – de la population.

Que reste-t-il ? La démonstration concrète qu’il existe dans ce pays au-delà des cortèges des grandes agglomérations une force massive, profonde et mobilisable.Et c’est beaucoup, notamment beaucoup de motivation pour poursuivre notre inlassable et indispensable travail militant.

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