Laurent Berger passe la main

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C’était prévu depuis le dernier congrès confédéral de la CFDT en juin 2022 : Laurent Berger cède sa place de secrétaire général à Marylise Léon, secrétaire générale adjointe. Il s’explique un peu plus dans une interview au Monde du 20 avril 2023.

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Secrétaire général de la CFDT depuis novembre 2012, Laurent Berger a annoncé, mercredi 19 avril, au bureau national de son organisation qu’il cédera cette responsabilité le 21 juin prochain. Marylise Léon, actuellement numéro deux de la confédération, va lui succéder. Dans un entretien au Monde, il affirme que le syndicalisme sort « gagnant » du mouvement d’opposition à la réforme des retraites.

Vous venez de dire à vos instances que vous allez quitter vos fonctions le 21 juin. Pourquoi le faire ainsi en plein conflit sur la réforme des retraites ?

J’avais dit, lors de notre congrès en juin 2022, à Lyon, que je m’en irais en cours de mandat. Il s’agit d’une décision mûrement réfléchie, arrêtée dès la fin 2021, après discussion avec mes collègues de la commission exécutive. Ce n’est ni un coup de tête ni un choix dicté par l’actualité. Je souhaite tout simplement respecter des règles collectives et une forme d’éthique personnelle, liées au fonctionnement démocratique de la CFDT. Celle-ci n’est pas un parti, elle n’est pas non plus une entreprise personnelle : c’est une organisation collective. Il est normal qu’elle s’incarne dans des leaders, mais il est aussi normal qu’elle se renouvelle.

J’occupe ce poste depuis dix ans et demi, soit une durée proche de celle des mandats de mes prédécesseurs, François Chérèque et Nicole Notat. Initialement, je songeais partir un tout petit peu plus tôt, en juin 2022, mais il aurait été compliqué de le faire à ce moment-là.

Pourquoi avoir remis en cause le calendrier ?

Nous venions de traverser l’épidémie de Covid-19, avec plusieurs chantiers qui n’avaient pas été menés à bien en interne. La période présentait de gros risques, sur le plan politique. Il fallait donc une CFDT qui puisse peser, sans avoir à gérer une phase de transition qui aurait pu s’accompagner de flottements. En outre, je suis président de la Confédération européenne des syndicats jusqu’au mois de mai et j’aurais dû abandonner cette responsabilité avant cette date si j’avais cédé la place de secrétaire général de la CFDT en juin 2022.

Vous en allez-vous à cause d’une forme de lassitude ?

Non. La fonction est, certes, exigeante, et j’ai beaucoup d’autres aspirations – par exemple consacrer plus de temps à ma famille, à mes amis. Mais je ne pars pas en ayant ras le bol de la CFDT. S’il y a bien une chose qui ne me fatigue pas, c’est la passion militante et celle que j’éprouve pour les militantes et les militants de notre organisation syndicale.

Que ressentez-vous, à deux mois du départ ?

C’est une décision chargée d’émotion, bien sûr. Mais on ne vient pas là pour se servir. On vient là pour servir. J’ai toujours considéré que la responsabilité que j’ai endossée était merveilleuse, que c’était une forme de don qui m’avait été accordée avec la mission d’emmener la CFDT là où je pouvais.

Comment la nouvelle sera-t-elle perçue en interne, selon vous ?

Il faut que les militants comprennent une chose : on est de passage et il vaut mieux transmettre le témoin quand on est bien lancés. C’est le cas de la CFDT. Je suis ravi d’être dans un syndicat mature, alors que ça peut s’avérer plus compliqué dans d’autres organisations ou dans des partis politiques. Tout se passe sereinement, personne ne m’a demandé de partir.

Qui va vous remplacer ?

J’ai proposé au bureau national que ce soit Marylise Léon, qui est secrétaire générale adjointe depuis 2018. Elle est capable, avec l’équipe qui sera autour d’elle, d’impulser un nouvel élan, comme j’ai essayé de le faire, à partir de 2012 jusqu’à aujourd’hui. Elle est dynamique, elle a une compréhension du monde du travail qui est forte, parfois plus fine que la mienne – par exemple sur la question des nouvelles formes d’emplois. Elle s’est battue avec énergie lors des négociations sur l’assurance-chômage et elle est convaincue que la transition écologique doit s’effectuer de façon juste sur le plan social. Elle est appréciée au sein de la maison, elle est proche des gens, humaine.

Comment la CFDT s’y est-elle prise pour arrêter son choix ?

A la CFDT, ce n’est pas le chef qui décide. On en a beaucoup discuté entre nous. C’est un processus collectif, qui s’est passé de façon apaisée et sereine, très naturellement. Je crois qu’il est important que des femmes soient à la tête d’organisations syndicales.

 ManifCFDT

Ne craignez-vous pas que l’on vous reproche de quitter le navire en pleine bataille des retraites ?

C’est tout l’inverse. Je pense que, le 21 juin, je laisserai une CFDT qui va bien. Elle compte 31 000 adhérents en plus depuis le début de l’année. Elle a créé plusieurs centaines de sections syndicales. Elle est la première organisation syndicale de ce pays. Elle est reconnue comme une organisation responsable, combative, constructive.

J’ai conscience que c’est une période particulière. Mais qui vous dit que ça ne sera pas la même chose en octobre ? Ou en juin ? J’ai déjà repoussé d’un an, car c’était une période particulière. En réalité, je crains qu’on ne vive que des périodes particulières, que ce ne soit jamais le bon moment. C’est d’ailleurs souvent le prétexte invoqué par certains – des hommes, le plus souvent – pour se présenter comme indispensables. Je ne suis pas indispensable à la CFDT. Notre organisation saura affronter les moments à venir avec Marylise [Léon].

Ne pensez-vous pas que partir maintenant contribue à affaiblir le mouvement social au sein duquel vous occupez une position centrale ?

Non, car le mouvement social est riche des travailleurs et des travailleuses qui se mobilisent. Je sais bien que j’ai joué un rôle dans la contestation de la retraite à 64 ans. Je n’en ai pas fini, d’ailleurs. Je vois aussi que, dans un monde un peu paumé, on a besoin d’une organisation syndicale comme la CFDT pour fixer des repères en matière de démocratie et de justice sociale. J’en ai été le porte-voix, la CFDT l’a fait sérieusement. Mais c’est horrible de constater que, dans notre pays, passer la main peut être vu comme un abandon ou un renoncement. Ce qui devrait être valorisé, c’est justement le fait de passer la main à la tête d’une organisation collective, car d’autres sont capables d’assumer cette fonction.

Avez-vous été gêné d’être présenté comme étant celui qui occupait la pole position dans la contestation de la réforme des retraites ?

Quand la personnalisation d’un mouvement sert le collectif, il faut l’utiliser. Mais je ne me sens pas à l’aise avec l’hyper-personnalisation, car je suis un produit de l’éducation populaire : on y apprend à exercer le militantisme les uns avec les autres. Cette dimension-là, j’ai veillé à la respecter, dans le cadre de l’intersyndicale que nous avons constituée contre la retraite à 64 ans. Je n’ai pas cherché à tirer la couverture à moi. Cela étant, je suis très satisfait que la CFDT ait assuré une part du leadership, sachant que d’autres organisations se sont impliquées.

Allez-vous vous engager en politique ? Des macronistes vous soupçonnent d’avoir cette ambition, tandis que, à gauche, certains considèrent que vous pouvez incarner une solution de rassemblement pour une social-démocratie qui se cherche ?

Non, je ne serai pas candidat en 2027.

Ni en 2032 ?

[Rires]. Je ne sais plus comment il faut le dire. Je ne m’engagerai pas en politique. Est-ce que je continuerai à faire de la politique, c’est-à-dire participer à la vie de la cité ? Oui. Si certains croient que je vais me taire, c’est une erreur. Je poursuivrai ma vie de militant, je m’engagerai encore – pour la justice sociale, la transition écologique et les droits humains. Je vais rester un militant européen et un militant pour la démocratie. Je me battrai jusqu’au bout pour éviter le drame de l’extrême droite. Mais je ne ferai pas de politique, au sens où on l’entend trop souvent.

Certains, parmi les soutiens du chef de l’Etat, ont voulu accréditer cette idée pour me nuire et pour nuire à la CFDT. Il faut qu’ils se détendent, il n’y a pas de sujet. La CFDT est une organisation syndicale à laquelle on n’assigne aucun rôle. Elle fait ce qu’elle entend faire, y compris sur la vie de la cité ou sur des sujets de société. Quant aux personnalités de gauche qui penseraient que je pourrais être un recours, ça devrait les inciter à travailler beaucoup plus sur le fond, à saisir la complexité de la société, à parler du travail, des inégalités, de l’économie, des services publics, de fiscalité – avec nuance et sans caricature. Ça devrait aussi les conduire à parler d’Europe pour voir comment on la construit, et non pas comment on la conspue.

Quelles formes la poursuite de votre vie de militant prendra-t-elle ?

Je n’ai aucun point d’atterrissage professionnel ou militant. Je n’ai pas eu le temps de m’en occuper. Ça peut revêtir des engagements bénévoles ou professionnels. Là où je serai, je ne veux pas gêner Marylise [Léon]. Ni la CFDT. Il n’y aura pas de fantôme, quelque part, au-dessus de notre organisation.

La réforme des retraites a été promulguée alors que l’intersyndicale avait demandé au président de la République de ne pas le faire : est-ce une défaite du mouvement social ?

Non. La défaite du syndicalisme, c’est quand on n’a pas fait ce que l’on aurait dû faire. Le pire aurait été que cette réforme passe sans encombre, comme si elle ne soulevait aucun problème. Depuis trois mois, les travailleurs et les travailleuses ont exprimé une forme de dignité et j’espère qu’ils agiront encore ainsi, le 1er-Mai, en descendant dans la rue de façon massive.

En réalité, tout le monde est perdant à l’issue de cette séquence sur les retraites. C’est le cas pour les travailleurs et les travailleuses, qui vont devoir travailler deux ans de plus, avec une loi encore plus déséquilibrée, puisque le Conseil constitutionnel a invalidé plusieurs mesures avec un – faible – contenu social. C’est aussi le cas du gouvernement, qui a perdu le fil avec la réalité du travail et le monde du travail, qui n’est capable d’en parler que de façon théorique. Et c’est également le cas pour notre démocratie, avec un lien entre démocratie politique et démocratie sociale qui est très abîmé. C’est un rendez-vous manqué, à cause de l’exécutif, de sa volonté d’imposer une mesure paramétrique absurde, sans parler du travail.

Mais le combat n’est pas fini. Il y a le 1er-Mai, la deuxième demande de référendum d’initiative partagée – sur laquelle le Conseil constitutionnel doit se prononcer le 3 mai. Nous verrons aussi s’il faut contester devant le juge administratif des décrets d’application. Et nous serons vigilants sur la mise en œuvre des mesures, qui s’annonce compliquée sur un plan concret pour les personnes qui liquideront leur pension à partir de l’automne, en vertu des nouvelles règles.

Est-ce que le front syndical risque de se désunir après le 1er-Mai, sachant que la CFDT a dit qu’elle n’allait pas manifester pendant six mois, tandis que d’autres organisations aimeraient prolonger l’épreuve de force ?

Ce qui peut fracturer l’intersyndicale, c’est de ne pas décider ensemble ou de ne pas respecter ce qu’on a décidé ensemble. Autrement dit, il y a deux risques. Le premier serait de tomber dans des logiques solitaires. Personne ne veut ça. L’autre risque serait de faire croire aux salariés que c’est la succession de journées de mobilisation qui feront revenir le président de la République en arrière, alors qu’il y en a eu douze et qu’il ne nous a ni reçus ni écoutés. Je n’ai pas envie de faire perdre des journées de salaire, du fait de grèves, à des travailleurs de la deuxième ligne, en faisant miroiter une issue positive et en terminant avec des mobilisations chétives, à 100 000 personnes dans la rue sur toute la France.

Il faudra que nous rediscutions de la stratégie à adopter. Mais deux enseignements peuvent déjà être tirés de l’intersyndicale : quand nous sommes clairs sur les objectifs et sur les façons de fonctionner, nous sommes plus forts ; quand on sait s’adresser aux salariés sans leur mentir, nous contribuons à redorer le blason du syndicalisme.

Une enquête du Cevipof, conduite fin 2022 et publiée quelques mois après, montre que les Français n’avaient pas une grande confiance dans les syndicats. Après ces trois mois de lutte, quel regard portez-vous sur le syndicalisme ?

Les choses se sont très clairement améliorées. Dans les sondages les plus récents, il y a autour de 50 % d’opinions positives en faveur des syndicats. Je pense que le syndicalisme a démontré sa capacité d’écoute du monde du travail et sa centralité. Il est, certes, mortel, comme toutes les institutions, si on n’en prend pas soin. Pour conjurer ce risque, il faut se recentrer sur le travail et les travailleurs. C’est ce qu’a fait la CFDT. On sait tous que là où les droits sont les meilleurs, c’est là où le syndicalisme est implanté.

Dès que le syndicalisme est en phase avec le monde du travail, qu’il ne se fout pas sur la gueule pour des futilités entre organisations – sans mentir, non plus, sur ce que sont les divergences en son sein –, il peut rassembler de plus en plus largement. Je crois qu’il sort gagnant de cette période. Il reste à faire fructifier ça par des adhésions, par la création de sections syndicales et en tenant compte de la maturité qui a été la nôtre dans la gestion de cette intersyndicale pour continuer de faire vivre des relations saines et respectueuses entre syndicats. Car c’est une vraie richesse.

La période qui vient de s’écouler a-t-elle permis de progresser en termes de dialogue et de coopération entre syndicats ?

Oui, c’est un acquis qu’il faut conserver et il appartiendra à chacun de s’y employer. La CFDT saura le préserver sans mensonge, c’est-à-dire qu’on ne va pas vivre dans une intersyndicale permanente. Mais il faudra avoir des rendez-vous intersyndicaux réguliers pour se parler de la situation vécue par les travailleurs. Les travailleurs ont besoin de propositions, de solutions, de résultats – pas de dogmes. A chaque fois qu’on pourra le faire ensemble, il faudra procéder de la sorte, sans se voiler la face en cas de désaccord, sans se cracher à la figure. Moi, je n’ai jamais eu d’ennemis pendant mes dix ans à la tête de la CFDT, hormis l’extrême droite. Le maître mot de mon mandat aura été le respect de mes interlocuteurs.

Avec votre départ de la CFDT et celui de Philippe Martinez de la CGT, craignez-vous que Marylise Léon et Sophie Binet doivent reconstruire de zéro ce que vous aviez réussi à bâtir ?

Il leur appartiendra d’apprendre à travailler ensemble, à se connaître et à se reconnaître. Ça ne s’impose pas. Mais il faut faire prospérer la période actuelle, c’est-à-dire réussir à travailler malgré les divergences. Je sais que Marylise [Léon] en est tout à fait capable.

Avez-vous des regrets sur la façon dont la contestation contre la réforme des retraites a été menée ?

D’abord, elle n’est pas finie. Il y a encore le 1er-Mai, notamment. Je ne regrette pas la façon dont nous avons procédé. Nous avons fait notre travail de critique, de mobilisation, en tenant compte de la grande diversité sociologique et géographique de cet élan de protestation, auprès des parlementaires. Dès le départ, nous avons dit que nous voulions le soutien de l’opinion publique et la mobilisation en masse : on les a eus jusqu’au bout. C’est dommage que, dans notre pays, la démocratie politique ne soit pas capable de reconnaître et d’écouter la démocratie sociale.

La démocratie sociale ressort-elle abîmée de cette séquence ?

Oui, je l’ai déjà dit, et je le répète, il y a une crise démocratique, liée à trois facteurs. D’abord, la défiance envers les institutions est très forte. Ensuite, il existe un ressentiment social très puissant, avec la sensation – chez beaucoup – de ne pas être reconnus, notamment pour tous les travailleurs de première et de deuxième lignes. Enfin, l’expression citoyenne n’a pas été reconnue. Ça crée une forme de colère. Dernier élément à ne pas négliger : la progression de l’abstention aux élections politiques, qui est inquiétante. Alors que, ces derniers temps, le taux de participation progresse dans les élections professionnelles.

Des membres du gouvernement estiment que vous sortez de votre rôle quand vous parlez de crise démocratique et que vous vous radicalisez. Que leur répondez-vous ?

Le camp présidentiel voudrait assigner la CFDT à un rôle, mais personne ne peut le faire. Dans son histoire, la CFDT a milité pour la décolonisation. Est-ce un sujet social ou d’entreprise ? Sur les questions de démocratie, quand il a été question de l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national, la CFDT ne s’est jamais tue, notamment dans l’entre-deux-tours en 2022. On aurait pu rester silencieux si on avait dû se cantonner à un rôle.

Nous nous serions radicalisés sur la période récente ? C’est faux, archifaux. C’est le président de la République qui s’est radicalisé. Il avait promis en 2022 de changer de méthode, mais l’engagement n’a pas été tenu. Il avait même fait d’autres promesses sur les retraites en 2017, en défendant un projet de système universel, qui nous allait plutôt bien, au départ, dans son principe, même si nous en avons critiqué certaines modalités. Donc, qui a changé ? Pas la CFDT.

Vous parlez d’un délai de décence avant de revenir à la table des négociations. Allez-vous participer aux discussions que souhaite engager le gouvernement sur le travail ?

D’ici au 1ᵉʳ-Mai, il n’y aura pas de discussion avec l’exécutif. Nous n’avons pas été reçus pendant trois mois. Et un mail de l’Elysée reçu le soir de la promulgation de la réforme, vendredi, à 23 h 5, pour nous dire qu’on allait être invités à une réunion devrait suffire ? Ce n’est pas décent. Après, nous sommes des syndicalistes. Quand il faut discuter de la défense des salariés en matière de salaires, de protection sociale ou de conditions de travail, on y va. Mais dans quelles conditions ? On va avoir des exigences en termes de méthode. On ne va pas rêver de coconstruction, on connaît nos interlocuteurs, mais on exigera plus d’écoute des propositions et revendications des organisations syndicales. On veut des assurances sur la méthode et sur le fond.

Quelle sera la position de la CFDT si ces exigences ne sont pas satisfaites ?

On dira qu’il n’y a rien de possible. Que les discussions ne sont pas fructueuses encore une fois. On jugera sur pièces. De toute façon, on n’ira pas discuter de mesures techniques ou symboliques. On veut de vrais changements pour le monde du travail. Quels sont les gros sujets ? La question de la négociation obligatoire de l’organisation du travail dans les entreprises, la part plus importante des travailleurs dans la gouvernance, le droit d’expression des salariés, la conditionnalité des aides publiques, revoir certains points des ordonnances de 2017 qui ont réécrit le code du travail. Nous voulons que les vrais sujets soient mis sur la table.

Ce qui s’est exprimé dans ce mouvement social, ce que le gouvernement n’a pas voulu voir, c’est l’expression incroyable et très démocratique du monde du travail qui pose de nouvelles exigences : en termes de respect et de reconnaissance, de partage des richesses, de salaires dignes, de conditions de travail, d’une protection sociale, de lutte contre la pénibilité, sur la question d’une retraite digne et pas trop tardive.

Lundi soir, le président de la République a invité les partenaires sociaux à conclure un « pacte de la vie au travail » : la CFDT va-t-elle œuvrer en ce sens ?

La CFDT croit au progrès social. Cela va bien au-delà d’un concept. Ce que nous voulons construire, ce sont des améliorations concrètes pour les travailleurs en matière de salaires, de conditions de travail, d’emploi et de protection sociale. Le patronat a aussi une responsabilité à assumer !

Avant de passer la main, Philippe Martinez avait dit qu’il avait le sentiment qu’Emmanuel Macron avait « marché sur les syndicats ». Est-ce aussi votre avis ?

Je ne crois pas qu’il a marché sur les syndicats, parce qu’on s’est élevé très haut. On a levé la tête et on a répondu. En revanche, je crois, malheureusement, que le président de la République s’est essuyé les pieds sur les travailleurs et les travailleuses. Et c’est ce qui me préoccupe le plus. A chaque manifestation, j’ai redescendu les cortèges et j’ai vu des milliers de visages qui étaient là pour eux ou par solidarité avec d’autres. C’est à eux qu’on s’est mal adressé. Et c’est ce ressentiment-là, face au mépris qui a été exprimé, qui m’inquiète. J’espère que ça n’engendrera pas une colère démocratique qui tournera du mauvais côté.

Quel bilan tirez-vous des six années d’Emmanuel Macron au pouvoir ?

Je crois qu’il y a une incompréhension de ce que sont la démocratie sociale et l’épaisseur d’une société. Et il y a une forme d’insensibilité aux inégalités et aux injustices sociales.

Que retenez-vous de vos dix années à la tête de la CFDT ? Avez-vous des regrets ?

Je ferai mon bilan en juin. Mon regret, c’est qu’on n’ait pas été assez fort sur le recrutement de nouveaux adhérents. On a d’ailleurs un problème de syndicalisation dans notre pays. On a essayé de faire des efforts, mais ça n’a pas toujours payé. La chose dont je suis fier, c’est que la CFDT soit devenue la première force syndicale du pays. Et, à titre personnel, vous ne trouverez personne qui pourra dire que je lui ai manqué de respect : quand on exerce des responsabilités dans la vie publique, ce n’est pas rien.

Bertrand Bissuel et Thibaud Métais

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