Les 30 ans de la FSU

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Le 11 octobre 2023, la FSU commémorait ses 30 ans d’existence (1993-2023) par une journée très dense. La matinée était consacrée aux évènements qui ont conduit de l’exclusion de la FEN (Fédération de l’éducation nationale) en 1992 à la fondation de la nouvelle fédération et ses premiers succès. L’après-midi aux enjeux posés par le mouvement social de 2023 pour le syndicalisme. Et enfin une intéressante table ronde entre responsables FSU, CGT et Solidaires. Un débat sans langue de bois !

A partir de prises de notes (que nous espérons fidèles), nous restituons quelques moments de cette initiative, et la table ronde intersyndicale. D’autres moments de cette journée ne sont pas ici repris (faute de notes) et seront consultables ultérieurement lorsque la vidéo de la journée sera disponible.

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La FSU : une histoire insérée dans les luttes

C’est Paul Devin, président de l’Institut de Recherche de la FSU, qui introduit la journée. La FSU est donc officiellement née le 15 avril 2023, après une séquence tumultueuse où la direction de la FEN a voulu inaugurer une « recomposition » syndicale en commençant par exclure le syndicat national du second degré (SNES), animé par le courant Unité et Action (historiquement proche de la militance communiste). Paul Devin rappelle la force des statuts fondateurs : « une force syndicale unitaire, indépendante du gouvernement, pluraliste et démocratique ». Laïque aussi bien sûr, et n’opposant pas « la défense des revendications avec la transformation sociale ». Elle contraste beaucoup dans son fonctionnement avec le centralisme de la FEN. Ainsi met-elle en avant la primauté du dialogue et de l’écoute mutuelle. La fédération repose sur un triptyque : ses syndicats nationaux, ses sections départementales, et les tendances, le tout de manière « indissociable ».

RAPH_88Raphaël Szajnfeld 1988 (Le Maitron)

« La percée flamboyante » : c’est ainsi que Raphaël Szajnfeld, instituteur et militant du SNI-PEGC de la FEN, puis du SNU-IPP de la FSU, retrace le démarrage de la FSU dans le Tome 1 de son histoire, paru en 2010 et couvrant la période 1993-1997. Un Tome 2 est maintenant sorti en 2019 : « Dans la cour des grands », éditions Syllepse, avec d’autres auteurs et autrices. L’exclusion du SNES (enseignement secondaire) et du SNEP (éducation physique) de la FEN en 1992, répond à la perspective d’un nouveau syndicalisme interprofessionnel sous tutelle sociale-démocrate. On est sous le septennat de Mitterrand et le PS craint un éloignement des secteurs populaires. Pour résister à cette opération, il se forme alors un Comité de liaison unitaire (CLU) qui associe les structures FEN refusant la scission, entre février et mars 1993. Le CLU deviendra la FSU en avril. Dès octobre, la nouvelle fédération mobilise 30 000 personnes à Paris. Elle s’inscrit très vite dans le renouveau des luttes sociales de ces années, devient vite la première organisation en syndicalisation, puis sur le plan électoral dans la fonction publique de l’Etat (décembre 1996), après le grand mouvement de décembre 1995. C’est donc bien une « percée » rapide !

L’historienne Danièle Tartakowsky revient en détail sur ce « moment singulier » du début des années 1990. Les « fortes mobilisations » (parallèles à la naissance des mouvements altermondialistes) sont « intriquées » avec l’apparition de nouveaux syndicats, nés d’exclusions bureaucratiques, débouchant sur des renaissances. C’est donc la FSU dans l’Education nationale, après SUD PTT et SUD Santé-Sociaux en 1988-89 : au congrès de Strasbourg de la CFDT, Edmond Maire avait dénoncé les « moutons noirs » qui mènent des luttes combatives perturbant le « recentrage » CFDT. Le processus des SUD aboutit, avec le « Groupe des 10 » (syndicats nationaux pour partie issus du refus de la scission CGT de 1948-49), à fonder l’Union syndicale Solidaires en 1997.  Ainsi les projets très « politiques » et très brutaux qui prétendent regrouper le syndicalisme en commençant par briser ceux qui existent (FEN) ou par des exclusions (CFDT) échouent. L’opération politique était bien, dans le contexte d’un Parti socialiste au pouvoir à la recherche d’une base syndicale, puis après la chute du mur de Berlin censée marginaliser la CGT, de construire par le haut un assemblage piloté par la FEN, avec la CFDT, FO, voire des secteurs CGT complaisants. Mais manque de chance :  dans FO, la nouvelle direction Blondel refuse cette opération, de même que Nicole Notat pour la CFDT. Celle-ci ayant un projet où le syndicalisme, de manière « autonome » par rapport aux partis, élabore son propre projet de société (mais soutient le plan Juppé en 1995…).

L’historienne décrit le « retour en force de la grève », après la décennie 1980. S’ensuivent une succession de dates phares et de mots d’ordre symboliques, à la fois dans des contextes nationaux et internationaux : « Un autre monde est possible », « penser global, agir local ». Des victoires partielles (1995) succèdent à « tant de défaites », unissant dans la rue la FSU, la CGT, FO, les SUD et le Groupe des Dix (puis Solidaires plus tard), et l’opposition CFDT.  Elle analyse la force des mobilisations comme étant en quelque sorte des « référendums d’initiatives populaires ». Ce qui peut déboucher sur un débat utile, dans un contexte néolibéral affirmé où les gouvernements décrètent : « Ce n’est pas la rue qui gouverne ».

Dans la foulée de cette séquence post-1995, lors du congrès constitutif de l’Union syndicale Solidaires en 1997 (où la FSU et la CGT sont présentes), celle-ci met également en avant la nécessité d’un « pôle syndical alternatif ». Dans cette phase, plusieurs syndicats SUD se multiplient, y compris parfois venant de la CGT (exemple : Alsthom), comme le rappellera Annick Coupé dans sa contribution.

Témoignages

Après ces cadrages historiques, le colloque des 30 ans se prolonge par des témoignages, en commençant par les anciens secrétaires généraux de la FSU, de Michel Deschamps à Bernadette Groison (avant Benoit Teste depuis 2019).

387777367_341926021560375_7043821431086650859_nCi-contre : La vidéo de Michel Deschamp (FB U&A)

Michel Deschamps (secrétaire général de 1993 à 1999) rappelle en vidéo la signification des trois lettres : F, S, U, met l’accent sur la « co-responsabilité » dans la construction pluraliste de l’outil commun (le droit des minorités), et sur l’exigence de « propositions alternatives » pour « réinventer le syndicalisme ».

 

Gérard Aschieri (de 2001 à 2010) décrit la dialectique complexe entre syndicats nationaux, sections départementales et courants de pensée (ou tendances), pour définir une orientation et aboutir à des « synthèses », tout en prenant en compte les « intérêts professionnels ».  Il n’est parfois « pas facile de trancher » (les statuts imposent 70% des voix pour y parvenir), mais « il n’y a pas d’unité sans respect du pluralisme ». De même, pour avancer vers l’unité syndicale (qui ne doit pas être « une reproduction de la FSU » en grand), s’imposent des formes « inédites dès le début » : « unité et pluralisme sont liés ».

images                                                                                                                                                                                                                                                                                                 Ci-dessus: Gérard Aschieri et Bernadette Groison

Jean-Michel Drevon, qui a représenté la tendance Ecole Emancipée dès le début au secrétariat national de la FSU, explique que « 1993 était une « révolution ». Au sens où cela a secoué à la fois l’Ecole émancipée (au prix d’une scission ultérieure) et le courant majoritaire Unité et Action, où le débat « s’est joué dans le SNU-IPP ». En effet dans l’enseignement primaire (dans le SNI-PEGC de la FEN, où le courant Unité et Action était minoritaire, contrairement au SNES exclu), il a fallu faire un choix pour rejoindre à la dynamique naissante de la FSU. Sur le profil unitaire actuel, il s’inspire du livre de Jean-Marie Pernot (« Ce qui ne peut plus durer » dans le syndicalisme), et défend la nécessité d’une « grande unité » articulée à la « petite unité » nécessaire du « syndicalisme de transformation sociale » (CGT, FSU, Solidaires).

decentralisation_150603_depechemidi_tarbes-14c86ci-contre : Jean-Michel Drevon

Nous complèterons ultérieurement ces témoignages avec le retour d’expérience d’Annick Coupé, presque concomitant avec la FSU, décrivant le parcours entre SUD PTT (1988-89) et l’Union syndicale Solidaires (1997), dont elle a été la première porte-parole.

Une table ronde qui fait réfléchir (Solidaires-CGT-FSU)

Après la séquence historique : retour à l’actualité avec une discussion ouverte sur le bilan du mouvement social et de l’intersyndicale de 2023. Prennent la parole des chercheurs, avec Franck Georgy (historien) et Jean-Marie Pernot (politiste), mais aussi Véronique Ponvert (Ecole Emancipée) et Marie Verron (du rassemblement Plus jamais ça, devenu Alliance écologique et sociale).

Attardons-nous maintenant sur le dialogue serré poursuivi ensuite entre Simon Duteil et Murielle Guilbert (co-délégué-es généraux de Solidaires), Thomas Vacheron (secrétaire confédéral CGT) et Benoît Teste (secrétaire général de la FSU).  Il est assez rare qu’un débat sans faux fuyant s’installe entre responsables syndicaux, ce fut le cas.

  • Murielle Guilbert (Solidaires) tient d’abord à réaffirmer que les « relations» avec la FSU (notamment) ne sont pas réduites à l’intersyndicale nationale, mais se déroulent à « plusieurs niveaux ». Elle pointe ainsi l’action régulièrement commune dans la fonction publique. Les « proximités », note-t-elle, se sont travaillées « au fil du temps ». Certes la CGT a quitté le collectif Plus jamais ça, mais cela n’arrête pas, ou ne doit pas arrêter l’action commune. Elle cite aussi « les 25 ans de l’intersyndicale femmes » (les journées de formation à chaque 8 mars). Et également le travail sur « l’antiracisme systémique ». Tout cela sans omettre pour autant « des différences ».

Simon Duteil poursuit sur la séquence 2023 : « le problème n’a pas été l’unité, mais la grève ». « On n’a pas réussi ». Il y a donc nécessité de se « co-renforcer », à l’heure où le pouvoir essaie de « co-agir » avec la droite et l’extrême-droite. « On prend l’eau », dit-il, alors que le RN est officialisé « dans le camp républicain ». Donc « on se parle », et c’est utile de « faire ensemble », vis-à-vis des autres (syndicats). Mais même si des divergences existent, sont-elles « frontales » ?  Par exemple sur l’écologie, qui doit être le « moteur de la transformation sociale », comment proposer réellement de changer « les systèmes de production » ? Il rappelle que Solidaires a posé publiquement la question de « la recomposition syndicale » a son dernier congrès (automne 2021), notamment face à la menace d’extrême-droite. Le congrès de la FSU en février 2022 a également été « un moment important avec la CGT » (intervention de Philippe Martinez).

  • Thomas Vacheron (CGT) rappelle qu’en effet, il y a souvent eu des « interventions à trois» pour l’unité des mouvements sociaux. Il met aussi l’accent sur la « gravité de la situation » : « la démocratie n’est peut-être pas éternelle ». Un « accident démocratique est possible », surtout qu’il constate qu’il n’y a « pas de débouché politique progressiste ». De plus, la politique de Macron depuis 2017 a accentué le repli dans l’entreprise, avec ce qu’il nomme « l’ordonnancement du droit du travail » et l’inversion de la hiérarchie des normes. Un patron a pu dire récemment aux syndicats : « Vous avez eu les lois Auroux en 1981, nous avons les ordonnances Macron en 2017 ». Tout repose donc sur les délégué-es de terrain, et les ordonnances accroissent « la compétition mortifère » entre syndicats. Certes il y a une intersyndicale nationale, mais elle n’existe « pas dans les entreprises ». Chacun a son histoire « spécifique », mais « que faire ensemble ? ». Il y a l’intersyndicale femmes. Sur l’écologie, un débat est nécessaire entre « la théorie », où il y a homogénéité de vue, et « la pratique », avec des différences. Ainsi les personnels de la fonction publique ont le statut salarial le plus protecteur parce qu’il met « à l’abri du licenciement et de la subordination ». Donc quand le débat sur la production remet en cause l’histoire sociale, cela devient compliqué « dans l’industrie, qui est polluante par définition », et dans le secteur privé. Il faut y aller « par étape, non par des décisions d’en haut ». Ainsi le congrès de la CGT de 2023, admet-il, est « plus en retrait sur l’écologie que celui de 2019 ». Pour avancer, le débat ne doit pas être minimisé, mais partagé par tous les salarié-es.  Abordant la question unitaire, il cite Marx : « la désunion brise la puissance du salariat ». L’union est donc un « prérequis », mais « qui ne suffit pas ». En effet dans la moitié du secteur privé « il n’y a pas de syndicats ». Il y a donc d’une part l’unité comme celle du 13 octobre. Mais sur « la recomposition », il pose le débat sur les « syndicats de métier », lesquels s’assemblent pour former « une fédération » (comme la FSU). La CGT, elle, est une « confédération », donc un autre défi. Il conclut en proposant de « viser un syndicalisme majoritaire à construire ensemble ».

 

  • Benoit Teste clarifie la portée de cette journée sur la FSU en précisant qu’il ne s’agit pas « de se regarder le nombril». 2023 a permis de rendre « visibles les revendications », mais, insiste-t-il, de manière « proche des métiers », afin d’être « en prise sur les réalités ». Ce qui n’est pas « un repli ». « Pas de posture », insiste-t-il, « ni servicielle, ni corpo ». Selon lui, le regroupement du syndicalisme « ne se fera pas du jour au lendemain ».  Il y aura des étapes, mais il faut quand même fixer un « horizon ». Faudra-t-il se rassembler « tous » ou « par bloc » ?  questionne-t-il. La FSU a fait l’expérience historique d’un « Comité de liaison ». A son congrès de février 2022, elle a proposé « un nouvel outil syndical » avec la CGT et Solidaires, mais « sans exclusive ». En fixant l’objectif d’une « transformation sociale », le syndicalisme « fait de la politique », à la fois dans l’urgence et contre « l’illibéralisme » montant. Celui-ci est « très inquiétant » car il nie la place des syndicats. L’enjeu est bien la démocratie « tout court », et pas seulement à l’Assemblée nationale. La FSU partage la nécessité d’une « vocation majoritaire » du syndicalisme à construire. Rassembler ne doit pas signifier le moins disant, mais le périmètre est bien « sans exclusive ». La FSU ne partage pas l’idée d’un « camp radical » contre un autre. Il faut viser bien au-delà des trois organisations, comprendre ce qui s’est passé « dans les congrès », savoir prendre en compte le secteur privé, et admettre également que « le sociétal est aussi social ». Pour travailler la question écologique, la FSU est dans l’Alliance écologique et sociale, mais il y a nécessité d’élargir ce cadre. B. Teste évoque aussi la question délicate des « tendances », tradition FSU « qui ne fonctionnerait peut-être pas ailleurs ». La FSU y tient parce que cela précise le cœur autour duquel « se discutent les régulations », afin de rassembler ensuite sur une synthèse. Dans la FSU il est aussi admis la « souveraineté » des syndicats dans leur champ professionnel. Elle se fixe un « horizon » à mettre en débat, mais aussi pour « se rénover ». Sans oublier les liens avec les associations, comme Attac. Il s’agit bien de « contribuer au développement du syndicalisme ».

Prise de notes : Jean-Claude Mamet

 

Remarque : Avec ces échanges, le débat devient concret sur la possibilité d’avancer (vite ou pas) vers un « outil syndical commun », et le lien avec la « grande Intersyndicale » à pérenniser. Quelle vision de « la transformation sociale », expression utilisée également par la CFDT ? Comment travailler à un « outil » lorsqu’on ne fonctionne pas de la même manière : syndicats nationaux et d’entreprises, place des métiers, secteur public et privé, industrie et services, fédération, confédération, tendances….

Comme « on » dit, on touche « aux points durs » !

JCM.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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