Retraites : Marylise Léon fait le point

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Dans une interview à Libération le 1er juillet 2025 (avec Franz Durupt), Marylise Léon, secrétaire générale de la CFDT, remet les choses au point sur l’attitude de la CFDT dans la dernière période et réaffirme son opposition à la loi de 2023 sur les 64 ans. Pour elle, l’intersyndicale n’a pas été « fragilisée« . 

Marylise Léon : « Nous n’acceptons toujours pas les 64 ans »

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Marylise Léon de la CFDT sur l’échec du « conclave» des retraites : « Nous n’acceptons toujours pas les 64 ans ». Alors que le Premier ministre semble encore croire à des discussions entre acteurs sociaux en vue d’un accord sur la pénibilité, la secrétaire générale de la CFDT affirme que c’est à lui de trancher.

 

 

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par Frantz Durupt

 

Si on écoute François Bayrou, le gouvernement reprend la main après ce qui n’est surtout pas un «échec», mais vous continuez de vous parler entre organisations syndicales et patronales en vue d’un potentiel accord global dans quinze jours. C’est bien ça ?

Vous avez bien écouté ce qu’il dit ! La réalité, c’est qu’il n’y a pas eu d’accord et il n’y aura pas d’accord dans le cadre du conclave. C’est ce qu’on a acté le 23 juin. Donc à ce stade, je considère que c’est un échec, mais pas sur tout. Les discussions ont permis de poser la question des retraites de façon nouvelle. On a aussi remis les sujets des femmes et de la pénibilité sur le devant de la scène ; pour la CFDT c’est important.

Vous ne discutez donc plus avec les autres membres de la concertation ?

A ce stade, j’ai des contacts avec mes homologues syndicaux, mais pas avec les organisations patronales. Si le Premier ministre veut une sortie positive de ces discussions, il reprend la main et il répond à nos demandes, qui sont extrêmement claires : des efforts financiers de la part des entreprises et un vrai système de réparation de la pénibilité qui ne soit pas un entre-deux.

Sur la pénibilité, François Bayrou évoque l’accord sur les reconversions que vous avez signé, en parlant d’une visite médicale à 45 ans…

(Rires) Oui, il essaye de patouiller un truc. Mais franchement, je n’ai pas bien compris. Pour nous, il y a une ligne rouge : notre approche de la reconnaissance et de la réparation de la pénibilité n’est pas compatible avec une visite médicale. Donc c’est la proposition de la CFDT ou rien. Si pour se faire comprendre il faut parler le plus clairement possible, je pense qu’on ne peut pas être plus clair.

Lui faites-vous confiance pour reprendre les avancées concernant les pensions des femmes ?

Il l’a repris comme un point positif, et je le partage évidemment. On vérifiera que c’est bien dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Ce que je retiens surtout, c’est qu’il reconnaît là que la réforme de 2023 était profondément injuste.

Si jamais demain Patrick Martin, le président du Medef, vous appelle pour parler pénibilité, les discussions reprennent ?

La fin du match conclave est actée. Mais s’il y a une volonté de la part du patronat de faire un pas vers nous, on est prêts à discuter.

Et vous, vous ne lancez pas de perche ?

A ce stade, non. Je pense que nous avons largement fait notre part du chemin. On va voir comment ça se passe, mais aujourd’hui, il est important que les objectifs soient clairs. Aucun équilibre ne pourra être recherché sans des efforts partagés avec les employeurs.

François Bayrou dit que vous étiez très très proches d’un accord… Pour le coup, vous semblez vous entendre avec le patronat pour dire que ce n’était pas le cas.

On n’a pas les mêmes lunettes que le Premier ministre. Sur la pénibilité, il y a une différence de philosophie, d’approche et un déni du côté du patronat. Après, ce n’est pas anormal, quand on est au cœur des discussions, d’avoir une vision différente des observateurs. Enfin, des observateurs perturbateurs parfois…

Vous faites référence au fait que François Bayrou ait fermé un retour aux 62 ans au mois de mars ?

Oui. Ce n’est pas très facilitant, c’est sûr.

Justement, sur l’âge légal, le gouvernement considère aujourd’hui que vous avez accepté les 64 ans.

C’est totalement faux, nous n’acceptons toujours pas les 64 ans. Il tire des enseignements qui n’ont pas lieu d’être. On s’en est expliqués avec le Premier ministre et la ministre du Travail quand ils nous ont reçus. Visiblement, on n’a pas été assez clairs. Donc il faut qu’ils comprennent que nos trois organisations [CFDT, CFE-CGC et CFTC, ndlr] demeurent opposées au décalage de l’âge légal. On l’a dit et redit, même si on a très vite compris qu’il y aurait une fermeture de porte côté patronal. C’est important que le gouvernement ne torde pas la réalité de nos positions. Le sujet est loin d’être réglé.

Est-ce que ce n’était pas le risque dès le départ, en participant à ce conclave, d’en arriver à cette situation ?

Il y avait mille et un risques, celui-ci parmi d’autres. Mais faire reconnaître aux organisations patronales et au gouvernement que la réforme 2023 est injuste, qu’il y a besoin de justice sociale dans les carrières des femmes et la pénibilité, c’est une occasion qu’on a saisie, parce que ça fait vingt ans qu’on milite pour cette reconnaissance de la pénibilité. Le jeu en valait la chandelle.

N’êtes-vous pas tombés dans un piège dès lors qu’aucune pression n’était mise sur le Medef et que le Premier ministre a dit que la réforme s’appliquerait sans accord ?

Non, je réfute cette idée. Je mesure les risques d’entrer dans la négo, mais surtout de ne pas y entrer. On a eu des moyens de lutter contre l’application pleine et entière de la réforme. Et c’est important de défendre notre vision de ne pas s’en remettre uniquement aux parlementaires.

L’alliance syndicale que vous aviez réussi à mettre en place en 2023 avec la CGT notamment, qui a quitté le conclave, n’est-elle pas fragilisée ?

Non, je ne pense pas. On a toujours été au clair sur ce sur quoi on n’était pas d’accord. Notre vision du régime universel à la carte, c’est notre mandat, mais dans le conclave on a aussi su s’adapter, car on sait que ce n’est pas le système de la CGC par exemple. Il faut mesurer le degré des maturités des liens qu’on a développés en 2023. On peut avoir des combats communs, mais on a des visions différentes. Ça ne nous empêche pas de travailler ensemble comme on a pu le faire encore cette semaine sur la question du devoir de vigilance, ou de défiler ensemble à la marche des fiertés à Paris samedi dernier.

Cela signe-t-il, comme on a pu l’entendre ou le lire depuis, un échec de la démocratie sociale, alors même que vous souhaitez tous prendre davantage la main sur le régime de base des retraites ?

Je ne suis pas aussi pessimiste, parce que la négociation n’a pas rien produit. Mais on voit bien qu’il y a aujourd’hui une difficulté à dépasser certaines postures. La discussion devait se prolonger sur le financement de la protection sociale, mais ce qu’on peut déjà tirer comme enseignement, c’est que le texte sur la table prévoyait bien le retour à l’équilibre en 2030. On a rempli notre mission. La balle est maintenant dans le camp du patronat, sur sa capacité réelle à passer à l’action.

N’y a-t-il pas besoin d’un peu de pression politique sur le patronat, avec un gouvernement qui le menace ?

Moi, les négos sous menace ou contrainte, ce n’est pas forcément mon truc ! Je ne sais pas si c’est ça qu’il faut, ou bien que le patronat en responsabilité s’interroge sur ce qu’il veut. Est-ce qu’ils veulent vraiment du paritarisme et de la négociation interprofessionnelle, ou est-ce qu’ils préfèrent le lobbying ? C’est à eux qu’il faut poser la question.

Une désindexation des pensions de retraite a semblé faire consensus dans le conclave. Cette mesure balayée dans le budget 2025 deviendrait acceptable ?

Aujourd’hui, on n’est pas dans la même situation financière que pour le budget 2025. On doit répondre à cette question de solidarité intergénérationnelle qui fait partie des débats qui montent. Il faut qu’on puisse, pour consolider le système par répartition, équilibrer les efforts. Pour les retraités, c’est 1,5 milliard d’euros par an. On en a débattu avec nos responsables et adhérents retraités, ça fait partie des efforts qu’ils sont prêts à consentir.

L’éventualité d’une censure du gouvernement cet automne sur le budget vous inquiète-t-elle ?

D’expérience, on voit l’immobilisme encore plus grand que suscite le fait d’avoir un changement de gouvernement, donc ça veut dire qu’on en prend encore pour deux, trois mois, et ce que je crains, c’est que les travailleurs trinquent. Mais je dirais à un Premier ministre, quel qu’il soit, qui aurait envie d’un peu de stabilité à l’automne que les décisions qu’il va prendre maintenant ne sont pas neutres pour l’avenir, y compris sur les retraites. Et positionner le RN en arbitre, c’est dangereux pour la démocratie. Extrêmement dangereux.

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