Une interview de Jean-Marie Pernot (Le Monde)

Share on FacebookTweet about this on TwitterShare on Google+Share on LinkedInEmail this to someonePrint this page

Alors que le syndicalisme peine à construire son unité face à la politique de Macron, Jean-Marie Pernot, dans une interview au quotidien Le Monde (daté du 20 octobre 2017), analyse très directement les difficultés.

4451632_3_70e0_jean-marie-pernot-chercheur-a-l-institut-de_85c48d66db650a1cc9ec640a8a2bebba

 » La CGT a choisi une démarche identitaire, c’est un pari extrêmement dangereux « 
 
  Jeudi 19 octobre, la CGT appelle à une nouvelle journée d’actions contre les ordonnances réformant le code du travail. Mais elle semble de plus en plus isolée : si Solidaires l’a rejointe, la FSU n’a pas souhaité s’associer à la mobilisation. Jean-Marie Pernot, politologue, spécialiste des mouvements sociaux et du syndicalisme, décrypte l’absence de stratégie unitaire de la part des principales organisations syndicales.
Pourquoi les syndicats ne sont-ils pas parvenus à se mettre d’accord sur une action commune alors que tous critiquaient la réforme du travail ?
Parce qu’ils n’en avaient aucune envie. La question est : y a-t-il ou non une volonté de trouver un chemin commun ? Chaque centrale syndicale pense qu’elle peut se renforcer en se distinguant des autres. Je pense qu’elles se trompent toutes. C’est dommage parce que dans chacune d’entre elles il y a des réflexions qui montrent une perception des enjeux de reconstruction d’un rapport de proximité avec les travailleurs. Mais il n’y a pas de stratégie qui va avec. Et encore moins de stratégie unitaire. Les syndicats sont inaudibles auprès des salariés, sans même parler des pouvoirs publics. S’ils ne sortent pas de ce réflexe anti-unitaire, ils vont au-devant du risque de l’insigni- fiance.
Comment expliquez-vous que les syndicats de fonctionnaires réussissent à s’entendre ?
La fonction publique est un milieu plus syndiqué, où les rapports de force syndicaux sont différents de ceux du privé. Le syndicalisme y est historiquement plus unitaire et la question salariale devient incontour- nable. Le syndicat qui se placerait à côté d’une mobilisation sur les sa- laires est mort.
Pourquoi la CGT a-t-elle de nouveau annoncé seule la date de sa mobilisation ?
Il y a une sorte de fuite en avant un peu incompréhensible. Les objectifs ne sont pas crédibles : on peut tou- jours demander le retrait des ordon- nances mais personne ne peut y croire. Le mouvement ne fait pas tache d’huile et l’enchaînement d’an- nonces unilatérales de journées sans objectif sérieux ne peut qu’écarter les autres. Laurent Berger – secrétaire gé- néral de la CFDT – l’a souligné : on ne répond pas à l’invitation à se joindre à un mouvement déjà calé. Les équipes FO qui ont suivi le 12 sep- tembre ne veulent pas entrer dans cette course à l’abîme. Et même la FSU a renoncé pour le 19 octobre.
C’est un choix qui est la rupture ef- fective avec la logique que Louis Viannet – secrétaire général de la CGT de 1992 à 1999 – avait cherché à im- pulser : celle du syndicalisme ras- semblé. Aujourd’hui, la CGT a choisi une démarche identitaire. C’est un pari extrêmement dangereux car elle risque d’afficher son isolement et un certain affaiblissement dans un contexte où son audience s’effrite. Le risque de cette tactique, c’est d’épuiser les forces alors que le combat de- vrait normalement être considéré comme à son début.
Comment percevez-vous la stratégie de la CFDT, elle qui a perdu sa place d’interlocuteur privilégié du gouvernement ?
La direction de la CFDT ne veut pas jouer le rapport de force, elle préfère le rapport de conviction entre gens de bonne compagnie : cela peut fonc- tionner quand les pouvoirs publics ou le patronat estiment que ça vaut le coup de l’écouter. Mais quand Ma- cron lui dit non sur les ordonnances, elle se retrouve démunie. Son secré- taire général ne peut que dire sa dé- ception mais ça ne définit pas une démarche syndicale. Ils n’ont pas de réponse à la demande de leurs mili- tants. Si le pouvoir politique sait où il va et passe par-dessus l’avis de la CFDT, elle ne sait que faire.
Qu’en est-il de Force ouvrière dont les cadres intermédiaires ont si- gnifié à leur direction qu’il fallait revoir leur copie ?
FO est très éclatée. Jean-Claude Mailly, son secrétaire général, a joué le même rôle que la CFDT avec la loi El Khomri. Il a fait pression auprès des pouvoirs publics pour éviter le pire. C’est utile, mais ça limite l’au- tonomie de positionnement sur l’en- semble. FO est apparu en grand écart avec ses positions antérieures. Les cadres intermédiaires se sont rebellés mais pas au point de se jeter dans les bras d’une CGT qui ne négocie pas.
En quoi la méthode du gouvernement a-t-elle pu déstabiliser certains syndicats ?
Du côté du gouvernement, ils savent à peu près où ils veulent aller et ils pensent avoir le terrain dégagé. Ça prend évidemment de court la CFDT ou même FO qui, du coup, essayent de voir s’ils peuvent obtenir certaines satisfactions sur les marges, ce que la CFDT appelle le syndicalisme de  » ré- sultats « . Mais le gouvernement, lui, agit au cœur de la relation sociale : le droit du travail, le système d’as- surance-chômage, les retraites. Nous sommes à un moment de bascule où prend forme un nouveau paradigme de la relation de travail qui, dans bien des domaines, rend la main au patro- nat. Si le mouvement syndical veut peser, il doit lui aussi viser le cœur et pas la périphérie et le faire ensemble. On n’en est pas là.
Comment les syndicats abordent- ils les réformes sur la formation professionnelle, l’apprentissage et l’assurance-chômage ?
Le plus gros enjeu est sur l’assu- rance-chômage. Que veut faire Em- manuel Macron ? Si c’est un renfor- cement du contrôle des chômeurs et la réduction tendancielle de leurs droits, il y a une base d’accord pos- sible entre les syndicats. Mais pour faire quoi ? Si c’est pour enchaîner des journées d’action sans autre de- mande que le retrait, c’est perdu d’avance. S’il n’y a pas unité d’action, ce n’est même pas la peine d’en parler.
Propos recueillis par Raphaëlle Besse Desmoulières
Print Friendly

One comment

  1. Bonne interview de Pernot. Comme souvent !
    Il faudrait néanmoins discuter en quoi le mot d’ordre de retrait est inopérant. Je crois qu’il l’est par ce qu’il n’apparaît pas d’alternative.
    Le mouvement syndical devrait en plus du retrait des mesures Macron et El Khomri :
    1 – se mettre d’accord sur une plateforme de propositions qui couvre l’ensemble des questions sociales (pas un catalogue mais salaires, licenciements, rtt, précarité, protection sociale)
    2 – travailler la relation au « politique » pour des déclarations communes unitaires sur un certain nombre de ces points afin de montrer les convergences.

    Pour cela il faut pousser à l’unité dans le mouvement syndical et travailler aux convergences (comité de liaison, meeting commun comme à Toulouse etc …)

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *