Noel Daucé, représentant associé de la FSU à la section Travail et emploi du Conseil économique social et environnemental (CESE), commente le récent avis du CESE sur « Travail, emploi et mobilités« . Notamment dans le contexte des mobilités d’emploi que doit produire la lutte contre les gaz à effet de serre, par exemple dans les transports.
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Travail, Emploi et Mobilité
Voté par le Cese le 13 novembre dernier, l’avis : « Travail, emploi et mobilités » a été élaboré par la section Travail, Emploi et ses deux rapporteurs : Michèle Chay et Laurent Clévenot. Il est profondément marqué par deux « préoccupations » centrales, économiques et sociales, bien sûr pas à la même échelle: le changement climatique et le mouvement des gilets jaunes.
« Le changement climatique ainsi que les risques majeurs et immédiats qu’il fait courir aux sociétés humaines, questionne fortement la tendance générale à l’accroissement des mobilités en relation avec le travail et l’emploi. Ce sont en effet les activités professionnelles des femmes et des hommes qui génèrent le plus fort besoin en déplacements quotidiens. Or une part très majoritaire de ces déplacements s’effectue en voiture individuelle, mode de transport le plus émetteur des gaz à effet de serre. »
Le dernier rapport du GIEC ou l’appel de 11000 scientifiques à sauver « notre maison » soulignent la progression inexorable des émissions de GES et le non-respect des engagements internationaux de limitation du réchauffement global.
Un autre sujet étroitement lié à la problématique de l’avis est également interrogé, quoique de façon très insuffisante : l’injonction de « mobilité généralisée », « qui a caractérisé la modernité du XXème et ce début du XXIème siècle ».
« Les questions de mobilités doivent être reliées à la modification radicale de notre rapport à l’espace et au temps depuis le milieu du XXème siècle, sous l’effet de moyens de transports plus rapide, du développement des systèmes de communication à distance et d’une interdépendance accrue des marchés associée à l’instantanéité des flux de capitaux. Dans ce contexte la mobilité géographique a été présentée comme un élément incontournable d’adaptation aux attentes du marché du travail. »
« Le sens et les conséquences de la mobilité varient beaucoup selon la position sociale, la profession et le genre. Les distances à parcourir et les durées pour se rendre au travail ne sont pas également soutenables pour toutes les catégories d’actifs. » « De plus les facteurs sociologiques liés à l’âge, à la qualification, au patrimoine, aux obligations inhérentes à la vie familiale, au coût du logement peuvent aussi expliquer la non-mobilité résidentielle qui pourtant permettrait de se rapprocher de son lieu de travail. Les évolutions observées liées à ces facteurs montrent que les mobilités contraintes se sont accrues au cours des dernières décennies. »
Celles-ci ont un impact plus grand pour « les personnes qui n’ont pas d’autres solutions que d’utiliser quotidiennement leur véhicule en solo en particulier dans les zones peu denses. »
Les politiques fiscales visant à la désincitation (par « un signal prix ») à la consommation d’énergies fossiles ont eu des conséquences concrètes sur les prix des produits pétroliers. « L’impact de l’évolution des prix des carburants sur le pouvoir d’achat des ménages des quatre premiers déciles de revenu est désormais clairement identifié. »
On voit bien dans le croisement de ces facteurs, un des éléments du déclenchement du mouvement des gilets jaunes avec la question majeure de la conjugaison de la justice sociale et environnementale.
Les éléments de diagnostic (comme souvent) sont solidement développés :
-un aménagement du territoire défaillant
-des trajets de plus en plus longs pour se rendre au travail
-de nombreux déséquilibres entre territoires urbains, périurbains et ruraux (cf. également l’avis du CESE / les métropoles : apports et limites pour les territoires.)
-une offre de logement trop éloigné des lieux de travail
-des modes de déplacements massivement dominés par l’usage individuel de la voiture
-des transformations de l’emploi accentuant encore plus la dépendance à l’automobile
-une couverture inégale du territoire en services publics de transports.
A ce titre, l’avis souligne que « dans un contexte où les investissements sur les lignes à grande vitesse reliant les grandes métropoles ont été priorisés, la question des moyens consacrés à une offre ferroviaire plus équilibré dans les autres territoires se pose avec plus d’acuité en raison des impératifs de transition écologique. La régionalisation de l’offre ferroviaire a suivi une logique de rentabilité économique plus que d’aménagement du territoire. »
Donc « face à l’urgence écologique et à l’exigence de justice sociale, un plus grand volontarisme dans les politiques publiques et une mobilisation du monde du travail sont nécessaires pour atteindre les objectifs que sont :
-l’adoption de modes de transports plus sobres et plus respectueux de l’environnement ; la réduction des mobilités ; une meilleure qualité de vie liée au travail découlant pour partie des deux précédant ; le développement d’un système de transports publics accessible à tous (politique tarifaire, gratuité, accessibilité aux personnes à mobilité réduite).
En effet, mieux organiser et réduire les déplacements liés aux activités professionnelles relève des politiques publiques à tous les niveaux, de la responsabilité sociétale et environnementale des acteurs économiques et administratifs, des travailleurs indépendants ainsi que des particuliers. »
18 préconisations suivent, plus deux formulées dans le cadre des mobilités dans les outre-mer.
Plusieurs concernent les autorités organisatrices de mobilités (AOM), chargées notamment « d’apprécier les besoins territoriaux… ». Mais la récente adoption de la loi d’orientation des mobilités (LOM) rend difficile la mesure de son efficacité.
Les préconisations 1/2/3/5/6/12 visent à compléter en matière de coordinations structurelles, de financement, de présence des représentants dans les instances de pilotage, le fonctionnement des AOM.
La LOM a complété le champ des négociations obligatoires dans les entreprises en y incluant les mobilités. Le CESE « appelle les partenaires sociaux à s’y investir pleinement » et recommande « la négociation d’un plan de mobilité dans toute entreprise de 50 salariés et plus, quel que soit le nombre de sites où se situent leurs emplois… » (préconisation7) Les plans de mobilités devant inclure « les mesures nécessaires à la promotion des mobilités actives et partagées » (préconisation8)
Face à l’extension des textes de loi et jurisprudence conduisant à demander aux salariés d’être plus mobile, le texte recommande « qu’une étude préalable à tout accord de performance collective impliquant une augmentation des mobilités géographiques soit rendue obligatoire pour en chiffrer les conséquences en terme de trajets domicile-travail…(durée, distance à parcourir pour chaque membre d’un ménage, bilan carbone).
La préconisation 13 est consacrée aux flottes d’entreprises et d’administrations qui avec les véhicules des professionnels indépendants sont à l’origine de près de la moitié des ventes de véhicules neufs. Le CESE recommande que des mesures incitatives soient adoptées pour favoriser la recomposition et la réduction des flottes d’entreprises et d’administrations par l’investissement dans les véhicules en autopartage, des flottes de vélo…ou pour des équipements différents (garage à vélo, bornes de recharge électrique). Il est ajouté « que des aides à l’équipement en véhicules propres et en bornes électriques soient apportées aux TPE et aux travailleurs indépendants…
Enfin deux sujets sont à distinguer.
La préconisation 16 pour le secteur de l’aide à domicile. Quant au deuxième il touche à la remise en cause directe des conséquences de la loi du 5 septembre 2018, visant à supprimer toute limite en termes de durée maximale ou de distance à parcourir pour la recherche d’emploi des chômeurs. Laissant aux seuls conseillers de Pôle Emploi la définition de tels critères dans le cadre de l’offre raisonnable d’emploi. La préconisation 14 recommande de rétablir des limites maximales pour les distances et les durées de recherche d’emploi.
L’avis n’a pas développé une réflexion structurée sur la question pourtant très intéressante de la gratuité des transports en commun ce que l’on peut regretter à l’heure de l’expérimentation positive opérée déjà par certaines villes (Dunkerque).
De même les mobilités fluviales et maritimes n’ont pu être suffisamment documentées en particulier pour les territoires d’Outre-mer.
Au final, un avis intéressant mais qui appelait d’autres ambitions et mesures pour se placer à la hauteur des objectifs réclamés par la situation climatique et sociale.
Noël Daucé