Dans les Bouches du Rhône, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, fait le point dans La Marseillaise sur la phase actuelle du mouvement social contre la réforme Macron. La lutte est » la casserolle » du Président, dit-elle. Intervenant sur la centrale à charbon de Gardanne, elle précise aussi une méthode de travail pour anticiper et articuler les droits sociaux et des « reconversions » écologiques lorsque qu’il peut y avoir des « contradictions« .
« Les salariés ne passeront pas à autre chose »
Réforme des retraites, suite
du mouvement social, 1er mai, abrogation de la loi, soutien
à la centrale de Gardanne et liens avec l’Union départementale CGT 13… Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, répond sans détour aux questions de « La Marseillaise » à l’occasion
de sa venue dans
les Bouches-du-Rhône, ce jeudi.
« Les salariés ne passeront pas à autre chose »
« Le niveau
de mobilisation
du 1er mai doit être très élevé. Il faut continuer
à se mobiliser »
Réforme des retraites, suite
du mouvement social, 1er mai, abrogation de la loi, soutien
à la centrale de Gardanne et liens avec l’Union départementale CGT 13… Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, répond sans détour aux questions de «LaMarseillaise»à l’occasion
de sa venue dans
les Bouches-du-Rhône, ce jeudi.
La Marseillaise :Vous êtes en déplacement dans les Bouches-du-Rhône, quelques jours après l’allocution d’Emmanuel Macron et la promulgation de la réforme des retraites. Vous appelez à poursuivre le mouvement. Concrètement, cela va prendre quelle forme ?
Sophie Binet : La première chose, c’est que l’intersyndicale met en perspective le 1er mai en appelant à faire de cette date une journée historique, inédite et exceptionnelle. Et cela va bien être inédit puisque, pour la première fois, l’ensemble des syndicats du pays appellent à ce 1er mai. Nous allons aussi lui donner une dimension internationale, ce qui correspond à son sens, car c’est une date de mobilisation internationale. Nous faisons venir à Paris des centaines de dirigeants syndicaux du monde entier. Ils vont venir pour marquer leur soutien à notre mobilisation. Il y en aura entre 100 et 150, dont les dirigeants de la CES et CSI [Confédération européenne des syndicats et Confédération syndicale international, ndlr.] et beaucoup de fédérations des secteurs de l’industrie. Cela va démontrer que notre lutte est importante pour les travailleuses et travailleurs français, mais aussi pour tous les travailleurs du monde.
Quel message sera adressé lors de ce 1 er mai ?
S.B. : C’est un message de solidarité, un message qui confirme que, non seulement Emmanuel Macron est totalement isolé en France, mais qu’il est aussi totalement isolé à l’étranger et à l’international. Dans beaucoup de pays, notamment européens, ils ne comprennent pas ce qui se passe en France. Les Allemands nous disent que, s’ils avaient fait comme nous pendant une semaine, la réforme serait enterrée. On est à plus de 3 mois de mobilisation à un niveau très élevé avec un gouvernement qui s’acharne. Dans la majorité des pays européens, un tel passage en force ne serait pas possible.
Emmanuel Macron a dit, hier, que « les casseroles ne feront pas avancer la France ». Que lui répondez-vous ?
S.B. : La réforme des retraites, c’est la casserole d’Emmanuel Macron. Ce que nous disons et martelons depuis le début, il faut qu’il l’entende : il ne peut pas gouverner le pays et continuer son quinquennat s’il ne bouge pas sur cette réforme des retraites. Les salariés ne passeront pas à autre chose.
D’ici le 1 er mai, il y a aussi d’autres initiatives prévues ? On assiste à de plus en plus d’actions « coup de poing » et symboliques.
S.B. : Oui, il y a une série d’initiatives qui vont être organisées et qui préparent ce 1er mai. Aujourd’hui, la journée de la colère cheminote en fait partie. Le 28 avril est la journée mondiale contre les morts et les accidents au travail. On va organiser cela, notamment, avec la fédération de la construction et celle des transports. La fédération de la construction est très impliquée dans cela puisqu’elle détient le triste record des morts au travail. Évidemment, on fait le lien avec la réforme des retraites. Car la France détient un autre triste record : celui des morts et des accidents du travail au niveau européen. L’urgence n’est donc pas de reculer l’âge de la retraite, mais de travailler sur les risques professionnels, sur la santé au travail et une vraie politique de prévention et de réparation. Quand on augmente l’âge de départ à la retraite, on augmente les risques d’atteintes à la santé.
Vous planchez déjà sur la suite de ce 1 er mai au sein de l’intersyndicale. Avec un retour des grèves reconductibles ?
S.B. : Oui, mais on construit au jour le jour. On réfléchit à la suite, mais on n’a rien décidé. Ce qui donnera le ton, c’est le niveau de mobilisation du 1er qui doit être très très élevé. C’est pour cela que j’appelle l’ensemble des salariés, des jeunes, des retraités, à venir manifester. A priori, tout le monde est disponible un 1er mai. Il y aura des manifestations sur tout le territoire, avec plus de 300 points de rendez-vous. La position de la CGT est claire : il faut gagner le retrait de cette loi. Il faut donc continuer à se mobiliser. Pour la reconductible, elle ne se décrète jamais au niveau national et interprofessionnel. Elle se construit par en bas, dans les professions, dans les assemblées générales. La mise à l’ordre du jour de la reconductible, on l’a d’ailleurs gagnée de façon unitaire chez les cheminots, l’énergie, dans l’éducation, chez les dockers.
Laurent Berger a annoncé, hier, son départ du secrétariat général de la CFDT à l’été. Cela change-t-il des choses au sein de l’intersyndicale ?
S.B. : A priori non, puisque son départ est prévu pour le 21 juin. Ce n’est donc pas aujourd’hui. Ensuite, Marylise Léon [numéro deux de la CFDT qui doit prendre sa suite, ndlr.] pilote déjà pour la CFDT l’intersyndicale, donc c’est quelqu’un qui est déjà impliqué dans le travail unitaire.
Vous avez évoqué la question du référendum d’initiative partagée. C’est une porte de sortie de crise potentielle à vos yeux ?
S.B. : Un des principes du syndicalisme, c’est que, quand on ne gagne pas quelque chose par la porte, on cherche à le gagner par la fenêtre. On regarde donc le panel d’actions qui sont à notre disposition. Le Rip en fait partie. Et il a été possible grâce à un travail commun avec la Nupes, et en particulier avec Pierre Dharréville [député PCF des Bouches-du-Rhône, ndlr.], que je tiens à remercier. Il a joué un rôle central et a coordonné ce travail. C’est cela qui a permis d’avoir deux propositions de Rip déposées. Malheureusement, le Rip a été rédigé dans la Constitution pour servir le moins possible. Il est assorti de clauses extrêmement restrictives et contradictoires entre elles. On espère que le Conseil constitutionnel valide le deuxième Rip, mais on n’a pas de garantie. S’il ne le valide pas, la conclusion que nous en tirerions c’est que, non seulement il y a une crise sociale, mais en plus démocratique, et même une crise de régime.
Mais sinon, nous appelons les députés à voter l’abrogation de la réforme des retraites. Nous notons avec satisfaction qu’une proposition de loi d’abrogation de cette réforme vient d’être déposéeet, qu’a priori, elle devrait être examinée le 8 juin prochain. C’est une échéance très importante. Évidemment, on sait que pour avoir une chance de gagner cette abrogation de loi, il faut un rapport de force dans le pays. C’est une perspective très importante pour nous.
La France compte aussi l’homme et la femme les plus riches du monde. En pleine réforme des retraites, cela repose d’autant plus la question de la répartition des richesses à vos yeux ?
S.B. : Évidemment. La question de la réforme des retraites est au cœur du sujet de la répartition des richesses. Alors qu’on impose une réforme violente, qu’on vole deux années de vie pour 12 milliards d’euros, la fortune des milliardaires a explosé. Pour financer ces 12 milliards d’euros, il suffirait de taxer les dividendes et les rachats d’actions. On financerait même la retraite à 60 ans. La question des retraites a toujours été au cœur de l’opposition entre capital et travail.
Vous venez à la centrale de Gardanne, haut lieu de lutte dans les Bouches-du-Rhône. Il faut y voir un symbole après les débats houleux qu’il y a eu au dernier congrès de la CGT sur les questions environnementales ?
S.B. : La centrale de Gardanne confirme qu’il y a des contradictions entre le social et l’environnemental. C’est important de le dire, pour se poser la question de comment on dépasse ces contradictions. Pour les dépasser, il y a trois conditions à respecter. La première, c’est l’anticipation. La France a décidé de fermer les centrales à charbon sans anticipation. Le résultat, c’est du grand n’importe quoi : on importe de l’électricité produite par des centrales à charbon allemandes. On s’est retrouvé à rouvrir à marche forcée des centrales à charbon qu’on avait fermées. Cela a été une catastrophe sociale et n’a pas répondu à l’enjeu environnemental. Anticiper, c’est la raison pour laquelle la CGT de la centrale de Gardanne avait demandé un moratoire. De façon à anticiper les besoins, les possibilités de reconversion. Le deuxième principe pour dépasser ces contradictions, c’est sécuriser les emplois et le travail de celles et ceux qui font ces métiers-là. À Gardanne, on a juste dit, du jour au lendemain : « Toc, on va fermer. » Avec un plan social, la suppression de presque 100 postes. Sécuriser les emplois, ça veut dire faire un travail pour monter en qualification et faire de la reconversion pour certains de ces emplois, avec la même convention collective. Le troisième principe, c’est de travailler sur des projets alternatifs avec les salariés concernés, à partir de leur savoir-faire. C’est ce qu’a fait la CGT à Gardanne, en travaillant sur un projet de méthanisation où l’on pourrait produire une électricité avec un impact carbone beaucoup plus faible qu’aujourd’hui, à partir de leurs compétences. C’est d’ailleurs un projet un peu similaire à celui mené dans une autre centrale, à Cordemais. Ce projet doit permettre de maintenir la production électrique en la décarbonant progressivement. En venant, je vais porter l’exigence d’avoir un rendez-vous rapide avec le gouvernement sur Gardanne, pour que le projet alternatif travaillé par la CGT soit examiné sérieusement, que les financements nécessaires soient débloqués pour le maintien de l’activité industrielle sur le site.
Vous venez aussi dans les Bouches-du-Rhône, où le secrétaire général de l’Union départementale, Olivier Mateu, était candidat au dernier congrès. Quelles sont vos relations avec l’UD CGT 13 ?
S.B. : Elles sont bonnes. La preuve : je viens. Ce déplacement incarne l’action concrète derrière la volonté de rassemblement de la CGT, qui est le mandat sur lequel j’ai été élue, avec une équipe de rassemblement. On vient enclencher ce travail et donc avoir une confédération qui répond aux sollicitations de l’ensemble de ses unions départementales. Celle des Bouches-du-Rhône est l’une des plus grosses UD de la CGT. Evidemment, pour la secrétaire générale de la CGT, c’est important de venir à Marseille. Il y a d’ailleurs les secrétaires généraux de deux fédérations qui viennent avec moi et qui sont très impliqués dans la lutte des salariés de Gardanne.
Entretien réalisé par Amaury Baqué.