Histoire : les 14 juillet depuis 1935

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L’Institut d’histoire sociale (IHS) de la CGT a la bonne idée de retracer un historique des 14 juillet entre celui emblématique de 1935, où le Front populaires s’est forgé dans la rue, avec 500 000 personnes à Paris, et celui de 1953, qui se termine par une fusillade, alors que la guerre d’Algérie commence. Les défilés interdits ne reprendront qu’en 1968. 

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Note historique

Montreuil, le 3 juillet 2024

1935-1953, quand la CGT manifestait le 14 juillet

On le sait peu mais, entre 1935 et 1953 – avec une interruption pendant la période vichyste – le 14 juillet fut aussi l’occasion d’un défilé syndical, associatif et politique.

 

14 juillet 1935

 

Cette pratique débute le 14 juillet 1935, plus d’un an après les émeutes du 6 février et les manifestations antifascistes des 9 et 12 février 1934. La crise économique et sociale persistante sur fond d’aggravation des tensions internationales pèse sur la scène politique française et accroît l’instabilité gouvernementale. Le 7 juin 1935, Pierre Laval accède à la présidence du Conseil. Les ligues d’extrême-droite intensifient leurs actions et s’apprêtent à une démonstration de force sur les Champs-Elysées pour la fête nationale.

 

La riposte antifasciste s’organise. Des « assises de la paix et de la liberté » sont programmées le 14 juillet au stade de Buffalo de Montrouge. L’initiative est conçue en lointain écho à la Fête de la Fédération (1790) de la Révolution française, moment fondateur de l’unité nationale. Il s’agit de rappeler le rôle historique du peuple dans la fondation de la République. Avec solennité, les mouvements organisateurs, parmi lesquelles les partis socialiste, communiste et radical, ainsi que la CGT et CGTU, prêtent le serment, ce matin-là, « de rester unis pour désarmer et dissoudre les ligues factieuses pour défendre et développer les libertés démocratiques et pour assurer la paix humaine. » Le texte de ce serment, inscrit sur une immense banderole, est placé en tête de la manifestation qui a lieu, l’après-midi, entre la Bastille et la Porte de Vincennes.

 

« J’ai beau, vieux militant, fouiller dans ma mémoire ; je n’ai encore jamais vu un tel déferlement d’humanité. […] On s’engage dans le « vieux faubourg jacobin » […]. À toutes les fenêtres, des grappes humaines et des étoffes rouges qu’on agite et des poings qui se tendent comme pour un serment. Combien de ces maisons étroites et lézardées étaient déjà là quand fut prise la Bastille ? Combien de ces pauvres façades ont été en 1830, en 1848, en 1871, aux jours d’émeute et de colère, déchirées par les balles, trouées par les boulets ? […] Toutes les révolutions ont commencé ainsi ».1

 

Près d’un demi-million de personnes défilent dans les rues de Paris et envoient un message fort : le 14 juillet, le drapeau tricolore, la Marseillaise et la rue n’appartiennent pas à l’extrême droite. Un désir profond d’unité s’exprime. Historique, la manifestation scelle la réconciliation de la classe ouvrière avec la République. Sur la lancée, son large comité unitaire d’organisation se transforme en comité national pour le Rassemblement populaire.

 

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14 juillet 1936

 

Un an plus tard, après le succès électoral du Front populaire et les immenses grèves victorieuses du printemps, un double défilé est organisé. Le matin, comme à l’habitude, les militaires marchent sur les Champs-Elysées. L’après-midi, ce sont près d’un million de personnes qui défilent à Paris, entre Bastille et Nation, à l’appel des organisations constitutives du rassemblement populaire. Après le 14 juillet défensif de 1935, celui de 1936 est festif et conquérant.

 

Pendant la guerre

 

Il n’est pas question pour le gouvernement de Vichy de célébrer les idéaux de la Révolution française. Celui-ci transforme donc le 14 juillet en une journée lugubre, de deuil de la patrie, pour partie occupée ou amputée, et de recueillement, en hommage aux morts de la guerre. Dès 1942, à l’appel de la Résistance, des rassemblements célébrant la République ont lieu dans un grand nombre de villes, notamment en zone non-occupée (Marseille, Lyon, Toulouse…). Les initiatives se tiennent le plus souvent autour de lieux symboliques. Ce sera également le cas en 1943 et 1944, mais avec une moindre intensité, la situation étant devenue plus périlleuse depuis l’occupation de la zone sud.

 

14 juillet 1945

 

En 1945, les Français célèbrent la liberté retrouvée après les quatre années d’Occupation. Le 14 juillet est d’une intensité particulière. Le défilé militaire du matin, entre Nation et Bastille, dominé par la présence du général de Gaulle, est suivi, l’après-midi, d’un immense cortège populaire, entre Concorde et Bastille. Le Conseil national de la Résistance au complet, présidé par Louis Saillant, qui y siège pour la CGT, marche en tête, précédant les membres des États généraux de la Renaissance française réunis du 10 au 13 juillet.

 

14 juillet 1947

 

Après l’éviction des ministres communistes, le défilé parisien du 14 juillet (Bastille- République), placé sous l’égide du CNR, réunit encore, outre la CGT, encore unifiée, les fédérations parisiennes du PCF, de la SFIO, du parti radical, mais aussi du MRP, se ressent des tensions entre alliés en voie de séparation. Cégétistes et communistes, les plus actifs dans la préparation de la journée, fournissent les plus gros bataillons de manifestants. Face à l’inquiétante contestation du régime par le nouveau RPF gaulliste, les slogans insistent sur « la défense de la République » et s’efforcent de réactiver les sentiments antifascistes.

 

14 juillet 1953

 

Le défilé à dominante syndicale du 14 juillet est marqué d’une pierre noire. Alors que, en fin de cortège, les rangs serrés des nationalistes algériens du Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques, dont la plupart appartiennent aussi à la CGT, lancent des slogans en faveur de l’indépendance de l’Algérie, la police charge, arme au poing et tire à vue, place de la Nation. On compte une cinquantaine de blessés par balles, mais sept hommes sont mortellement touchés. Six sont Algériens : Abdallah Bacha, Larbi Daoui, Abdelkader Dranis, Mohammed Isidore Illoul, Medjen Tahar, Amar Tabjadi. La septième victime est Maurice Lurot, métallo et trésorier de l’UL du 18e arrondissement. À la suite de ce massacre d’État, jamais reconnu, le gouvernement français interdira toute manifestation à Paris, le 14 juillet et le 1er mai. Il faut attendre 1968, pour que l’interdiction soit levée. Cette année-là, le succès du 1er mai annonce le puissant mouvement social des prochaines semaines. En revanche, la page des défilés syndicalo-politiques et antifascistes du 14 juillet semble tournée. Une tradition s’éclipse pour plusieurs décennies…

1 Selon Amédée Dunois, socialiste, auteur d’une brochure souvenir éditée par le comité d’organisation du 14 juillet 1935, p. 24.

 

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