L’équipe de direction de la revue La Révolution prolétarienne célèbre les 100 ans de la revue fondée par Pierre Monatte (CGT) en 1925. A cette occasion,les éditions Syllepse publient un livre qui retrace ses moments d’histoire.
- Dans l’article de Pierre Monatte datant de 1947, cité longuement plus bas, celui-ci écrivait : « …Notre chemin passe entre deux dangers de guerre, l’impérialisme russe et l’impérialisme américain ; notre place n’est ni dans l’un de ces camps ni dans l’autre ; nous devons nous opposer aux deux. Ça aura l’air d’une lapalissade dans quelques années, peut-être dans quelques mois ; pourtant aujourd’hui, combien le pensent et le disent ?« . Actuel?
- En ce mois de janvier 2025, la revue La Révolution prolétarienne a cent ans.
Le livre de 280 pages est au prix public de 18 euros. Disponible en librairie, sur le site des éditions Syllepse (www.syllepse.net), auprès de l’équipe de la revue (www.revolutionproletarienne.
Stéphane Julien et Christian Mahieux
(sljulien@gmail.com et mahieux@laboursolidarity.org)
- Télécharger l’article anniversaire (lire plus bas) : Livre La Révolution prolétarienne – Info
- Notice du Maitron sur Pierre Monatte : « Né le 15 janvier 1881 à Monlet (Haute-Loire), mort le 27 juin 1960 ; correcteur d’imprimerie ; militant syndicaliste révolutionnaire ; membre du Comité confédéral de la CGT ; fondateur en 1909 de la Vie ouvrière et en 1925 de la Révolution prolétarienne ».
TABLE DES MATIÈRES du livre
« LA REVUE QUI N’A PAS OBSERVÉ LE MOUVEMENT OUVRIER MAIS QUI L’A VÉCU A 100 ANS »
7
LES ORIGINES DE LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE
13
JANVIER 1925 : LA CRÉATION DE LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE
15
1
L’ESPRIT DE LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE
19
2
LES TENTATIVES D’UNIFICATION SYNDICALE
31
3
FÉMINISMES
37
4
SUR L’UNION SOVIÉTIQUE
53
5
L’ANTIFASCISME
75
6
LA RÉVOLUTION ESPAGNOLE
81
7
MAI-JUIN 1936
91
8
ANTICOLONIALISME
111
9
L’ALGÉRIE
129
10
L’INTERNATIONALISME, PARTOUT ET TOUJOURS !
137
11
LA CHINE
157
12
LAÏCITÉ
169
13
L’AVANT-GUERRE
181
14
L’AUTONOMIE DU SYNDICALISME, LA POLITIQUE SYNDICALE
189
15
DES GRÈVES
205
16
À LA PRODUCTION
247
17
LITTÉRATURE, PHILOSOPHIE
251
18
L’HISTOIRE DU MOUVEMENT OUVRIER
263
19
ÉCOLOGIE
269
20
ILS ET ELLES ONT ÉCRIT DANS LA RÉVOLUTION PROLÉTARIENNE
271
CHRISTIAN MAHIEUX ET STÉPHANE JULIEN (1)
Cent ans ! Quelle actuelle revue du mouvement ou- vrier peut se targuer d’une telle ancienneté ? Cent ans interrompus seulement par « 91 mois de silence », ainsi qu’est titré le premier article publié après la Seconde Guerre mondiale.
Le 1er septembre 1939, LaRévolutionprolétarienne qui existait depuis le 1er janvier 1925 suspendait sa parution. Il était impossible au « Noyau » qui en supportait la charge de se soumettre à la censure. Au reste, ce sabordage prévenait l’interdiction gouvernementale. LaRévolutionprolétarienne, même sous la forme d’un mince souvenir, est demeurée l’ennemi du pouvoir établi, sous le Daladier de la guerre, sous Reynaud, sous Vichy, sous Hitler. La découverte de quelques numéros de notre revue hérétique, au cours d’une perquisition – qu’elle soit menée par la Gestapo ou par la police de l’État français – permettait de grossir lourdement le dossier du suspect. Et après la Libération, la qualité d’ancien rédacteur de La Révolution prolétarienne a orienté certaines proscriptions ou expliqué certaines évictions. Cependant, LaRévolutionprolétarienne reparaît aujourd’hui avec la fin du régime de l’autorisation préalable. Elle ne doit rien aux gens en place. Elle reparaît, animée, rédigée et administrée par la plupart de ceux qui la fondèrent en 1925 ou qui rejoignirent le Noyau, lors de nos luttes contre la bolchevisation, pour l’unité syndicale, contre la guerre et l’union sacrée. [La revue] demeurera une « coopérative intellectuelle » qui ne vend pas d’« articles tout faits », des « comprimés d’idéologies », qui ne diffuse pas de slogans. Elle veut fournir aux travailleurs les moyens de construire leur propre opinion, d’édifier leur propre jugement, de déterminer librement et volontairement les conditions de leur action auto- nome. […] Nous ne demandons pas aux travailleurs qui nous liront de « croire en nous » et de nous suivre. Nous leur demandons, aujourd’hui comme hier, de « croire en eux » et de suivre les décisions de leur propre conscience. Nous ne voulons que leur répéter ce que disaient les rédacteurs du Manifeste des communistes, les fondateurs de la 1re Internationale, les organisateurs et les animateurs de la vieille CGT des temps héroïques : « Le salut est en vous ! »
À peu près tout est dit dans cet article ouvrant le numéro 302 d’avril 1947, quatre-vingt-onze mois après le numéro du 25 août 1939, dont le titre de l’article d’ou- verture, signé par Antoine Richard, explicitait tout aussi clairement l’ancrage de La Révolution prolétarienne – la RP – dans l’autonomie ouvrière et l’émancipation sociale : « Le cent-cinquantenaire de leur révolution ».
Le premier numéro, qui paraît en janvier 1925, illustre pleinement ce que sera la RP. La une est reproduite en couverture et en page 9 de ce livre. « La démocratie est- elle encore possible ? », interroge Robert Louzon. Pierre Monatte inaugure sa rubrique « Le carnet du sauvage », à travers laquelle il traite de l’actualité. Alfred Rosmer revient sur « l’anniversaire de la mort de Lénine ». Quant à Léon Trotsky, il lance : « Le capital américain, patron de l’Europe. » L’instituteur Emmanuel Allot livre un passion- nant reportage de six pages : « La victoire des sardinières de Douarnenez ». Est ensuite repris un article d’une revue anglaise, ThePlebs, « Vers une seule Internationale syndicale ? ». Victor Delagarde, Pierre Monatte, Alfred Rosmer publient « La seconde lettre aux membres du Parti communiste. La réponse des trois exclus ». Robert Louzon produit quelques « Notes économiques ». Alfred Rosmer traite de « Faits et documents », cette fois re- latifs à la France, les États-Unis et l’Allemagne. Le tout, est agrémenté de présentation de livres sur l’éducation, sur la Commune de Paris, la révolution russe ou encore l’économie capitaliste.
Née en janvier 1925, la RP vit dans son temps, marqué par la révolution russe et le « communisme ». Mais très rapidement, la détermination de ceux et celles qui s’en réclament à vouloir instrumentaliser les syndicats, ainsi que la répression en Russie, amènent les « syndicalistes communistes » de la RP à rompre avec le Parti communiste et à dénoncer sa politique. La volonté de défendre la possibilité d’organisations autonomes de la classe ouvrière amènera le « Noyau » à changer le sous- titre « Revue syndicaliste communiste », après le n° 94 du 15 décembre 1929. À l’orée de sa sixième année, La Révolution prolétarienne devient « Revue syndicaliste révolutionnaire », dénomination qui restera en vigueur durant un demi-siècle ; elle est aujourd’hui la « revue fondée par Pierre Monatte en 1925 ».
Le texte de 1947 cité plus haut fait référence au « Noyau » de la RP. De quoi s’agit-il ? Tout simplement de l’équipe animant la revue. Ronan Vibert indique sa composition initiale dans « Janvier 1925 : la création de La Révolution prolétarienne (2 )». Certaines plumes ont participé à l’aventure durant plusieurs dizaines d’années, d’autres furent contributrices éphémères. L’animation de la revue évolua bien entendu au fil du temps, mais toujours autour d’un noyau présent dans la durée. Il en est encore de même aujourd’hui, même si on ne parle plus de « Noyau » mais d’« équipe ».
Parmi les thèmes que nous avons choisis pour re- grouper les écrits parus dans la RP notons : l’esprit de la RP, les tentatives d’unification syndicale, le féminisme, la révolution russe et ses suites, l’antifascisme, la révolution espagnole, Mai-Juin 1936, l’anticolonialisme, l’Algérie, la lutte pour la paix, l’internationalisme, la Chine, la laïci- té, l’autonomie du syndicalisme, les grèves, l’écologie, la littérature…
Il manque les chroniques régulières autour des congrès syndicaux, réflexions partagées sur l’état du mouvement ouvrier, à l’antipode des comptes rendus officiels conve- nus mais aussi des commentaires extérieurs sans prise avec la réalité. Manquent aussi les « Lettres d’Amérique », rubrique créée par Pierre Aubery et tenue aujourd’hui par David Ball. À chacune et chacun, nous ne pouvons que conseiller de se plonger dans les collections de la RP ; « papier » pour celles et ceux qui le peuvent, mais disponibles aussi sur le site Fragmentsd’histoireradicale3 et sur celui de La Révolution prolétarienne (4). Vous trouverez de nombreux articles que nous n’avons pu reprendre dans ces 280 pages.
À travers les numéros de la RP, une multitude de militantes et militants du mouvement ouvrier apparaissent ; plus ou moins connu·es, de France ou d’ailleurs, ils et elles font parfois l’objet d’une description sommaire à travers des notes5, parfois non. Pour en savoir plus sur toutes ces figures, il y a un outil : le dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, le Maitron (6).
En complément des articles de la RP, Julien Chuzeville, Ronan Vibert, Annick Coupé, Charles Jacquier et Nedjib Sidi Moussa ont bien voulu éclairer certains aspects. Nous les en remercions, de même que les revues Aden et Les Utopiques. Merci aussi à Catherine Bajoue pour l’aide à la saisie de documents d’archives. Merci enfin à Emmanuel Delgado-Hoch, Irène Paillard et Patrick Silberstein pour le travail de correction et de mise en page.
Pour terminer, et parce qu’il ne sert à rien de réécrire moins bien ce qui a été déjà écrit, une citation de Pierre Monatte, figure de la RP. C’est un extrait de sa « 2e lettre d’un ancien », parue dans le n° 302 d’avril 1947. Référence y est faite dans cet ouvrage (7), mais nous voulons mettre en exergue quelques phrases dès cette introduction, tant elles nous paraissent justes et, sous réserve de quelques actualisations bien sûr, répondre à des interrogations contemporaines :
« Dans le tourbillon actuel, vous n’arrivez pas à voir clair et à trouver votre chemin. Il vous faudrait une boussole. Et pour vous, une boussole, c’est une théorie. […] Vous voulez des raisons d’espérer. Malgré vos vingt-cinq ans, vous ne voulez pas vous battre pour le seul plaisir de se battre. Ce n’est pas la morve du jeune poulain que vous voulez jeter. Vous voulez vous battre pour quelque chose de précis, pour des résultats ; non des résultats individuels et immédiats ; mais pour un but certain, même lointain, mais élevé, et qui en vaille la peine. Vous êtes exigeants. Vous avez raison. C’est bien d’être exigeants. À condition que ce ne soit pas une excuse pour ne jamais commencer. Ni pour mépriser le petit travail corporatif de chaque jour dans les syndicats.
Vous trouvez que vos aînés ont eu de la chance : en 1906 (8), la route était toute droite devant eux, devant nous ; en 1919 (9), mieux encore, l’horizon brillait du feu de la révolution russe, le chemin était lumineux. Aujourd’hui, en ce pauvre 1947, l’horizon est bouché. Le nationalisme, celui de la guerre et celui de la Résistance, a tout submergé. L’esprit de classe est recouvert par le chauvinisme. Pas en France seulement, mais partout. Si bien que l’internationalisme ouvrier a disparu. Il n’y a plus de liens entre militants de pays différents. […]
Ne croyez pas qu’autrefois tout était facile. Gardez- vous du romantisme et ne vous figurez pas que tous les malheurs sont réunis sur votre tête. Le chemin ne fut aisé à trouver ni en 1906 ni en 1919. C’est après, avec un certain recul, qu’on s’aperçoit que le chemin suivi était tracé en effet dans les événements. Vous aussi, vous verrez ça. Pour tout le monde, il sera clair dans quelques années que notre chemin, celui du mouvement ouvrier, passe en France, en 1947, entre deux menaces de coups de force, le coup de force stalinien et le coup de force gaulliste, qu’il doit rendre impossibles, l’un et l’autre. Notre chemin passe entre deux dangers de guerre, l’impérialisme russe et l’impérialisme américain ; notre place n’est ni dans l’un de ces camps ni dans l’autre ; nous devons nous opposer aux deux. Ça aura l’air d’une lapalissade dans quelques années, peut-être dans quelques mois ; pourtant aujourd’hui, combien le pensent et le disent ? […] Dites-vous bien, jeunes amis, que toujours tout a été difficile au début. Aujourd’hui, je vous le concède, c’est encore plus difficile, plus compliqué. C’est que l’enjeu est plus formidable. C’est le sort du socialisme qui se joue définitivement. Dans son agonie, le capitalisme aura des sursauts furieux. L’étatisme, sous sa forme russe, prétendra lui succéder. Nous allons vivre une époque qui marquera l’histoire du monde. Préparons-nous.
Vous avez besoin d’une boussole. Je n’en connais qu’une : l’intérêt ouvrier, celui de la classe ouvrière française, celui aussi des ouvriers de tous les pays. L’intérêt général, l’intérêt national, fichaises et tromperies. Au moment où il faut rompre avec le passé, c’est le compromis avec lui. L’intérêt de la démocratie, l’intérêt de l’humanité, formules vagues qui permettent trop de jongleries.
Vous demandez une théorie. Elle existe, il n’y a qu’à la reprendre. C’est celle qui constitue la base de tous les courants du socialisme, c’est l’émancipation matérielle et morale des travailleurs. Il n’y a qu’à l’adapter aux conditions présentes. Voir ce qui a cloché, ce qui a pu manquer et qu’il faut modifier ou ajouter. Tout ce que nous pouvons vous dire, nous, les vieux syndicalistes révolutionnaires, c’est qu’une organisation comme le syndicat, formée uniquement de travail- leurs, exprimera mieux les besoins des travailleurs, si elle n’est pas faussée, que n’importe quel parti formé d’éléments divers.
[…] Dites-vous bien, jeunes amis, que toujours tout a été difficile. Aujourd’hui, le plus important, c’est de voir clair. On ne répétera jamais assez que le plus pénible n’est pas de faire son devoir, c’est de savoir où il est. »
100 ans, 827 numéros, l’aventure continue…
Notes :
1- Christian Mahieux et Stéphane Julien, syndicalistes, sont membres de l’équipe de La Révolution prolétarienne.
2- Voir 15.
3- archivesautonomies.org. Un site ressource, à utiliser, faire connaître et soutenir
4- revolutionproletarienne.wordpress.com.
5- Les notes sont celles d’origine. Lorsque nous avons pensé nécessaire d’apporter une précision, notamment compte tenu de l’ancienneté de certains faits évoqués, la note des éditeurs et éditrices est précédée de la mention NdÉ
6- maitron.fr.
7- Voir 24
8- 1906 : congrès de la CGT où est adopté ce qui prendra le nom de « charte d’Amiens ».
9- 1919 : création des Comités syndicalistes révolutionnaires au sein de la CGT.