Annick Coupé : intervention aux 30 ans de la FSU

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Lors de la journée d’évocation des 30 ans de la naissance de la FSU (lire ici le compte rendu : https://wp.me/p6Uf5o-5Or), Annick Coupé, ex-porte parole de Solidaires, a témoigné pour montrer comment la naissance de la FSU et ses premières années (autour de 1995) se croisent avec la naissance des syndicats SUD puis de l’Union syndicale Solidaires (1998) avec le Groupe des Dix. Nous la remercions vivement d’avoir mis par écrit, pour Syndicollectif, ce retour de mémoire et d’expériences. 

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Annick Coupé

Intervention au Colloque de l’Institut de recherche de la FSU (les 30 ans de la FSU) / 11 Octobre 2023

 

 Merci pour l’invitation. Je dois dire que je me sens assez à l’aise dans cette journée : je connais nombre de militant·es présents dans cette salle, j’ai beaucoup côtoyé la FSU durant les années où j’étais en responsabilité à Solidaires dans des rencontres « officielles » ou informelles, dans les intersyndicales nationales, dans les congrès de la FSU… Cela créée des liens.

 

La création de SUD Ptt intervient fin 1988 (tout comme SUD Santé-Sociaux). Il me semble important de rappeler quelques éléments du contexte dans lequel intervient cette création.

Les PTT (Postes et télécommunications) sont alors une administration qui regroupe près de 500 000 fonctionnaires. Le Premier ministre socialiste, Michel Rocard lance à cette période les « chantiers de modernisation de la fonction publique », les PTT en seront le premier laboratoire… On verra très vite que derrière le vocable de « modernisation », il s’agit bien d’une attaque en règle contre les services publics visant à en affaiblir les missions et à casser les statuts, à ouvrir la voie à une privatisation plus ou moins rampante…

Ces orientations s’inscrivent dans les logiques politiques de la décennie 80 : réorganisation de l’appareil productif, casse des collectifs de travail, montée du chômage et des précarités, libéralisation des échanges financiers, tournant de la « rigueur « en 1983 porteur des politiques d’austérité …

Le syndicalisme est confronté à ces évolutions et a du mal à y répondre, d’autant plus que la posture générale a été celle de ne pas gêner le pouvoir socialiste… On parle alors de « crise du  syndicalisme », de son affaiblissement, de désyndicalisation et d’institutionnalisation..

Les années 80 ont connu peu de luttes importantes si ce n’est contre la loi Devaquet ou des mobilisations de cheminots (avec mise en place de coordinations) en 1986.

Après la chute du mur de Berlin, l’ambiance idéologique était « à la fin de l’histoire »…

La CFDT, après 68, s’était développée face à une CGT très liée au Parti communiste, en sachant répondre aux aspirations autogestionnaires qui existaient alors mais aussi aux mouvements sociaux qui se développaient sur des terrains hors entreprise comme les droits des femmes, les enjeux écologistes et le nucléaire ou les comités de soldats… Elle se revendiquait du socialisme autogestionnaire et de la transformation sociale. Mais à la fin des années 70, au nom du recentrage sur l’entreprise et de l’indépendance vis-à-vis du politique, la CFDT va entrer dans une logique de syndicalisme d’accompagnement du système, considérant alors qu’il fallait sortir d’une logique de « lutte des classes » et de l’antagonisme entre salarié·es et patrons pour privilégier la négociation, même à froid… Des voix existaient pour s’opposer à cette orientation mais elles étaient minoritaires et l’appareil confédéral était de plus en plus verrouillé. Pourtant, les structures CFDT dans l’opposition menaient les batailles internes de congés en congrès et pensaient que la coexistence était possible durablement…

L’automne 1988 va changer la donne.Deux conflits importants : le conflit des infirmières dans les hôpitaux et celui des « camions jaunes » à la Poste. Ces deux conflits vont durer plusieurs semaines, vont subir de la répression de la part du gouvernement socialiste. Dans les deux cas, des coordinations vont se mettre en place, réunissant syndiqué·es et non syndiqué·es. La CFDT au plan national dénonce ces coordinations, les considérant comme anti-syndicales… A l’’inverse, les structures professionnelles régionales concernées vont les soutenir et s’attirer les foudres de la direction confédérale… Au congrès confédéral de Strasbourg fin novembre 1988, Edmond Maire, secrétaire général sortant, qualifie de « moutons noirs qui n’ont plus leur place à la CFDT » les militant·es engagé·es dans le soutien à ces luttes. Quelques jours après ce congrès, les procédures bureaucratiques d’exclusion se mettent en place dans les fédérations nationales CFDT PTT et CFDT Santé-sociaux, avec l’appui de la confédération. Plusieurs syndicats départementaux, les responsables régionaux de la région CFDT-PTT, plusieurs centaines de militant·es de ces deux secteurs en région Ile-de-France vont être mis dehors, Ce qui relevait d’un débat interne et de confrontations entre structures sur les orientations de la CFDT passe à une autre étape : le choix de la CFDT de se priver de militant•es qui certes étaient critiques mais construisaient quand même l’outil syndical CFDT…

Très vite, notre objectif va être de maintenir aux PTT un outil pour un syndicalisme de luttes et de transformation sociale. Le choix du sigle SUD, pour Solidaires, Unitaires, Démocratiques se veut le symbole de cette orientation.

Sud-PTT_1990manif SUD-PTT  1990 (site Alternative libertaire )

Le choix de construire une nouvelle fédération aux PTT s’est imposé très vite pour les équipes exclues de la CFDT. Nous n’avons pas fait le choix d’aller à la CGT : certain·es d’entre nous y avaient milité et avaient été poussé vers la sortie, notamment en lien avec le soutien au syndicat polonais Solidarsnosc au début des années 80, mais aussi parce qu’iels avaient contesté le fonctionnement et la conception à cette époque encore très « stalinienne » de cette organisation. Il fallait aussi fin 1988 prendre rapidement des décisions car les élections professionnelles, les CAP, étaient programmées pour mars 1989 avec un dépôt de liste quelques semaines avant cette date… A l’époque, toute organisation syndicale légalement constituée dans la Fonction publique (contrairement au secteur privé) pouvait se présenter (la loi Perben restreignant ce droit sera mise en place en 1996, en réponse sans nul doute à l’émergence de nouveaux syndicats comme SUD Ptt ou la FSU).

Les résultats de ces élections CAP (15% en Ile de France en moyenne, là où les syndicats SUD existaient à cette date et 5% au niveau national) nous ont conforté dans le choix de ce nouvel outil syndical et nous ont donné accès à un minimum de représentativité et de droits syndicaux (même si les autres syndicats, CFDT en tête, tenteront tout pour restreindre ces droits).

Même si par la force des choses, nous construisons une fédération professionnelle aux PTT (postes et télécommunications), notre projet était interprofessionnel car il ne nous semblait pas possible de penser un syndicalisme de transformation sociale par le seul biais professionnel…

Nous avons maintenu les contacts avec des syndicats CFDT oppositionnels et aussi avec des militant·es/structures de la CGT, et des membres des courants UetA, et EE de la FEN. Cela donnera lieu à des publications et des rencontres sous le nom de « Collectif » notamment.

Nous avions aussi la volonté d’être en lien et de soutenir les autres mouvements sociaux, considérant que le syndicalisme ne pouvait à lui seul être porteur des luttes sociales et de la transformation sociale. SUD Ptt va s’impliquer très fortement dans la création d’AC ! Et plus tard dans le soutien aux luttes de sans papiers (occupation de l’église Saint Bernard en 1996). Des liens vont se créer rapidement avec la Confédération paysanne, avec le DAL…

Cet objectif de « reconfédéralisation » nous conduit à prendre en positif la proposition de rencontre début 1989 faite par ce qui s’appelle à l’époque le « Groupe des Dix », regroupement de syndicats autonomes qui avait refusé en 1948, comme la FEN, de choisir entre CGT et FO. Nous ne connaissions pas directement ces syndicats et leur regroupement et en avions, venant d’une confédération, une vision assez négative avec le prisme « syndicats autonomes = syndicats corpos et réformistes » …

Mais nous étions conscient·es que le syndicalisme était confronté à de nombreuses questions, que des processus de décomposition étaient à l’oeuvre , qu’il n’y aurait pas de « baguette magique » pour répondre à ces défis… Dans ces conditions, il fallait se défaire de tout sectarisme… Cette rencontre avec ces syndicats ayant une autre histoire que la nôtre se fait en 1989, année où un  conflit important de plusieurs mois et aux formes d’action assez radicales (les chèques versés aux services des impôts par les entreprises sont mis à l’abri par les grévistes) ; un des syndicats importants du Groupe des 10 est le SNUI (Syndicat national unifié des impôts), premier syndicat aux impôts, il prend une part décisive dans cette mobilisation et cet affrontement avec le pouvoir socialiste (alors qu’historiquement sa base était assez proche du PS)… Cette séquence et les premières discussions que nous avons avec ces syndicats du Groupe des 10 nous prouve qu’avec des histoires, des pratiques et des cultures différentes, nous avions des préoccupations et des questions communes sur l’avenir du syndicalisme. SUD Ptt va donc s’engager dans le Groupe des 10 qui était à ce moment là un regroupement informel, sans statut, sans existence légal, de syndicats nationaux professionnels.

La création de l’UNSA en 1993 va entrainer une clarification dans le Groupe des 10 et le départ de plusieurs syndicats qui vont la rejoindre, considérant que celle-ci répond mieux à leur positionnement syndical.

Le mouvement social de l’hiver 1995 va accélérer les questions de structuration du Groupe des 10 (qui en 1995 regroupait déjà dix sept syndicats). Ce mouvement social a permis de mesurer qu’au- delà des histoires différentes, ces syndicats se se sont situés dans cette mobilisation, du « bon côté de la barrière ». Ce positionnement nous a confortés, à SUD Ptt à renforcer le travail avec le Groupe des 10.

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Certains de ces syndicats se sont engagés, comme SUD Ptt ou le Syndicat des Impôts (le SNUI à l’époque) dans la création du mouvement AC ! (Agir ensemble contre le chômage ), confortant ainsi les possibilités de convergences.

L’année 1996 va voir la création syndicats SUD dans différents secteurs (Rail, Douanes, Education…). Ce sont la plupart du temps des équipes venant de la CFDT qui décident de quitter cette organisation compte tenu de la position de sa direction, en soutien au gouvernement alors même que beaucoup d’équipes CFDT étaient dans la rue et en grève… Ce sera aussi la première création d’un syndicat SUD dans le privé à partir d’une équipe CGT à Altshom Belfort (aujourd’hui Général Electric).

Cette situation va créer des tensions au sein du Groupe des 10, avec avec nos partenaires syndicaux, notamment la FSU, ou avec les camarades de l’opposition CFDT (« Tous Ensemble ») qui ont fait  le choix de rester dans la CFDT. Nous nous expliquerons avec la FSU sur ce choix. Nous savions que les camarades qui créent SUD Education, pour la plupart venaient du SGEN CFDT et refusaient de faire le choix de la FSU pour diverses raisons, notamment des questions de modèle de structuration. SUD Ptt a assumé de permettre la création de SUD Education, comme des autres syndicats SUD dans d’autres secteurs car sinon, ces militant·es risquaient d’être perdu·es pour le syndicalisme… Et de plus, il ne nous paraissait pas cohérent d’avoir fait le choix de SUD Ptt et de ne pas permettre à d’autres de s’inscrire dans cette dynamique…

Cette situation a posé des questions d’une autre nature au sein du Groupe des 10 : sentiment pour certains syndicats que SUD voulait devenir hégémonique au sein du G10 et imposer une confédération SUD au détriment de la diversité des histoires. Cette situation aurait pu conduire à l’éclatement et à la fin du G10. Mais ce qui l’a emporté, c’est la volonté de dépasser ces tensions par le haut, considérant qu’il y avait des voies de passage possibles pour des syndicats qui partageaient suffisamment de valeurs. Cela a conduit aussi à décider de nous structurer en Union syndicale interprofessionnelle en essayant d’inventer un fonctionnement différent des confédérations traditionnelles… Nous avons élaboré un projet de statuts avec des règles particulières : droit de véto, une organisation une voix, période d’observation pour les organisations nous rejoignant… et un préambule définissant les valeurs partagées par les organisations du G10. Ces statuts et ce fonctionnement ont été mis en « rodage » et ont conduit à la création officielle en 1998 de cette nouvelle Union syndicale interprofessionnelle. Très vite la question de trouver un nom/un sigle autre que G10 s’est imposée. Bien sûr, chaque organisation nationale avait tendance à dire que son nom était plus « porteur »… Il a fallu dépasser ces tensions et chercher un sigle qui faisait consensus et qui était représentatif de notre projet syndical commun. C’est ainsi que Solidaires s’est imposé comme nom commun qui a permis de dépasser les tensions identitaires et  de respecter les histoires et cultures différentes de chaque organisation constituant cette nouvelle union.

A partir de 1998, trois orientations de fond ont été portées par Solidaires :

  • le choix de construire un outil interprofessionnel ayant vocation à syndiquer dans tous les secteurs, privé comme public, un outil au service de chaque salarié·e, quel que soit son statut. Bien sûr, nous étions conscient·es que cela pouvait conduire à de la concurrence avec des organisations syndicales avec qui nous avions de la proximité, mais nous savions aussi que c’était la condition pour que notre projet syndical interprofessionnel ait un

 

  • Le choix d’un syndicalisme unitaire par nécessité d’efficacité des mobilisations sociales à tous les niveaux et considérant qu’il était possible de se confronter avec les autres forces pour construire des revendications communes, sans laisser de côté nos différences, voire nos
  • Le choix de construire des convergences, des alliances avec les autres mouvements sociaux agissant sur des enjeux de société hors de l’entreprise ; non seulement cela permet de construire des fronts communs sur des sujets qui ont des conséquences dans les milieux de travail comme hors du travail, mais cela permet de confronter les points de vue et de trouver les points de convergences sur des enjeux globaux comme le féminisme, l’écologie, les libertés…

Ces choix nous ont conduit à nous impliquer en tant que Solidaires dans le soutien à Droit au logement, à la Confédération paysanne, dans les luttes féministes ou dans ATTAC par exemple… Nous avons été présents dans les cadres unitaires et les lieux de débats… Cela a permis de créer de la confiance avec une diversité d’interlocuteurs et interlocutrices, au-delà de notre appartenance syndicale.

Un bel exemple est celui des journées intersyndicales femmes dans lesquelles depuis plus de 25 ans, CGT, FSU et Solidaires sont à l’initiative avec le succès que l’on connaît.

A chaque fois que la mise en place de cadres unitaires a été proposé, Solidaires y a toujours répondu positivement, comme lorsque la FSU a proposé à la CGT et à Solidaires la constitution d’un cadre syndical unitaire permanent après le mouvement social de l’hiver 1995… Ce projet n’a pas été possible compte tenu de la position de la CGT à cette période, mettant en avant la notion de

« syndicalisme rassemblé »…

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Alors, 30 ans après, en étant lucide sur nos limites et sur le fait que nous sommes loin d’avoir  trouvé les solutions à toutes les questions posées au syndicalisme depuis notre création, je n’ai pas de regret pour ma part des choix que j’ai fait avec d’autres pour construire SUD Ptt puis Solidaires. Cela a contribuer à maintenir un syndicalisme de luttes et de transformation sociale, porteur d’alternatives et essayant de développer en son sein des pratiques démocratiques. Sans doute aussi que notre existence a contribué à faire bouger certaines lignes dans le mouvement syndical…

Dire cela, ce n’est pas considérer que Solidaires n’aurait aucun défaut, ne connaîtrait aucune difficulté… bien au contraire. C’est être lucide sur les enjeux posés au syndicalisme aujourd’hui et être consciente que des éléments de réponse existent dans les différentes organisations syndicales, dans leurs pratiques comme dans leurs réflexions et dans leurs revendications . Aucune organisation n’a la réponse à elle toute seule aux défis posés au syndicalisme du XXIe siècle !.

Accepter de se parler malgré nos concurrences et nos désaccords, travailler les questions d’unité au plan national comme au plan local et avoir des lieux de débat comme à l’occasion de ce colloque… Au vu du contexte inquiétant dans lequel nous sommes, cette ligne de conduite me semble plus que jamais indispensable…

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