Assises santé et travail (3) : grand succès

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Les Assises de la santé et la sécurité des travailleur-es ont réuni plus de 400 personnes à Paris les 13 et 14 mars 2024. Un grand succès qui a permis un débat renouvelé et prometteur sur le travail, la santé, le syndicalisme, les associations. Ci-dessous un aperçu partiel des ateliers sur le thème « travail » et plus bas l’article de l’Humanité sur les accidents et les maladies professionnelles.

Organisateurs : CGT, FSU, Solidaires, Andeva, ASD-Pro, Association des experts intervenant en santé au travail, ATTAC, Ateliers Travail et Démocratie, Cordistes en colère, réseau féministe « Ruptures », Association-Santé-Médecine-Travail. 

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Le travail : pour la santé et la démocratie

Olivier Frachon, Françoise Lamontagne, Jean-Claude Mamet

 

Il a fallu mettre en synergie les deux sites de la Bourse du travail de Paris pour accueillir les participant-es aux Assises, dans une ambiance passionnée d’échanges, d’écoute et de propositions.  Les deux journées ont été conclues par une table ronde avec Sophie Binet (CGT), Murielle Guilbert (Solidaires) et Benoit Teste (FSU).

Cela faisait longtemps que n’avaient pas été réunis autant de syndicalistes, d’associations, de professionnels du travail et de la santé, de chercheur-es, pour faire le point sur leurs pratiques et leurs réflexions. Cela exprime un besoin où se croisent plusieurs demandes : une demande syndicale renouvelée, alors qu’il n’y avait pas eu de vrais débats partagés accompagnant la mobilisation de 2023 sur les retraites (sauf pour le bilan par l’Université des mouvements sociaux en août 2023). Mais aussi bien sûr une exigence sur la santé au travail, les accidents et maladies ; mais aussi le travail « réel », c’est-à-dire ce qui se passe heure par heure dans une journée et comment cela impacte les corps, le psychisme, les émotions…ou les attitudes de repli face aux hiérarchies, aux dominations de tous ordres. Il semble néanmoins que la participation a été très majoritairement du secteur public (le chiffre de 80% a été évoqué) ou de personnes à statut, mais aussi des précaires. Il faut aussi noter une grande participation de femmes (quasi-parité ?), que les statistiques préciseront.

Notre compte-rendu est très partiel (par prises de notes). Il ne porte que sur un seul thème déroulé en trois ateliers du thème N°4 : « Transformation et organisation du travail, comprendre et agir ».  Trois autres thèmes se réunissaient en effet  en parallèle : le thème 1 portait sur « Femmes, santé, travail » ; le thème 2 sur les « accidents et maladies professionnelles » ; le thème 3 sur « santé au travail et environnement ».

Conflits éthiques dans le travail

Le premier atelier du thème 4 portait sur de situations de « souffrance « par individualisation, mais aussi de résistance et de passage à l’action collective.  C’est ainsi que le télétravail, pendant le confinement dû au COVID, a pu produire des situations d’isolement personnel où les règles éthiques habituelles sont bouleversées par des obligations de « faire face ». Par exemple pour cette « assistante de recherche clinique » dans un groupe recueillant des données individuelles de santé, divulguées par visioconférence à des collègues, au mépris des règles de discrétions habituelles. Cela ne se fait pas, mais… COVID oblige. Comment alors résister à une injonction moralement très critiquable ?  Faut-il prendre le risque du refus isolé ou de « lancer l’alerte » aux collègues sans garantie d’une suite ? Comment passer de l’action risquée à une prise de conscience collective ?

L’analyse de telles situations du type « lanceur d’alerte » pose la question plus générale (COVID ou pas) : pourquoi obéit-on quand même à des ordres discutables ? « C’est parce que le collectif s’effondre » expliquera un participant. Certes le COVID amplifie la pression, mais elle peut exister sans ce facteur extérieur. Ces situations peuvent engendrer les « risques psycho-sociaux » (RPS), et même amener au suicide si elles sont graves sans être corrigées à temps. Un agent de Météo France explique qu’en ce moment les RPS s’accroissent beaucoup en raison des pression contradictoires sur le personnel (réduit) dans le contexte climatique et parfois catastrophique qui fait la une des médias.  Il suffit de lire une interview d’un syndicaliste de Météo France dans La Vie ouvrière de mars 2024 : 1500 postes supprimés en 15 ans, « la moitié des centres départementaux disparus », malgré l’attente des usagers dans l’angoisse de prévisions fiables (risques d’accidents, etc.).  L’agent présent à l’atelier interroge ces situations : « Faut-il entrer dans le langage de l’organisation qu’on veut nous imposer » ? « Faut-il l’accepter » parce qu’il y aurait des urgences ? Comment supporter d’avoir « raison contre les autres » ? D’autres expériences ont montré comment passer avec succès du « moment » d’isolement au stade syndical collectif.

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« Démarche travail » : méthode ou état d’esprit ?

Un deuxième atelier décrit justement la pratique adoptée (il y a quelques années) par la CGT : la « démarche travail ».  Il s’agit de « prendre la main sur le travail », par les enquêtes actives auprès des salarié-es.  Interviendront dans cet atelier Nathalie Argenson (CGT, hôpital de Nîmes), Guillaume Griveau (Fédération postale-FAPT CGT), Aurélien Alphon-Layre (CGT SMART, Coopérative d’activité et d’emploi-CAE) et Thomas Coutrot (Association Ateliers Travail et Démocratie-ATD).

  • Nathalie commence par interpeller l’assistance en rappelant les questions posées par l’équipe de préparation : « Comment travaillez-vous ? Comment aimeriez-vous travailler ? Qu’êtes-vous prêts à mettre en œuvre pour y arriver ?».
  • Dans la foulée, Guillaume décrit l’expérience militante au sein du Centre de courrier (donc des facteur-trices) en 2017 à Béziers, mairie d’extrême-droite. Un élu CHSCT y est « harcelé» au boulot par l’extrême-droite raciste.  La CGT l’accompagne en appliquant la « démarche travail » donc en questionnant tous les salariés : « Si vous étiez décisionnaires dans le Centre de courrier, que feriez-vous ? ». Elle utilise pour cela l’heure mensuelle d’information (HMI). Les salariés répondent en grand nombre. Ainsi l’expérience du « quotidien dans le travail » est mise en évidence, et il en sort une « plate-forme commune » sur les horaires, les locaux, la restauration, etc. Une sorte de passion de l’échange s’empare alors des personnels : des réunions « jusqu’à trois heures du matin ».  On passe d’une situation de conflit contre l’extrême-droite à la mise en évidence d’une « communauté de travail ». Après 9 mois de cette démarche, une lutte se construit (elle dure une semaine) aboutissant au « doublement des postes de travail » et « l’éviction des racistes ». Les salarié-es sortent de « l’isolement » et conquièrent un « pouvoir d’agir ».

Guillaume poursuit : en général, « nous ne sommes pas assez à l’écoute », alors que nos collègues sont en capacité d’être « experts de leur travail ». Cette démarche (un « état d’esprit » précise-t-il, plus qu’une méthode clés en mains) peut construire « une citoyenneté dans l’entreprise ».  Elle est débattue et reprise dans la direction de la FAPT CGT (Poste et Télécom) pour encourager des « formations-actions ». On évite d’être « sachant », on apprend à être « écoutant ». On passe de la « déconstruction à la reconstruction du pouvoir d’agir ».

  • Aurélien décrit le processus complexe d’une démarche travail au sein d’une coopérative (SMART) formée par des travailleurs-es à statut d’indépendants (domaines très divers : spectacles, services…). Plusieurs structures se fédèrent en SCOP, dans une société-mère d’assez grande taille avec aussi des salariés (au sens juridique). Les « indépendant-es» se sont plutôt organisés dans le syndicat ASSO de Solidaires, et les « salarié-es » à la CGT.  Constat : les approches syndicales ne sont pas les mêmes ! Cependant la « démarche travail » ou « d’éducation populaire », est appliquée pour faire face à une restructuration aboutissant à des licenciements. L’action ira jusqu’à la remise en cause de la légitimité de la direction à gérer la SCOP. Les travailleurs n’assumeront pas cette logique jusqu’au bout : remplacer la direction. Néanmoins, le bilan tiré est clair : « Il fallait faire ce qu’on a fait. La méthode d’éducation populaire dans le travail est puissante ». « Nous avons abouti à l’idée qu’il n’y a pas besoin de patron, mais nous n’avions pas la capacité de le remplacer ». De ce point de vue, « c’est un échec », les licenciements ont lieu. Mais « Il n’y a pas de regret ».
  • Néanmoins, rien n’est magique non plus, à écouter les divers témoignages.
  • Un syndicaliste de France Télécom posera une série de questions déroutantes : « Que faire quand cela ne marche pas ? Ou que les salariés sont réticents à participer aux heures mensuelles d’information (HMI) ? Ou qu’ils n’osent pas parler ? Ou encore ne sont pas convaincus de leur force ?». Même les situations de grève sur mot d’ordre national sont actuellement déconcertantes : aujourd’hui les militant-es syndicaux font « grève par procuration et les salariés nous soutiennent » de loin. Alors que « cela devrait être l’inverse : les salariés font grève et les syndicalistes soutiennent ! ».

 

Le syndicalisme peut lui aussi se transformer

Le débat sur la « subordination » s’invite dans les échanges, dès lors que des travailleurs semblent préférer le statut d’indépendant. Le syndicalisme est percuté sur ce point aussi, notamment dans le secteur privé où les droits reconnus sont la contrepartie de la subordination juridique. Un responsable CGT métallurgie s’élève contre ce qu’il comprend comme une volonté dans ces pratiques de vouloir « négocier l’organisation du travail », qui est de la « responsabilité du patron ». Critiquer la « subordination dans le travail est un danger » pour les droits du travail. Si on encourage la suppression de la subordination cela veut-il dire que nous voulons « être tous autoentrepreneurs ? ».  Il admet la nécessité de réfléchir à de nouveaux modes d’organisation mais dans « une logique anticapitaliste ».

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Conclusions (provisoires) des animateurs-trices :

  • Nathalie (santé) : parvenir à organiser une heure d’info orientée sur le désir des salarié-es peut déboucher sur « un espace intarissable et puissant». Le syndicat aussi en est transformé : de « porte-parole à priori » il devient « passeur de parole ».  Dans son bloc opératoire, ils/elles avaient intégré que « leur travail leur appartenait, et nous avons eu 88% de grévistes ».  Nathalie interviendra aussi pour faire évoluer l’Appel des Assises : « ce n’est pas le travail qui tue », dit-elle, ce sont les emplois et les employeurs.
  • Guillaume (la Poste) : « notre démarche n’a pas la prétention de répondre à toutes les questions». Paradoxalement elle est peut-être « plus facile à déployer là où tout est à construire ». Il note aussi le « privilège » de disposer encore d’une heure d’info mensuelle. En réponse à l’interrogation sur les risques de la méthode, il précise que l’idée n’est « pas une co-construction avec le patron » mais avec les travailleurs. Dans la « double besogne », le but est bien de « transformer la société » (capitaliste), mais pour cela il faut « d’abord d’en créer les conditions ».
  • Thomas (Ateliers Travail et Démocratie) invite à poursuivre ces expériences, alors que la question de l’extrême-droite est plus que jamais inquiétante. Mais justement l’organisation du travail « impacte la sphère publique et politique». Il s’agit de « construire son agenda syndical » en autonomie de celui des patrons.

Et l’IA ?

Un troisième atelier passera en revue les risques et parfois les contradictions de « l’intelligence artificielle » dans les processus de management. Celle-ci montre souvent son incompétence, sauf pour déposséder le savoir des travailleurs et accroitre leur « perte d’autonomie ». Mais, conclut un intervenant, « c’est comme internet, on ne pourra pas l’arrêter ». La technique n’est « jamais neutre » mais « il faudra se l’approprier ». Rude défi en plus.

 

 

 

Santé au travail : aux Assises un appel à « un changement radical de politique »

L’Humanité– 15 mars 2024.

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Durant deux jours, des militants syndicaux, avocats, chercheurs, ont débattu des pistes pour sortir de la dégradation généralisée des conditions de travail et de l’hécatombe des morts au travail.

Stopper le recul de la santé au travail. Ce jeudi, lors des Assises de la santé et de la sécurité des travailleuses et travailleurs, organisées par la CGT, Solidaires, la FSU mais aussi diverses associations comme l’Andeva (Association Nationale de Défense des Victimes de l’Amiante), Attac, les Cordistes en colère, tous ont appelé à faire cesser l’hécatombe des accidents du travail et des maladies professionnelles en exigeant un « changement radical de politique ». En 2022, 93 accidents mortels du travail de plus ont été décomptés dans le secteur privé par rapport à 2021, montant leur nombre à 738.

Les femmes les plus concernées

Pourtant, la campagne de communication orchestrée en grande pompe par le gouvernement sur la sécurité au travail à l’automne dernier ne se limite qu’au constat du problème. Pour Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, invitée lors de la table ronde conclusive, il est temps « d’en faire un sujet politique. Il faut aussi forcer les entreprises à investir dans les politiques de prévention, précisant que » Pour les travaux des Jeux Olympiques, on a réussi à imposer une charte sociale. Les accidents ont été divisés par 4. » Mais des zones d’ombre demeurent partout sur les conditions de travail, contribuant à invisibiliser ces souffrances.

Dans le secteur du nettoyage, qui emploie en grande majorité des femmes précaires « Il y a encore 5 % de la composition des produits utilisés qui n’est pas mentionnée sur l’étiquette, explique, Marie-Christine Cabrera Limane, infirmière et membre du Giscop 84 (Groupement d’Intérêt Scientifique sur les Cancers d’Origine Professionnelle) lors d’un atelier sur les cancers des femmes au travail. « Les formations dans ce secteur sont peu présentes. Qui se méfie d’un berlingot de Mir ? Ces femmes travaillent aussi en horaire de nuit , ce qui est néfaste pour la santé. Dans les pays scandinaves, le ménage se fait la journée. »

Pour lutter contre cette dégradation généralisée, la mobilisation d’un réseau d’acteurs : syndicalistes, experts en CSE, avocats, chercheurs… pourrait encore être renforcée. En évoquant les 400 000 tonnes de plomb parties en fumée toxiques lors de l’incendie de Notre-Dame-De-Paris, Benoît Martin, secrétaire général de l’Union Départementale CGT, concède qu’il n’avait d’abord pas vu venir cette problématique.

Risques psycho-sociaux

« Ce sont des personnels qui nous ont alertés. Nous avons ensuite été rejoints par des associations de santé au travail et de victimes de saturnisme. Puis nous avons contacté un avocat pour lancer une procédure au pénal. Nous avions exigé le confinement du site, comme il n’a jamais été décontaminé, ou encore d’avoir un centre de suivi médical sanitaire, mais cela n’a pas été entendu… »

Face à ces situations, pour Murielle Guilbert, co-déléguée générale de Solidaires, il est temps de remettre la pression : « nous sommes repassés dans une phase où les capacités d’agir et les instances représentatives du personnel ont été rabotées » , estime-t-elle, en faisant référence à la disparition des CHSCT.

En 2017, avant les ordonnances Macron, 59 % des entreprises de plus de 50 salariés avaient un CHSCT, seuls 35 % ont une CSSCT (commission santé, sécurité et conditions de travail) aujourd’hui. D’autant que, comme le rappelle Benoît Teste, secrétaire national de la FSU, l’explosion des risques psycho-sociaux continue : « On sait qu’exercer son métier en mode dégradé et un management toxique sont des facteurs de risques «, soulignant que » la défense du statut de fonctionnaire fait aussi partie de cette question. »

Les acteurs de ces Assises souhaitent le lancement d’une campagne nationale « le travail tue, le travail détruit : mourir au travail, mourir du travail, plus jamais ! » et exigent, notamment, la mise en place d’une politique pénale du travail aussi sévère qu’en matière de délinquance routière ou encore le doublement des effectifs de l’inspection du travail et des services de prévention. En attendant, tous ont en ligne de mire la mobilisation du 25 avril prochain lors de la journée internationale de la santé au travail.

Cécile Rousseau.

 

 

 

 

 

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