L’Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens (UGICT) de la CGT fait campagne pour dénoncer les obstacles rencontrés par les femmes dans leur évolution professionnelle, du fait qu’étant « mères », on les soupçonne de nuire à la bonne marche des entreprises. Voici comment l’UGICT s’adresse aux salariées sur son site. Plus bas, une interview de Sophie Binet, de la direction de l’UGICT, parue dans l’Humanité du 3 octobre.
À plusieurs reprises, je vous ai fait savoir que je n’approuvais pas certains de vos comportements. Vos absences répétées pour raisons familiales affectent en effet votre travail.
Ne constatant aucun changement dans votre attitude, je me vois dans l’obligation de vous adresser un avertissement. Nous comprenons votre situation mais nous comptons sur votre sens des responsabilités.
Je vous prie d’agréer mes respectueuses salutations.
Le directeur des ressources humaines
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40 % des femmes ont constaté que la carrière de leurs collègues a été ralentie ou stoppée parce qu’elles ont des enfants. Ce chiffre est le même dans le public et dans le privé.
Ce genre de mail est monnaie courante, et vous en avez peut être déjà reçu. Dans tous les cas, vous avez déjà entendu ou été la cible de ces phrases qui font dire #VieDemère au travail…
Ce lundi 3 octobre, à l’occasion de la semaine de l’égalité professionnelle, l’Ugict-CGT lance une campagne de sensibilisation et d’action sur les discriminations subies par les femmes au travail, notamment les impacts de la maternité sur la carrière et l’évolution salariale et professionnelle.
Une campagne pour en finir avec le « plafond de mère » au travail
La CGT des ingénieurs, cadres et techniciens (Ugict) lance, ce lundi, une campagne intitulée #Viedemère, pour abattre le « plafond de mère » qui bloque les femmes dans leur vie professionnelle, à l’instar du célèbre « plafond de verre ». Entretien avec la responsable de l’Ugict, Sophie Binet.
Les discriminations sexistes dans l’encadrement ont la vie dure, en dépit des lois qui promeuvent l’égalité professionnelle. C’est pour dénoncer celles fondées sur la maternité et lutter contre la culpabilisation des femmes, accusées d’être moins disponibles que les hommes, que la CGT des cadres ouvre un site Internet (vdmere.fr) destiné à recueillir la parole des salariées et à casser ainsi la loi du silence, explique Sophie Binet.
Vous lancez avec l’UGICT une campagne contre le « plafond de mère » qui bloque la carrière des femmes en entreprise. En quoi consiste ce plafond ?
SOPHIE BINET Il s’agit de dénoncer la discrimination quotidienne subie par les femmes, qu’elles soient mères ou non d’ailleurs, du fait de leur maternité réelle ou supposée. Et cela, que ce soit dans le recrutement ou dans l’accès aux responsabilités professionnelles tout au long de leur carrière. Cela se traduit au quotidien par des petites phrases qui marquent cette discrimination. Nous voulons libérer la parole des femmes, pour leur permettre de sortir du vécu individuel et de la culpabilisation, pour en faire une question de société, en démontrant l’ampleur d’une discrimination dont on ne parle pas puisqu’on considère que le problème n’existe pas, étant donné qu’en théorie il est interdit de discriminer une femme pour sa maternité. Or, dans les faits, nombre d’entreprises ne respectent pas le droit. Des femmes sont licenciées parce qu’enceintes, d’autres ne peuvent pas réintégrer leur poste de retour de congé maternité, certaines encore sont bloquées dans le déroulement de carrière.
Vous prônez un « changement de modèle professionnel pour exercer sa parentalité ». Est-ce toute une culture qui est à changer dans l’entreprise ?
SOPHIE BINET Il faut poser la question de la norme d’emploi pour les salariés en responsabilité, qui se définit essentiellement aujourd’hui par le « présentisme », avec un temps de travail moyen des cadres de 44 h 30 par semaine, et même de 46 h 30 pour ceux au forfait-jour. Cette norme rend très difficile la possibilité d’exercer ses responsabilités familiales et personnelles. Nous militons donc pour réduire le temps et la charge de travail. L’enjeu, c’est de permettre aux cadres de pouvoir articuler vie professionnelle et vie familiale et personnelle. Cela passe par des mesures très concrètes, comme le droit effectif à la déconnexion, des systèmes de report de la charge de travail quand le salarié est absent, l’encadrement des horaires de réunion et l’amélioration des congés liés à la parentalité avec maintien du salaire, ce qui est la condition pour qu’ils soient davantage partagés entre les hommes et les femmes. Cela passe aussi par un changement culturel dans l’évaluation professionnelle, le management, etc.
Vous relevez pourtant que huit lois ont été votées en faveur de l’égalité hommes-femmes. Comment expliquer que ces discriminations subsistent ?
SOPHIE BINET Le premier problème, c’est l’absence d’effectivité des droits. Même s’ils sont inscrits dans le Code du travail, aucune sanction n’est prévue. Il s’agit donc à ce stade de pétitions de principe. De même que pour le racisme, la loi en matière de sexisme est très insuffisante. Nous proposons de renforcer les sanctions pour les entreprises qui discriminent et de créer une action de groupe des salariés devant la justice. De même, si l’ouverture de négociations sur l’égalité professionnelle est obligatoire dans les entreprises sous peine de sanction, il n’y a pas d’obligation de conclure et encore moins d’obligation de résultat. Au final, 60 % des entreprises n’ont ni accord, ni plan d’action en matière d’égalité professionnelle et, sur les 40 % qui en ont mis un en place, pour la moitié d’entre elles, il s’agit de plans unilatéraux qui n’ont pas été négociés avec les syndicats. Et même quand il y a accord, encore faut-il le respecter ! Nous proposons donc que, indépendamment de l’existence ou non d’un accord, dès lors qu’il y a discrimination, il y ait une sanction. Enfin, pour lutter contre les discriminations racistes ou sexistes à l’embauche, il faut rendre obligatoire la notification des droits des candidats à chaque entretien d’embauche, où seraient inscrites les coordonnées des associations et des délégués du personnel à contacter en cas de non-respect de ces droits.
Votre campagne veut lutter aussi contre le « soupçon de maternité », c’est-à-dire la discrimination des femmes fondée sur la simple faculté d’avoir des enfants…
SOPHIE BINET Des travaux universitaires ont démontré l’existence de ce soupçon, qui fait qu’une femme de moins de 40 ans a moins de chance d’être recrutée parce qu’elle peut potentiellement avoir des enfants. C’est une discrimination de fait, et c’est le même raisonnement qui entre en jeu dans la progression de carrière. Le fait d’avoir des enfants augmente la discrimination, mais, même quand on n’en a pas, les femmes subissent cette loi du soupçon.
Les revendications de la campagne « Vie de mère » concernent aussi les pères. De quelle manière sont-ils concernés ?
SOPHIE BINET Notre campagne s’appelle « #Viedemère » parce que ce sont très majoritairement les femmes qui subissent ces discriminations, mais notre objectif est de permettre aux hommes comme aux femmes d’exercer leur parentalité. Aujourd’hui, 30 % des hommes ne prennent pas leur congé de paternité, en dépit de l’aspiration montante à consacrer du temps à ses enfants. Mais c’est très peu compatible avec une culture d’entreprise basée sur le « présentisme ». Nous voulons donc nous appuyer sur cette aspiration des hommes pour changer les comportements et les mentalités.