CGT : le défi écologique et… énergétique (2)

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Quelques jours après les « Etats Généraux de l’industrie et de l‘environnement »  s’est tenu (3 et 4 juin 2024) un Comité confédéral national (CCN) de la CGT, comprenant un débat d’orientation sur le « mix énergétique ». C’est une question-clef pour la société et pour l’imaginaire militant de la CGT. La CGT se doit de préciser sa position sur le nucléaire évidemment, mais aussi sur l‘avenir du pétrole, du gaz, et des énergies renouvelables. Le numéro 1783 (août 2024) du Peuple, organe officiel de la CGT, en rend compte. Cet article s’y réfère.

 

Matières inertes et matières vivantes

Jean-Claude Mamet

Les interrogations que nous avons soulevées sur certains aspects des documents des « Etats généraux de l’industrie et de l’environnement » se poursuivent sur le « mix énergétique », objet du Comité confédéral national (CCN) réunissant les responsables mandaté-es des fédérations et des unions départementales. La question se pose de l’avenir du pétrole, non plus comme combustible, mais aussi comme produit industriel.

Le rapport introductif de Franck Perrin (de la Commission exécutive confédérale-CEC- fédération métaux) débute par une première phrase quelque peu emphatique. Mais il est très clair sur la position CGT quant à l’avenir du pétrole comme combustible : c’est non.

Franck-Perrin-Coordination-CGT-groupe-Thales-300x225Ci-contre Franck Perrin (CEC)

La toute première phrase dit ceci : « L’énergie, bien de première nécessité, est la base des sociétés humaines ». La formule mériterait une discussion. Elle touche l’imaginaire civilisationnel. D’autant qu’elle est suivie par l’affirmation que la « force musculaire et la biomasse », premières sources d’énergie historiquement, ont engendré « des sociétés basées sur l’esclavagisme ». Cette manière de voir peut engendrer l’idée que les technologies industrielles ultérieures, plus sophistiquées, sont un peu moins barbares. Est-ce vraiment le cas ?

L’exposé ne va pas plus loin sur ce plan, puis prend position très vite sur l’avenir du pétrole raffiné comme combustible : « La CGT peut affirmer que le nouveau mix énergétique devra se faire sans pétrole ». Il s’agit bien « de substituer une forme d’énergie carbonée [donc le pétrole] par d’autres décarbonées » et même « de diminuer la consommation d’énergie ». Les conclusions du rapport mettent les points sur les « i » : « Le pétrole n’est pas une matière énergétique et ne doit pas être utilisé comme tel ».

Le document explique non moins clairement que pour la CGT et pour la place de l’énergie électrique en particulier (soit 25% de l’énergie totale actuellement), « le débat est dernière nous avec la relance de la filière nucléaire couplée à l’émergence des énergies renouvelables, et la transition des centrales thermiques vers des combustibles issus de la biomasse » (donc le retour du bois comme à la centrale de Gardanne). La CGT assume ainsi totalement les choix nucléaires de la présidence Macron. Le projet Superphénix est même revenu dans la discussion : « 30 ans d’avance », dira Virginie Neumayer (CEC) en conclusion de cette partie du CCN.

Nous admettons que le défi est colossal pour un pays où 65% de la production d’électricité est nucléarisée. Mais cela ne pourrait-il devenir un objectif défendable mondialement, ou même en Europe ?  On peut en douter, mais les énergies fossiles ne sont plus acceptables à très court terme. Il y a donc des contradictions et des choix difficiles issus de l’histoire française. Les besoins énergétiques se prévoient à long terme et les enjeux industriels ne peuvent pas se plier à des tournants brusques du jour au lendemain. Matières, techniques et travail humain forment un tout. Bouger une brique n’est jamais simple. Et le rapport explique à juste titre « que chaque emploi doit être transformé en exigeant un même niveau en garantie sociale et en valeur ajoutée créée sur les territoires » (et aussi en qualification, peut-on ajouter). C’est ce qui s’appelle la « sécurité sociale professionnelle et environnementale ».

Néanmoins le rapport pointe deux questions sans s’y attarder. Sur la ressource en biomasse, il s’interroge sur « l’utilisation des forêts comme poumon vert ». En effet. Et c’est du très long terme ! Il cite aussi la question du pétrole comme ressource industrielle autre qu’énergétique, mais « sans ouvrir un débat qui va au-delà de celui d’aujourd’hui ». Ce débat rejaillira quand même comme le montrent plusieurs résumés d’interventions rapportées dans Le Peuple. Et on a vu dans notre article précédent (documents des Etats Généraux de l’industrie) que la question est loin d’être réglée.

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Le pétrole est-il une matière « précieuse » ?

Plusieurs interventions prennent assez mal un positionnement CGT prônant la fin du pétrole en carburant. Ce n’est certes pas la majorité. Mais du côté de la chimie, des ports et docks ou de quelques régions, certains « s’interrogent » ou « critiquent » le rapport affirmant que « le pétrole n’est pas une matière énergétique ». Cela laisserait trop entendre que « les raffineries vont être fermées », alors que des luttes sont en cours à ce sujet. D’autres (dans l’automobile) font remarquer que tout ne passera pas par la motorisation électrique (et donc par du carburant).

Intervenant dans la discussion, Sophie Binet, secrétaire générale, affiche son accord avec l’abandon du pétrole comme source d’énergie, en citant d’ailleurs « des camarades de la chimie » expliquant que le pétrole « est une matière trop précieuse pour être brûlée ».  Mais « précieuse » pourquoi ? Sans doute pour ses autres utilisations en chimie justement (voir ci-dessous). Elle ajoute cependant que « la note remise au CCN ne clôt pas le débat, mais l’ouvre ». La question va se poser en effet de savoir si la fin du pétrole comme combustible sera ajoutée aux 22 autres propositions issues des Etats Généraux de l’industrie ou dans un livret CGT plus général.

La question des dérivés industriels du pétrole doit être abordée.  Ils sont très nombreux et posent d’abord la question récurrente des techniques d’extractions (classiques ou fracturation hydraulique). Le CCN entendra aussi des réflexions fort intéressantes sur les mines de lithium (nécessaire au batteries) découvertes récemment dans l’Allier, et qui font l’objet de débats importants pour leur exploitation dans la CGT et les associations écologistes locales (lire sur ce point le dossier dans la Vie Ouvrière trimestrielle de l’été 2024).

Cependant la question des utilisations industrielles du pétrole n’est pas prête d’être résolue.

 

Est-ce vraiment la fin du pétrole ?

Ce débat que le rapporteur au CCN ne voulait pas aborder à ce stade est évoqué par des interventions ou allusions. Car comme le disait Adrien (raffinerie de Grandpuits) lors des « Etats Généraux de l’industrie », « le pétrole est partout ». Les documents écrits y faisaient référence. Benoit Martin (CEC) évoquera par exemple les utilisations du pétrole pour des produits aussi différents que des médicaments ou du plastique.

Une rapide recherche sur cette question permet d’énumérer un véritable trésor de productions pétrochimiques qui font notre lot quotidien :

Plastiques, fibres textiles, adhésifs, détergents, lubrifiants, cosmétiques, médicaments, emballages alimentaires, goudrons, tuyaux, flacons… Dans l’automobile (pneumatiques), la construction (isolants), des composants d’ordinateurs, de télévision, des équipements de matériel hospitalier.

Le défi est considérable : on peut décider d’en finir avec le combustible, mais que faire avec le reste ?  Et d’abord que représente « ce reste » dans la masse des pétroles extraits ? Une part modeste jusqu’ici : 12% en 2018 selon l’Agence internationale de l’énergie (voir ci-dessous). Cela paraît peu. Mais les producteurs ne vont pas s’arrêter à cela. Par exemple, si le pétrole est « partout », il en est donc de même pour le plastique. Le plastique a des avantages indéniables, notamment son faible poids (par exemple pour des véhicules, ce qui permet d’économiser de l’énergie). Mais il a aussi beaucoup d’inconvénients, que la « communauté écologique » internationale dénonce ces dernières années. Cette matière est à l’origine des montagnes de déchets (sacs, bouteilles) entassés surtout dans les pays les plus pauvres, et aussi des océans artificiels de plastique en dérive, tueur de poissons et de biodiversité. D’autres composants peuvent être carrément toxiques et cancérigènes (polluants dans les poêles, dans l’aromatique, les solvants…).

Reporterre-logo

Et pourtant, il ne semble pas question de ralentir cette production. En France 97% des produits chimiques sont pétrochimiques en 2009, selon l’Union des industries chimiques (UIC).

Deux publications issues de points de vue très différents permettent de mesurer l’ampleur du problème. Citons d’abord Delphine Lévi Alvarès, une des coordinatrices de la campagne mondiale sur les dégâts du plastique (#BreakFreeFromPlastic), interviewée dans le magazine Reporterre (le 29 mai 202. Elle explique comment le plastique est « bien plus qu’une bouée de sauvetage » pour les multinationales historiques du pétrole [Chevron, ExxonMobil, BP, TotalÉnergies…], « c’est un yacht de luxe ».  Les dérivés du pétrole seraient ou deviendraient bien plus bénéfiques que le combustible lui-même. Les lobbys pétroliers orientent leurs investissements dans ce sens, et tentent activement de faire « dérailler » les négociations pour un traité international sur le plastique. Elle reste lucide : « La pétrochimie est un véritable angle mort. Et ce, alors même qu’il s’agit du secteur le plus consommateur d’énergie…. Pourtant, on n’en parle pas. Tout autour de nous contient de la pétrochimie. C’est d’une complexité extrêmement dure à maîtriser. Cela implique d’avoir une conversation sur la transformation de toute notre économie ».

A l’autre bout du spectre politique, citons un article de la journaliste étasunienne Shelby Webb, publié dans Politico et titré : « Pourquoi l’industrie pétrolière peut prospérer sans essence ». L’ampleur du problème est claire : « Douze pour cent de la demande mondiale de pétrole provenaient du secteur pétrochimique en 2018, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). D’ici 2050, il pourrait capter 55 % de la demande de pétrole brut. L’essentiel de l’augmentation mondiale de l’utilisation des produits pétrochimiques dans les années à venir viendra du développement et de l’urbanisation des économies émergentes, selon l’AIE, alimentant ainsi une demande accrue pour une gamme de produits » (28/02/2024). Autrement dit, la fin du pétrole comme combustible est parfaitement prise en compte par les géants de la matière fossile ! En investissant dans les produits dérivés.

Bien entendu cela n’invalide pas du tout l’effort à faire en premier lieu sur les carburants. Mais si le pétrole entre dans un nouveau cycle de demande mondiale, avec des produits utiles (le Paracétamol fait défaut en France !), mais beaucoup d’autres très problématiques, on voit que la réflexion écologique ressemble à une montagne vertigineuse à gravir.  Derrière chaque anfractuosité franchie, se cachent constamment d’autres paysages et défis, à un bout ou à un autre de la planète, pays riches ou pays pauvres. C’est donc un vrai tournant de civilisation qui doit s’opérer, dans le rapport aux matières inertes comme aux êtres vivants et au travail humain.

Mais comme le dit le chercheur Christophe Dejours (et si la CGT maintient sa démarche émancipatrice par le travail) : « Travailler, c’est palper la résistance du monde et se transformer soi-même » (Interview à Philosophie Magazine le 15 février 2023).

01-09-2024.

 

 

 

 

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