Nous avons déjà rendu compte du débat qui s’anime à Toulouse quant à l’avenir de l’aéronautique après la crise du COVID-19. Un débat public a eu lieu avec des syndicalistes le 18 juin. Voir l’annonce dans Syndicollectif ici : https://wp.me/p6Uf5o-3vw. Ce débat était organisé par l’antenne toulousaine de la fondation Copernic, Attac Toulouse, l’Université populaire de Toulouse et les Amis du Monde diplomatique. Leurs représentants livrent ici leur point de vue sur le « plan » aéronautique annoncé par le gouvernement.
La grande arnaque
Analyse du plan de soutien gouvernemental à l’aéronautique présenté le 9 juin 2020
Préambule
15 milliards pour l’aéronautique ; soit 0,6% du PIB de la France ! Voilà donc un montant impressionnant. Pourtant, quelques petites dizaines de minutes suffisent pour constater qu’il s’agit là d’un montant bien loin de la réalité. Un peu comme d’habitude, nous sommes confrontés à un gouvernement qui érige les à-peu-près, voire les mensonges, comme principe cardinal de communication. Ce chiffre a été repris par la quasi-totalité des commentateurs et des médias et, la plupart du temps, sans le moindre recul. Cela est aussi inquiétant…
Dans la présente note, nous allons donc « décortiquer » cette annonce sur la base de l’analyse du dossier de presse remis aux journalistes le 9 juin 2020, jour de l’annonce de ce plan. Dans un premier temps, nous nous attacherons à analyser les chiffres annoncés et, dans un second temps, nous essaierons d’y voir un peu plus clair sur le contenu de ce plan.
Pour terminer ce préambule, chacun en lisant le dossier de presse pourra constater comme celui-ci est empreint d’amateurisme, sur la forme comme sur le fond. C’est un document réalisé à la va-vite, peu clair, mal consolidé. Du mauvais travail, presque bâclé. Décidément, la haute fonction publique française n’est plus ce qu’elle était…
- – Le montant des aides avec commentaires
En italique : extraits sans modification aucune, ni de forme ni de contenu, du dossier de presse ; les parties de texte en caractères « gras » font partie du document d’origine. Chaque extrait du dossier de presse est suivi de commentaires
1.1 – Les annonces
La filière a bénéficié des mesures mises en place par le Gouvernement, communes à l’ensemble des entreprises :
- 1,5 milliard d’euros de prêts garantis par l’Etat (PGE) ont déjà été accordés aux entreprises de la filière de construction aéronautique et spatiale à la mi-mai.
Au sein du secteur de fabrication de matériel de transport hors industries automobiles, qui inclut la filière aéronautique, 651 sites industriels ont demandé l’autorisation à mettre en place l’activité partielle depuis le 1er mars, pour quelques 110 000 salariés.
Commentaire
Si on veut déterminer quel est le montant des aides spécifiques au secteur, il faut enlever ce milliard et demi d’euros des 15 milliards annoncés car la mise en place des PGE n’est pas spécifique à la filière aéronautique. Il s’agit donc bien de prêts qui seront à rembourser aux banques et non d’aides directes prises sur le budget de l’Etat.
1er volet – Création d’un fonds d’investissement aéronautique : un outil de soutien en fonds propres pour préserver les savoir-faire critiques et améliorer la compétitivité des PME et ETI Les souscripteurs seront en premier lieu l’Etat via Bpifrance pour 200 M€. Les quatre grands donneurs d’ordre de la filière participeront également : Airbus à hauteur de 116M€, Safran à hauteur de 58M€, ; Dassault à hauteur de 13M€, Thales à hauteur de 13M€ et Bpifrance. Le gestionnaire du fonds et d’autres investisseurs privés ou institutionnels compléteront le tour de table.
L’objectif est de déployer un montant total à terme de 1 Md€ (en dette et en fonds propres) au profit de la filière au travers de cet instrument, avec une première levée de fonds de 500 M€ en capital mobilisable dès le mois de juillet.
Commentaire
0.5 milliard dès juillet mais l’état n’interviendra que via la BPI pour 200 millions ; le milliard d’euros ne sera atteint qu’à terme (mais quand ?).
2nd volet – Création d’un fonds d’accompagnement public à la diversification, à la modernisation et à la transformation environnementale des procédés. Ce dispositif permettra de soutenir, dès les prochains mois, les projets de transformation des entreprises comme par exemple la mise en place de lignes de production innovantes et robotisées dans plusieurs secteurs comme l’usinage, l’électronique, ou de soutenir des entreprises de la filière ayant des projets de reconversion par l’innovation de leurs activités. Montant du financement de l’Etat: 300 millions d’euros sur trois ans.
Commentaire
100 millions par an sur 3 ans
3e volet – Intensification du soutien aux efforts de R&D pour faire de la France l’un des pays les plus avancés dans les technologies de l’avion « vert »
Pour l’année 2020, afin de maintenir et d’accélérer les efforts de recherche et de développement de la filière, le budget public de soutien sera plus que doublé, et au total 300M€ seront mobilisés pour contribuer à l’effort de relance et d’accélération de la décarbonation de la filière. Ce montant sera encore doublé à 600M€/an en 2021 et 2022, en s’appuyant en partie sur une contribution du plan de relance européen (200 M€ par an). En complément, les aides à la filière aéronautique sont rehaussées par le Programme d’investissements d’avenir (PIA), dans le domaine de la propulsion hydrogène, pour 50 M€, ou à travers les nouveaux financements accordés aux Instituts de recherche technologique (IRT), qui bénéficient à la R&T aéronautique partenariale publique-privée pour 85 M€.
Commentaire
Le vrai montant immédiat des aides sera le doublement des aides existantes (budget public de soutien qui va passer de 150 millions à 300 millions) puis sera doté de 1,2 milliard sur 2 ans duquel il faudra déduire les aides de l’UE. Total : 150 millions en 2020, 1,2 milliard en 2021/2022 moins 0,2 milliard de l’UE. Montant net : 1,15 milliard (sur 2 ans)
Nous alimenterons très concrètement le plan de charge de la filière par des commandes anticipées d’avions, d’hélicoptères et de drones militaires, apportant ainsi un soutien concret et immédiat à la préservation de l’emploi en particulier dans les PME et les ETI. Le montant total de ces commandes anticipées sera de 832 M€.
Commentaire
Il ne s’agit pas de nouveaux fonds mais d’une anticipation de commandes
AF/KLM
24 avril 2020 : Vote positif en Conseil d’administration et annonce d’une aide totale de 7 Md€ composée d’un prêt bancaire garanti par l’Etat de 4 Md€ et d’une avance en compte courant d’actionnaire de l’Etat de 3 Md€.
Commentaire
Il ne s’agit pas d’une annonce nouvelle mais de la confirmation de décisions prises il y a deux mois, à la mi-avril. Il ne s’agit pas d’argent frais mais de garantie de prêts et avances en compte courant… Et cela concerne le secteur aérien, pas l’industrie aéronautique même si les deux sont fortement liés (pas d’avions à construire si pas de passagers à transporter…)
1.2 – Bilan réel des aides annoncées le 9 juin
- – Apports directs et indirects de l’état pour la filière aéronautique
- 200 millions en 2020 via BPI France pour le fond d’investissement aéronautique / les autres financements seront apportés par le privé pour 200 millions et via un futur tour de table pour atteindre 1 milliard à terme dont 500 millions en 2020 comprenant les 200 millions de la BPI
Sur 2020 : 200 millions via la BPI
- 300 millions sur 3 ans pour le fond d’accompagnement public à la diversification
- 1,15 milliard pour le fond R&D
Sur 2020 : 150 millions ; pour 2021 : 600 millions ; pour 2022 : 600 millions auxquels il faut déduire 200 millions apportés par l’UE
Sous total : 2,45 (1 + 0,3 + 1,15) milliards dont 450 millions sur 2020
% du total : 19,17%
- – Fonds déjà débloqués ou annoncés
- Régime des PGE (non spécifique à la filière) : 1,5 milliards
- Prêts et compte courant AF/KLM : 7 milliards
Sous total : 8,5 milliards
% du total : 66,51 %
- – Anticipation de commandes (secteur militaire)
- 830 millions
% du total : 6,49%
- – Fonds privés ou à lever
- 200 millions des majors du secteur pour 2020 via le GIFAS – Groupement des Industries Françaises Aéronautiques et spatiales
- 800 millions à lever en 2021 et 2022
Sous total : 1 milliard
% du total : 7,82%
Total : 12,78 milliards (et non 15 comme annoncés)
Commentaires
Nous sommes donc face à une opération de communication politique qui triche sur le montant global du plan présenté (12,78 milliards et non 15 milliards).
De plus, la présentation est fallacieuse car les deux tiers du plan concernent des fonds déjà annoncés en avril (AF/JKLM – 54,77% du total réel) ou déjà débloqués dans le cadre d’une aide aux entreprises non spécifique au secteur aéronautique (régime des PGE – 11,73% du total réel).
Seuls 2,45 milliards (19,17% du total réel) sont des aides réelles de l’état ou de structures
sous son contrôle.
Et, sur ce montant, seuls 450 millions (3,52 % du total des « aides ») seront imputés sur le budget 2020…
La question du contrôle des aides
Au-delà des montants, le principe des aides publiques se heurte régulièrement à un certain scepticisme quant à leur utilisation (et d’ailleurs, cela ne concerne pas que le secteur aéronautique) :
- Qui les gère ?
- Quels garde-fous ?
- Qui fixe les objectifs ?
- Qui contrôle leur application et qui contrôle les résultats ?
- Qui applique d’éventuelles rétorsions et comment ?
La première démarche à mettre en œuvre serait celle d’affecter un petit pourcentage des montants affectés aux aides publiques à la mise en place d’une « cellule » de contrôle de l’utilisation de ces mêmes aides.
Cette structure, qui serait dotée de vrais moyens d’investigation et de contrôle (sur pièces et sur place), serait administrée dans le cadre d’un double collège se répartissant les sièges à parité. Le premier collège serait composé de représentants des salariés et des habitants des territoires concernés (syndicats et associations avec l’appui d’experts librement choisis) et le second serait composé de représentants des collectivités locales et territoriales ainsi que des chambres consulaires.
Tout ceci reste bien évidemment à élaborer mais ce serait un signal fort envoyé aux bénéficiaires des aides. On pourrait résumer cette démarche par la formule suivante :
« Subventions : pas un rond sans conditions ! »
2 – Le programme du plan de relance et la conditionnalité des aides
Extraits du dossier de presse
S’il ne fait aucun doute que l’avion restera un moyen de transport nécessaire, l’impact de la crise sanitaire sur l’équilibre économique des compagnies aériennes va réduire, au moins pour quelque temps, leur capacité d’investissement dans des appareils neufs. Elle pourrait également entraîner des changements de comportement des passagers, les incitant à se tourner vers d’autres modes de transports lorsque cela est possible ou à renoncer à voyager. Dans ce contexte, l’industrie aéronautique va subir des baisses d’activités importantes (de l’ordre de -40%), a minima jusque fin 2020, et plus probablement pendant toute l’année 2021.
Commentaire
Cet extrait du texte montre bien que le cœur du financement (plus de la moitié de celui-ci) concerne le soutien à Air France. En particulier pour acheter de nouveaux avions… (qui seront censés être plus « écolos »). En fait, ce plan aurait pu être présenté depuis le siège social d’Air France/KLM qui va aussi bénéficier des fonds et aides de l’état néerlandais (2 à 4 milliards d’euros)…
Le plan présenté par Bruno Lemaire indique « un moratoire d’un an sur le remboursement en principal pour les crédits des compagnies aériennes dans le cadre de Bpifrance Assurance Export (…) Les échéances reportées seront remboursables sur les trois années suivantes ».
Dans ce cadre, il est question d’encourager (pas d’imposer – n’y pensons pas…) « les compagnies aériennes à publier des rapports publics de leurs émissions de CO2 ainsi que d’adopter et de publier des stratégies de réduction et/ou de compensation de ces émissions. »
Seule mesure qui apparaît un peu contraignante, c’est le non versement de dividendes. Le dossier de presse précise : « (…) en contrepartie de l’obtention du moratoire, les compagnies bénéficiaires s’engagent, jusqu’au complet remboursement de la partie reportée du crédit, à ne pas verser de dividendes ou d’autres montants à leurs actionnaires (incluant les prêts d’actionnaire), et à ne pas mettre en œuvre de programmes de rachat d’actions. Dans le cas contraire, les bénéficiaires sont obligés de rembourser immédiatement les montants de crédit reportés ».
Commentaire
Qui va vérifier les engagements en termes de diminution d’émissions de CO2 ? Et celles en termes de versements de dividendes sachant que la « culture » gouvernementale en ce domaine est la confiance « aveugle » envers les entreprises… ? Il ne suffit que de se référer aux sommes gigantesques du CICE qui sont allouées à ces mêmes entreprises sans le moindre contrôle. On ne peut que faire la comparaison avec la chasse aux « fraudeurs » des aides publiques ou sociales quand il s’agit de vérifier les APL ou bien les allocations chômage…
Il est question ensuite de l’ambition environnementale. Le dossier précise : « Il est envisagé qu’un assouplissement temporaire soit proposé par les Etats membres de l’Union européenne à leurs partenaires de l’accord aéronautique de l’Arrangement OCDE. (…) La France défendra, dans le cadre de cette négociation, la prise en compte d’une ambition environnementale forte afin que la mise en œuvre d’un tel assouplissement temporaire incite les bénéficiaires à déployer des stratégies de mesure et de réduction ou de compensation de leurs émissions de gaz à effet de serre. »
Commentaire
L’ambition environnementale, comme le dit le dossier, est donc conditionnée à un accord de l’UE dans le cadre d’un accord de l’OCDE. On attend avec intérêt, avec inquiétude en fait, la réaction des autres états dont certains n’ont que faire d’une politique conditionnelle en termes d’environnement. Là aussi, nous sommes dans le domaine de l’annonce et de la communication…
Pour ce qui concerne plus spécifiquement Air France, il est question de « réduire son empreinte environnementale, grâce au bénéfice des avancées techniques des modèles d’avions les plus récemment produits (motorisations plus économes, matériaux plus légers, etc.). Maintenir la capacité de l’entreprise à investir en la matière est donc le meilleur levier pour assurer une trajectoire de sobriété environnementale, objectif indispensable au respect des engagements écologiques du gouvernement et à l’acceptabilité globale du transport aérien ».
Les contreparties demandées par le gouvernement « visent notamment à :
· permettre le redressement de la compétitivité du groupe à travers un plan que présentera la direction de l’entreprise pour assurer la soutenabilité économique et financière du Groupe ;
- plus spécifiquement concernant Air France, prévoir des réformes structurelles sur la maîtrise des coûts et des efforts de productivité pour l’aligner sur les meilleurs standards internationaux, notamment à travers la négociation de nouveaux accords avec les organisations représentatives du personnel ;
- réviser le périmètre du marché domestique avec la réduction des vols régionaux, dès lors qu’il existe une alternative ferroviaire inférieure à 2h30, tout en préservant les correspondances ultramarines et internationales ;
- réduire de 50% les émissions de CO2 des vols métropolitains au départ d’Orly et de région à région d’ici la fin 2024 et moderniser la flotte moyen et long-courrier, notamment afin de diminuer son impact écologique, et aussi à travers l’objectif de 2% de carburant alternatif durable à incorporer dans le réservoir des avions dès
Air France-KLM détaillera prochainement chacun de ces éléments dans un plan complet permettant à la fois de rendre la compagnie plus viable, et donc de lui permettre de revenir sur le chemin de la croissance, mais aussi plus écologique. »
Commentaires
Le but premier du plan est donc de maintenir AF/KLM à flot en favorisant l’achat d’aéronefs de dernière génération. La question qui se pose est celle du devenir des avions existants et non amortis. Au-delà des aspects comptables et financiers, il s’agit en fait, tout bêtement, d’une prime à la casse… La mise en place d’une filière déconstruction/ recyclage n’est abordée nulle part…
Plus inquiétant sont les contreparties. Quand on lit qu’il est question de « redressement de la compétitivité », de « soutenabilité économique et financière », mais aussi de « réformes structurelles sur la maîtrise des coûts et des efforts de productivité pour les aligner sur les meilleurs standards internationaux ». Pour qui connaît bien la novlangue néolibérale, tout ceci annonce de « la sueur et des larmes » pour les salariés d’Air France et ses sous-traitants. Les
« cost killers » vont sévir… Les syndicats craignent 10 000 licenciements dans les mois qui viennent… (pour information1 : le groupe Lufthansa prévoit actuellement de diminuer de 16% ses effectifs dans le monde soit 22 000 emplois Equivalent Temps Plein). Au fait, les meilleurs standards internationaux en ce domaine, ne seraient-ce pas ceux du secteur low-cost… ? On peut le craindre.
Enfin, il est question d’achats de nouveaux aéronefs. Selon les informations publiées en fin d’année 2019, Air France doit passer commande pour l’achat de soixante A220. Ces A220, anciennement C22O, sont des avions monocouloirs conçus et fabriqués en Amérique du Nord (sous l’égide de Bombardier, fabricant canadien racheté par Airbus en octobre 2017 – Airbus détenant aujourd’hui 75% des actions) qui ont vocation à remplacer les Airbus A318 et A319. Les A220 sont assemblés à Mirabel au Canada et à Mobile en Alabama… Les garanties d’emprunt et les apports en compte-courant de l’état vont donc servir à doter Air France de nouveaux appareils construits en dehors de l’Europe. Et on nous parle de plan de soutien à l’aéronautique française. Cela ne peut que laisser pensif…
On peut lire ensuite une sorte de monument de la langue « communicationnelle » utilisée par les « cranes d’œufs » et les « men in black » qui peuplent l’univers du capitalisme et du néolibéralisme (tant dans les administrations centrales que dans les entreprises) :
« L’ambition majeure du plan est de préparer la rupture environnementale de l’aviation tout en confortant et en transformant la majeure partie des capacités de toutes les composantes de la filière, pour maîtriser dans moins d’une décennie l’intégration dans les aéronefs des technologies de rupture qui fonderont la transformation écologique du secteur, et pour gagner fortement en efficacité (réduction des coûts et des cycles, accélération générale de la maturation des technologies, etc.) »
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Un passage qui semble rédigé par un stagiaire de l’ENA, dans l’urgence, pour finaliser le document que son ministre va présenter le lendemain… Un bel exemple de langue de bois camouflant un vide de contenu.
Par contre, il est écrit dans le plan, de manière beaucoup plus précise : « L’Etat et la filière vont ainsi mettre en place de nouveaux instruments de financements en fonds propres et quasi fonds propres à destination des PME et ETI de la filière aéronautique française pour les renforcer et les accompagner par fusion, acquisition, réorganisation, ou refinancement et restructuration de bilan. »
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Là, nous sommes « dans le dur ». « (…) fusion, acquisition, réorganisation… » ; tout ça on connaît déjà. Les gros (les équipementiers et systémiers – cf. le texte « Toulouse, un nouveau Détroit ? ») vont manger les petits. Et l’emploi va trinquer. On nous expliquera, comme toujours, qu’il y a des doublons, que les outils de travail sont à moderniser, que la productivité est trop faible, que les ratios de structure ne sont pas bons, que la masse salariale plombe la rentabilité pour résister dans le cadre de la compétition internationale, etc., etc. Les patrons vont, avec la complicité de certains syndicats (suivez notre regard…) sortir toute la panoplie des mesures issues de la loi Travail et des ordonnances Macron. Tout cela enrobé dans des sigles qui signifient exactement le contraire de ce qu’ils seraient censés exprimer. Un PSE – Plan Social d’Entreprise, c’est un plan de destruction de l’emploi, cela n’a rien de social… ; un APC – Accord de Performance Collective, c’est réduire les rémunérations et rogner les conquis sociaux ; c’est la performance pour la rémunération des actionnaires, cela n’a rien de collectif (voyez ce qui se passe en ce moment chez Derichebourg Aéronautics Services à Toulouse).
Le plan gouvernemental va aider les capitalistes du secteur aéronautique et du transport aérien à rationaliser leur filière et à mener à bout des projets déjà initiés bien avant la crise du Covid-19. Les syndicalistes du secteur le savent bien, eux qui se battent pied à pied depuis des années contre tous ces plans de restructuration dans lesquels les salariés, les intérimaires et les sous-traitants de rang 2 et 3 sont la variable d’ajustement. Les sommes mises sur la table par le gouvernement (même si elles sont bien inférieures à ce qui est annoncé) et qui ont pour origine le travail des salariés (via les impôts payés par les citoyens) vont servir à licencier et à reconstituer les marges des entreprises pour qu’elles soient « sexy » au regard des capitaux flottants, avides de dividendes, qui rôdent partout dans l’économie néolibérale. Le gouvernement sait bien où il va. Et il s’en donne les moyens. Le club informel des « donateurs de Londres » qui ont financé la campagne de Macron et qui se préparent à faire de même dans deux ans ont besoin de gages. Vous avez dit intérêt collectif… ?
Le plan de financement du secteur R&D parle de préparation du successeur de l’A320 « basé sur l’ultra-sobriété énergétique (- 30% de consommation de carburant et capacité à 100% de biocarburants) » et de « préparer à l’hydrogène comme carburant primaire (appareil zéro émission de CO2) avec entrée en service dans 15 ans »
Il est aussi question d’un appareil régional hybride électrique ou alimenté à l’hydrogène, de nouveaux jets d’affaire « 100% bio carburants »et d’optimisation des opérations aériennes et aéroportuaires.
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Hormis le fait que l’utilisation de l’hydrogène comme carburant laisse sceptique nombre de spécialistes du secteur2, la référence aux biocarburants est inquiétante car elle implique la mise en place d’une filière qui va entrer en concurrence avec la satisfaction des besoins alimentaires de la population mondiale (des milliers d’hectares pour l’huile de palme ou bien pour des cultures vivrières ?). Quant aux jets d’affaires et au vu de leur usage bien loin de la notion d’intérêt collectif, le plus simple serait sans doute de les supprimer ou du moins d’encadrer très sérieusement leurs modalités d’utilisation…
Mais surtout, quand on sait le niveau de l’urgence écologique (une échéance à 10 ans – cf. les derniers rapports du GIEC) et si jamais on pouvait construire un avion propre (on peut quand même rester dubitatif à ce sujet – Là aussi, on peut utilement se référer au dossier du Shift Project), celui-ci ne serait opérationnel que lorsque les mesures à prendre conduiraient, de toutes façons, à ne plus autoriser le transport aérien pour d’autres activités que celles liées aux besoins sanitaires ou d’urgence justifiés…
Il est écrit en fin de document : « Le soutien à la recherche et au développement de la filière aéronautique, opérés notamment dans le cadre du CORAC, permettra d’accélérer les investissements à mener pour développer les briques technologiques nécessaires pour produire des avions décarbonés dans les prochaines décennies, et ainsi de participer de l’atteinte de l’engagement d’une division par deux des émissions de GES à horizon 2050. »
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L’objectif de division par deux des émissions de GES dans 30 ans (c’est un minimum…) semble aujourd’hui, dans le cadre du maintien d’une économie capitaliste et néolibérale, comme un vœu pieu. Cet objectif, pour être atteint, passera par d’autres mesures que celles d’un avion dit « décarboné » auquel et nous le répétons, après quelques investigations et un peu de curiosité, personne ne croit vraiment. Il faut avant tout réduire la demande et considérer que le transport aérien ne peut plus servir de support au développement effréné du tourisme mondial… Une page doit se tourner sur ce sujet-là.
Et il faut avoir le courage de le dire. Les petits sauts de puce en avion entre capitales européennes pour un court séjour d’agrément (un petit concert à Salzbourg ou bien aller manger de la pasta au pied du Colisée à Rome), ce n’est pas (plus) compatible avec les enjeux liés à la lutte contre le réchauffement climatique. Et les séjours d’une semaine parqués dans des resorts à Dubaï, aux Canaries, en République Dominicaine ou bien en Tunisie, ce n’est plus possible si on veut atteindre les objectifs du GIEC. Le tourisme international doit se réinventer et changer ses modèles…
Le document se termine par les « engagements structurants de l’ensemble de la filière française ».
Il est écrit, dans le document :
« Le soutien de l’Etat aux entreprises les plus grandes doit permettre de stabiliser la filière et de préserver sa capacité de long terme à développer la prochaine génération d’avions respectueux de l’environnement. Ce soutien doit aussi permettre de produire en France ces prochaines générations d’appareils et doit donc irriguer l’ensemble de la filière française.
Les entreprises de la filière s’engagent sur une nouvelle charte structurante :
- Adopter, dans la sélection des fournisseurs, une approche basée sur le coût global de possession intégrant en particulier les critères de coûts logistiques, de risques, de qualité, ainsi que le coût
- Prendre en compte des critères de RSE (responsabilité sociétale des entreprises) et d’innovation.
- Considérer de manière favorable l’offre de fournisseurs produisant en France et en Europe si celle-ci est de compétitivité équivalente à une offre localisée hors France et d’Europe en coûts
- En dehors d’objectifs spécifiques de compensation commerciale, ne pas donner d’objectifs a priori de localisation hors de France aux fournisseurs français ou d’Europe.
- Engager une réflexion sur le rapatriement de productions ou de savoir-faire technologiques stratégiques pour la filière française et européenne.
- Développer des relations plus équilibrées entre donneurs d’ordres et fournisseurs et notamment respecter les commandes
- Renforcer l’usage de la médiation entre les
- Former les acheteurs à ces nouvelles pratiques. »
Commentaires
Comme toute les chartes de cette nature, celle-ci est un catalogue de bonnes intentions qui seront oubliées dès que le cash sera dans les caisses… De l’enfumage, on vous dit !
Si la RSE avait changé quoi que ce soit dans le rapport entre l’activité des entreprises et la justice sociale et environnementale, on le saurait…
Nous pouvons aussi évoquer de nouveau les modalités de contrôle de l’utilisation des aides publiques directes et indirectes accordées aux entreprises. Cette question demanderait comme nous l’avons évoqué précédemment, la rédaction d’une note dédiée à ce sujet.
La relocalisation évoquée est floue. Pourtant, il y a des mesures de protectionnisme solidaire qui pourraient être prises. Mais celles-ci, par la nature même de la division internationale du travail, ne peuvent être prises que sur la base d’accords bi ou multilatéraux ; surtout pas dans le cadre du libre échange tel que le structurent les accords et traités internationaux comme le TAFTA, le CETA ou bien encore le JEFTA… Il faut remettre au goût du jour des rapports internationaux reposant sur la coopération, le respect mutuel, la paix entre les peuples, le respect des droits de l’homme et des libertés publiques et syndicales et, de manière urgente, sur la préservation de l’écosystème humain. Il faut écrire une nouvelle « charte de la Havane ».
Pour en terminer
Enfin, on ne peut que constater que les grands absents sont les salariés du secteur.
Pas une ligne sur le maintien des emplois, sur la diminution du temps de travail (travailler moins pour travailler tous… sans baisse des salaires bien sûr) et sur les cadences.
Et rien, ou si peu, sur les réelles modalités de contrôle sur l’utilisation des aides.
Et puis, n’oublions pas que tout cela fait penser à un enfumage de première ; la communication sur les fameux 15 milliards alloués à la filière en étant la meilleure expression.
Un travail similaire mériterait d’être diligenté au sujet des aides au secteur automobile quand on voit les sommes annoncées par l’état, 8 milliards d’euros. Un travail d’investigation montrerait qu’il en est sans doute de même par rapport à l’analyse que nous venons de développer pour les secteurs du transport aérien et de la construction aéronautique. Et que le résultat est le même : licenciements et fermetures d’usines sont le pendant des mesures financières annoncées.
L’Etat français, « capturé » par le néolibéral Macron, est mis au service du capital pour permettre à celui-ci de reconstituer ses marges en plongeant dans la crise et la précarité des dizaines de milliers de salariés et des territoires entiers. Et pour faire passer la pilule, on habille le tout de vert… Franchement, qui peut croire une seconde que les néolibéraux sont ceux qui permettront de relever le(s) défi(s) que pose la crise climatique ?
Cette nouvelle contribution, la quatrième, au débat ouvert par la crise en cours a été rédigée par :
Pascal Gassiot (Antenne toulousaine de la Fondation Copernic)
Pierre Bonneau (Attac Toulouse)
Gilles Daré (Université Populaire de Toulouse)
Jean-Pierre Crémoux (Amis du Monde Diplomatique Toulouse)
1 https://www.air–journal.fr/2020-06-12-le-groupe-lufthansa-veut-supprimer-20-000-postes- 5220802.html
2 A ce sujet, voir en particulier le § 2.2.10, page 18, du dossier rédigé par The Shift Projet : « Crise(s), climat : préparer l’avenir de l’aviation » – https://theshiftproject.org/article/climat-preparer-avenir- aviation-propositions-shift-contreparties/