Face à Trump : le syndicalisme aux Etats-Unis

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Cet article est rédigé par Dan La Botz qui a travaillé comme chauffeur de camion et a été membre fondateur de Teamster for a democratic union (TDU, chauffeurs pour un syndicalisme indépendant). Il explique ce projet et décrit la situation générale du monde du travail et du syndicalisme aux USA, y compris en revenant sur des pages d’histoire. Plus bas, figure un appel de 10 syndicats exigeant le respect des droits, première coalition syndicale unitaire face aux attaques violentes des travailleurs-euses. Il est commenté par Natascha Elena Uhlmann (rédactrice pour Labor Notes). Ces articles font partie du numéro 29 des Utopiques, cahier de réflexions de l’Union syndicale Solidaires (que nous remercions). Nous y reviendrons. 

Les utopiques 29 - La Botz-images-0

Les syndicats et les travailleur·euses américain·es face à l’attaque sauvage de Trump

 

 

Le 5 avril 2025, des millions de personnes, dans les 50 États américains, ont participé à 1 600 manifestations dans les grandes et petites villes pour protester contre le président Donald Trump et son acolyte milliardaire Elon Musk. Plusieurs petites manifestations de solidarité ont également eu lieu dans des villes européennes. Les manifestations « Bas les pattes », les plus importantes jamais organisées contre Trump, exigeaient que Trump cesse de toucher à la démocratie, aux droits humains, aux droits reproductifs, à la sécurité sociale, à Medicaid, aux écoles publiques, aux immigrant·es et aux personnes LGBTQ+. À New York, où j’ai participé à la manifestation sous la bruine, quelque 50 000 personnes ont participé à une marche animée, arborant de nombreuses pancartes et banderoles originales et faites à la main. J’ai vu des pancartes sur lesquelles on pouvait lire : « Touche pas à notre planète », « Élimination de personnes pour cause de liberté d’expression = fascisme » et « Touche pas à nos corps, à notre démocratie, à notre liberté, à notre Constitution ». Quelques pancartes de soutien à l’Ukraine ont également été présentes dans la manifestation, mais moins nombreuses étaient celles qui évoquaient le génocide palestinien.

 

Les manifestations ont été appelées par diverses organisations, notamment des groupes du Parti démocrate comme Indivisible, des groupes de travailleur·euses comme le Réseau des syndicalistes fédéraux, ainsi que des groupes de défense de l’environnement, religieux, pour la défense des droits humains et des droits civiques. Pourtant, à New York, les plus grands syndicats, comme le Service Employees International Union et l’American Federation of State, County, and Municipal Employees, qui comptent de nombreux membres noirs, n’ont pas réussi à mobiliser leurs rangs. Le syndicat des travailleur·euses de la Cité universitaire de New York a fait exception. La plupart des syndicats n’ont pas réussi à mobiliser leurs membres, même si des fonctionnaires fédéraux, dont beaucoup ont été récemment licencié·es, ont rejoint les manifestations.

 

La manifestation new-yorkaise était majoritairement blanche, avec seulement un petit nombre de participant·es noir·es, dans une ville où les Noir·es représentent 20 %, les Latinos 28 % et les Asiatiques 15 % de la population. Certains Latinos sont peut-être resté·es chez eux-elles par crainte d’être arrêté·es et expulsé·es, Trump étant désormais engagé dans une campagne massive d’expulsions. Sur les réseaux sociaux, des influenceurs noirs ont conseillé à leurs abonné·es de rester chez eux-elles, leur disant que la marche ne les concernait pas. La faible participation des Noir·es a été un problème presque partout.

 

Ces manifestations ont constitué une avancée significative, mais les grands syndicats ne sont pas encore véritablement engagés dans la lutte, et il n’existe pas de direction commune ni de consensus sur la question de savoir si les Démocrates ou les manifestations de masse représentent la voie à suivre. La gauche n’est que faiblement présente et joue un rôle limité jusqu’à présent.

- 12 - Illust1 - LaBotz - Les syndicats et les travailleurs américains font face à l'attaque sauvage de Trump(1)Ci-contre : manifestation 5 avril 2025 à New York (DLB)

L’attaque de Trump contre le monde du travail

Donald Trump a lancé une attaque sans précédent contre la classe ouvrière américaine, menaçant des dizaines de syndicats et des millions de travailleur·euses. Cette attaque contre les travailleur·euses prend de multiples formes. Trump menace d’expulser 20 millions d’immigré·es sans papiers, alors que la plupart des experts estiment qu’il n’y en a que 11 millions dans le pays. Pour mener à bien ces expulsions, il a renforcé les effectifs de la police de l’Immigration et des Douanes, ainsi que ceux de la police des frontières.

 

Entre autres, ces agents ont arrêté et expulsé des centaines de membres présumés de gangs vénézuéliens, souvent identifiés grâce à leurs tatouages. Ce faisant, Trump a souvent refusé aux immigrant·es une procédure régulière et violé la loi américaine et les décisions de justice. De nombreux immigrant·es sans papiers vivent désormais dans la peur et restreignent souvent leurs déplacements pour échapper aux agents. En violation de la Constitution américaine et de la loi sur l’immigration, Trump a également ciblé des étudiant·es étranger·es  identifié·es lors de rassemblements de solidarité avec la Palestine, les faisant arrêter et prévoyant de les expulser, parmi lesquels Mahmoud Khalil, étudiant à Columbia, dont le cas est devenu célèbre. Pourtant, selon de récents sondages, 48 % des Américain·es approuvent sa politique d’immigration, tandis que 44 % la désapprouvent, ce qui signifie que de nombreux travailleur·euses américains né·es aux États-Unis sont favorables à l’expulsion des immigrant·es sans papiers.

 

Trump s’en est également pris aux fonctionnaires fédéraux. Son homme de main, Elon Musk, est en train de licencier 13 % des 2,4 millions de fonctionnaires du pays, soit 312 000 personnes. Certaines de ces suppressions d’emplois auront un effet dévastateur sur les agences concernées, notamment sur les 24 % des employé·es du secteur de la santé et des services sociaux. Certains de ces fonctionnaires ont été licencié·es sans préavis, constatant à leur arrivée que leurs badges électroniques ne fonctionnaient plus et que leurs comptes de messagerie gouvernementaux avaient été fermés. D’autres reçoivent des courriels tard le soir ou tôt le matin même de leur licenciement. Certains travailleur·euses acceptent des indemnités de départ, une combinaison d’indemnités de départ et de retraite. La vie de millions de personnes, les travailleur·euses, leurs familles et les personnes qu’ils ont servies, est bouleversée et, dans certains cas, ruinée économiquement. Pourtant, selon de récents sondages, 40 % des Américain·es approuvent la gestion du gouvernement fédéral par Trump.

 

Parallèlement, Trump a aboli par décret le droit de négociation collective d’un million de fonctionnaires fédéraux dans dix ministères, détruisant ainsi leurs syndicats. Ces derniers ne pourront plus percevoir auprès de ces travailleur·euses les millions de dollars de cotisations utilisés pour payer leurs permanent⸳es et mettre en œuvre des programmes syndicaux. La Fédération américaine des employés du gouvernement (AFGE), qui représente 800 000 fonctionnaires fédéraux, conteste devant les tribunaux l’interdiction des syndicats prononcée par Trump. Tout comme lorsque Ronald Reagan a licencié 11 000 contrôleurs aériens professionnels en grève en 1981, cette attaque de Trump contre les syndicats et les travailleur·euses fédéraux encouragera les entreprises privées à suivre son exemple, cherchant à se débarrasser de leurs travailleur·euses syndiqué·es.

 

De plus, les tarifs douaniers imposés par Trump à des dizaines de pays, affectant le commerce en milliards de dollars dans de nombreux domaines, et qui, selon lui, ramèneront des industries et des emplois aux États-Unis, ont entraîné une guerre commerciale qui a déjà eu un impact négatif sur les travailleur·euses américain·es. Par exemple, le constructeur automobile Stellantis licencie temporairement 900 travailleur·euses dans cinq usines américaines et suspend la production dans une usine d’assemblage au Mexique et une autre au Canada. Avec la perturbation du commerce et la rupture des chaînes d’approvisionnement mondiales, d’autres entreprises seront également contraintes de fermer des usines et de licencier des travailleur·euses.

 

Enfin, la guerre commerciale de Trump a effrayé les investisseurs, provoquant une forte baisse des marchés boursiers, qui s’est reflétée dans la valeur de nombreux plans de retraite 401-k [fonds de pension[1]]. Autrement dit, des millions de travailleur·euses ont vu leurs comptes de retraite personnels diminuer ces deux dernières semaines. Même si Trump n’avait peut-être pas l’intention de s’en prendre à ces travailleur·euses de cette manière, c’est une nouvelle atteinte à leur situation sociale. De plus, les droits de douane et la guerre commerciale signifient que les produits de base comme l’alimentation, les vêtements et le logement seront désormais plus chers, une inflation qui se reflète déjà dans les rapports économiques.

- 13 - Illust1 - Uhlmann - Dix syndicats nationaux appellent à la résistance anti-Trump(Photo SEIU, syndicat des employé-es)

Des données sur le travail aux États-Unis

Qu’est-ce que la classe ouvrière américaine aujourd’hui ? Les États-Unis comptent 340,1 millions d’habitant·es, ce qui en fait le troisième pays le plus peuplé au monde, après l’Inde et la Chine. Parmi eux, environ 144,5 millions perçoivent un salaire. Quelque 78,7 millions touchent un salaire horaire, constituant le cœur de la classe ouvrière. Parmi eux-elles, environ 12 millions sont des ouvrier·es du secteur manufacturier et six millions sont des cols-bleus. Le taux de syndicalisation est faible. En 2024, 9,9 % des salarié·es étaient syndiqué·es. Dans le secteur public, le taux de syndicalisation représentait 32,2 %, tandis que dans le secteur privé, seulement 5,9 % des travailleur·euses étaient syndiqué·es. (La syndicalisation du secteur public a été ravagée cette année, comme nous le verrons plus loin.) Environ 8 % de la main-d’œuvre américaine est composé de travailleur·euses sans papiers. Les travailleur·euses noirs, latinos ou jeunes ont généralement des salaires plus bas.

 

En janvier 2024, les États-Unis comptaient environ 16 millions de travailleur·euses syndiqué·es. Environ 15 millions d’entre eux appartiennent à 63 syndicats affiliés à la AFL-CIO (Fédération américaine du travail-Congrès des organisations industrielles). Les syndicats d’enseignant·es comptent parmi les plus importants du pays : la National Education Association (NEA) compte plus de 3 millions de membres et l’American Federation of Teachers 1,7 million. Les deux autres grands syndicats sont le Service Employees International Union (SEIU) avec 1,9 million de membres et l’International Brotherhood of Teamsters (IBT) avec 1,4 million de membres. Plusieurs autres syndicats comptent plus de 500 000 membres. On a constaté une certaine augmentation des grèves au cours de la dernière décennie, avec un pic en 2023 et 2024. En 2024, quelque 271 500 travailleur·euses ont participé à des arrêts de travail majeurs. Pourtant, le nombre de grèves récentes est sans commune mesure avec les vagues de grèves nationales des périodes 1933-1940, 1946-1948 ou 1969-1971, lorsque des millions de travailleur·euses ont fait grève, paralysant divers secteurs. La montée en puissance du mouvement ouvrier de la fin des années 1960 et du début des années 1970 a pris fin dans les années 1980, lorsque les républicains et les démocrates conservateurs, puis la période néolibérale des années 1980 et 1990 ont affaibli les syndicats et contrecarré les grèves qui ont entraîné le déclin du militantisme syndical pendant plus de 40 ans.

 

La bureaucratie syndicale

Le déclin des syndicats et leur militantisme déclinant peuvent être attribués en grande partie à la bureaucratie ouvrière, c’est-à-dire à leurs personnels élus ou nommés. Le succès des syndicats ouvriers dans les années 1930 – tant les syndicats de métier de l’AFL que les syndicats industriels du CIO –, combiné à la réglementation gouvernementale de nombreux secteurs, leur a permis d’embaucher du personnel permanent à temps plein et de leur verser des salaires décents. Lorsque les États-Unis sont entrés dans la Seconde Guerre mondiale, les représentants syndicaux ont collaboré avec les entreprises et le gouvernement pour accroître la production, ce qui a entraîné l’expansion continue du mouvement ouvrier, sa stabilité et sa légitimité de plus en plus importantes, mais aussi un profond conservatisme parmi les dirigeants syndicaux.

 

Les responsables syndicaux prirent l’habitude de négocier avec les employeurs et de collaborer avec les représentants du gouvernement pour accroître la productivité, une habitude souvent partagée par les travailleur·euses. Les syndicats obtinrent non seulement des augmentations de salaire, mais aussi des prestations de santé et des retraites. Mais entre les années 1950 et 1980, seul un tiers environ des travailleur·euses américains étaient syndiqué·es et bénéficiaient de ces avantages. Dans les industries syndiquées, les responsables avaient tendance à troquer les salaires contre des conditions de travail, donnant ainsi aux employeurs le contrôle de l’atelier. Parallèlement, les responsables syndicaux se sclérosèrent au sein d’une bureaucratie aux salaires élevés, souvent dix, voire vingt fois supérieurs à ceux des travailleur·euses des industries qu’ils représentaient. Ils bénéficiaient également des avantages liés à leur fonction, notamment l’utilisation de voitures du syndicat, de notes de frais et de régimes de retraite, certains si généreux qu’on les qualifiait de «parachutes dorés ». À la retraite, certains responsables syndicaux rejoignirent les entreprises avec lesquelles ils avaient négocié ou devenaient des arbitres gouvernementaux. La situation était encore pire dans quelques syndicats nationaux – East Coast International Long Shore Association (ILA), Hotel and Restaurant Workers (HERE), et l’International Brotherhood of Teamers (IBT), des syndicats corrompus, dont certains dirigeants percevaient des salaires de 500 000 dollars. La bureaucratie syndicale devint ainsi une caste aux intérêts bien distincts de ceux de la classe ouvrière dans son ensemble.

 

La caste bureaucratique des représentants syndicaux – la bureaucratie syndicale – a développé sa propre idéologie, acquérant une position de négociateur entre les travailleur·euses de base et les employeurs. Cela était vrai qu’il s’agisse des syndicats progressistes de l’époque, comme l’United Auto Workers (UAW), ou du syndicat corrompu des Teamsters. Les représentants en sont venus à croire que, grâce à leur connaissance intime des travailleur·euses, des employeurs et des représentants du gouvernement, ils savaient ce qui était le mieux pour la classe ouvrière. C’était donc à eux, et non aux travailleur·euses, de décider de la grève et du contenu de la convention collective. Craignant de nuire à leur propre position, ces représentants syndicaux ont eu tendance à rechercher la paix sociale plutôt que le conflit et la lutte des classes. La plupart des conventions collectives contenaient des clauses obligeant les représentants syndicaux à empêcher les arrêts de travail ou les grèves pendant la durée de la convention. Parallèlement, il est vrai que de nombreux représentants syndicaux locaux étaient des personnes honnêtes qui s’efforçaient d’améliorer la vie de leurs membres, mais leurs représentants syndicaux nationaux ont souvent entravé leurs efforts.

 

Ainsi, lorsque, dans les années 1980, le gouvernement américain a promu le néolibéralisme, un capitalisme plus impitoyable, les entreprises ont procédé à une réorganisation du travail, avec des fermetures d’usines massives, des délocalisations vers le Sud des États-Unis, non syndiqué, ou à l’étranger, avec une nouvelle gestion dite « japonaise » du processus de production, la bureaucratie syndicale n’a montré aucun intérêt à lutter contre les entreprises, n’avait plus aucune culture de la lutte, et ne bénéficiait que de peu de confiance et de soutien de la base. Entre les années 1980 et 2000, la syndicalisation a chuté de 35 % à 10 % et les grèves ont pratiquement disparu du monde du travail américain.

- 13 - Illust3 - Uhlmann - Dix syndicats nationaux appellent à la résistance anti-Trump(Photo syndicat aaup Université)

La politique ouvrière aux États-Unis

Les États-Unis n’ont jamais eu de grand parti socialiste, communiste ou travailliste. Depuis le début du 20e siècle, la Fédération américaine du travail (AFL) et ses affiliés ont eu tendance à soutenir le Parti démocrate. Lors des troubles sociaux des années 1930, largement menés par les socialistes et surtout les communistes, certains syndicats ont expérimenté des partis ouvriers locaux, mais les syndicats de métier de l’AFL et les syndicats industriels du Congrès des organisations industrielles (CIO) ont tous deux soutenu les démocrates. Dans les années 1940, l’AFL, le CIO et les partis socialiste et communiste ont soutenu le démocrate Franklin D. Roosevelt, élu président pour quatre mandats de quatre ans.

 

À la fin des années 1940 et dans les années 1950, le Congrès, malgré un veto présidentiel, adopta la loi Taft-Hartley de 1947, qui limitait le pouvoir des syndicats. Parallèlement, les médias, le gouvernement et les employeurs lancèrent une croisade anticommuniste qui chassa de nombreux communistes de leurs emplois et de leurs syndicats. En 1955, l’AFL et le CIO fusionnèrent, et la nouvelle AFL-CIO soutint dès lors le Parti démocrate. Les mobilisations et les grèves des années 1930 et 1940 amenèrent environ 34 % des salarié·es à adhérer au mouvement syndical, mais laissèrent les deux tiers des travailleur·euses sans syndicat et avec peu d’influence politique. Tout cela conduisit à la création de ce que nous appelons le « syndicalisme d’affaires », c’est-à-dire des syndicats qui œuvrent pour satisfaire les entreprises et se comportent eux-mêmes comme des entreprises, accumulant des millions de dollars en biens immobiliers, comptes bancaires et autres actifs.

 

Les années 1960 et 1970 ont vu l’émergence d’importantes organisations syndicales parmi les enseignant·es et autres fonctionnaires, ainsi que parmi les ouvrier·es agricoles en Californie. Parallèlement, les travailleur·euses de base de nombreux secteurs – téléphone, automobile, transport routier et poste – se sont rebellé·es contre leurs employeurs et souvent même contre leurs syndicats. De jeunes radicaux issus des mouvements pour les droits civiques, étudiant·es et féministes sont devenus socialistes de diverses tendances, principalement maoïstes et trotskistes, ont pris des emplois dans l’industrie et se sont impliqués dans les syndicats. Ils et elles ont joué un rôle dans l’organisation des mouvements ouvriers de base de l’époque.

 

Les International Socialists (IS), des socialistes du troisième camp opposés au capitalisme et au communisme bureaucratique de l’Union soviétique, de la Chine, du Vietnam, de la Corée et de Cuba, ont contribué à l’organisation des Teamsters for a Democratic Union (TDU) et à la fondation de Labor Notes, une publication et un centre d’organisation syndicale. Ces deux dernières organisations ont survécu à l’effondrement de la gauche dans les années 1980. Labor Notes continue de jouer un rôle central dans l’orientation, la formation et l’organisation des militant·es ouvrier·es, bien qu’il ne représente pas une tendance politique significative au sein des syndicats dans leur ensemble.

 

En juin 1998, Tony Mazzocchi , vice-président de Oil, Chemical and Atomic Workers Union (OCAW), d’autres responsables réformateurs et certains de ces militant·es syndicaux de gauche se sont réuni⸳es pour fonder le Parti du travail. Quelque 1 400 délégué·es de plusieurs grands syndicats, représentant deux millions de membres, se sont rassemblé⸳es à Cleveland pour créer le nouveau parti. Mais ils et elles ne sont pas parvenu·es à s’entendre sur la présentation de candidat·es, ni lors du congrès fondateur ni ultérieurement, craignant que leur parti ne prenne des voix au Parti démocrate et ne mène à l’élection d’un républicain. Le parti s’est alors atrophié et a disparu.

 

La bureaucratie ouvrière aujourd’hui

Les responsables syndicaux d’aujourd’hui sont très hétérogènes. La plupart sont des « syndicalistes d’affaires » qui ont lié leur destin à leur carrière syndicale, aux structures syndicales et au Parti démocrate. Certains sont corrompus. Et très peu sont des réformateurs. Deux des principaux responsables, qui ont joué un rôle central dans le militantisme syndical et en politique, donnent une idée précise des problèmes auxquels sont confrontés les travailleur·euses et les syndicats aujourd’hui.

 

Sean O’Brien a été élu président des Teamsters en 2022 avec le soutien de Teamsters for a Democratic Union (TDU), organisation pour une réforme syndicale de longue date. En 2022 et 2023, O’Brien a obtenu le soutien de TDU, de Democratic Socialists of America (DSA) et d’autres militant⸳es de gauche, laissant entendre qu’il prévoyait de faire grève. Il a finalement négocié un contrat comportant des points forts et des points faibles, critiqué par une partie de la gauche. En juillet 2024, O’Brien a rompu avec le reste du mouvement syndical et a accepté l’invitation de Donald Trump à prendre la parole à la Convention nationale républicaine, ce qui lui a valu de vives critiques de la part d’autres dirigeants syndicaux et de la gauche. Bien que les Teamsters n’aient pas apporté leur soutien à la présidence, il était entendu qu’O’Brien soutenait Trump.

 

Après l’élection, O’Brien a recommandé à Trump Lori Chavez-DeRemer, une députée républicaine de l’Oregon, et Trump l’a nommé secrétaire d’Etat au Travail. Après avoir été choisie, elle a fait cette promesse absurde : « Je travaillerai sans relâche pour aider le président Trump à donner la priorité aux travailleur·euses américains. » Si O’Brien a présenté sa nomination comme une victoire pour les Teamsters et les travailleur·euses américains, en réalité, la secrétaire d’Etat au Travail a peu de pouvoir, n’a rien fait et ne fera rien pour la classe ouvrière américaine.

 

Un autre responsable syndical important, Shawn Fain, président du syndicat United Auto Workers (UAW), a mené une grève de 45 jours impliquant 50 000 travailleur·euses contre les trois grands constructeurs automobiles américains – Ford, Stellantis et General Motors – qui, dans le cadre du contrat négocié en octobre 2023, ont non seulement obtenu d’importantes augmentations de salaire et la suppression des niveaux de rémunération, mais ont également empiété sur le contrôle des entreprises sur leurs usines et le secteur automobile. Les États-Unis n’avaient pas vu un syndicat mener une telle grève des travailleur·euses de l’industrie depuis des décennies. Fain semblait incarner un nouveau syndicalisme susceptible de changer l’orientation du mouvement ouvrier américain. Puis, en mars dernier, Fain a déclaré que l’UAW soutenait les droits de douane imposés par Trump sur les voitures étrangères. Il a déclaré que cela « signalait un retour à des politiques qui privilégient les travailleur·euses qui construisent ce pays, plutôt que la cupidité d’entreprises sans scrupule ». Et que « mettre fin au nivellement par le bas dans l’industrie automobile commence à réparer nos accords commerciaux abîmés, et l’administration Trump a marqué l’histoire avec les mesures prises aujourd’hui ». Pourtant, Fain a conservé son esprit critique. Le 28 mars, il a publié une déclaration affirmant : « Hier, le président Trump a signé un décret qui bafoue les droits syndicaux de plus d’un million de fonctionnaires fédéraux, les privant de leur droit de négocier leurs conditions de travail. Le million de membres de l’UAW soutient les fonctionnaires fédéraux et leur syndicat, l’AFGE, contre les attaques de l’administration Trump. »

 

Comme le montrent clairement les cas d’O’Brien et de Fain, il n’existe pas encore de conception claire au sein des syndicats, et encore moins au sein de la classe ouvrière dans son ensemble, que Trump représente une menace nouvelle et différente. Un autoritarisme tendant vers le fascisme, auquel il faut résister à tout prix et dont la défaite nécessitera un mouvement ouvrier uni, porteur d’une vision alternative claire du travail et de la politique. Les militants syndicaux de gauche ont encore beaucoup de chemin à parcourir pour organiser les travailleur·euses de base et faire valoir l’idée du pouvoir ouvrier et du socialisme démocratique comme alternative nécessaire.

 

Dan La Botz

Traduction : Patrick Le Tréhondat

 

 

[1] Le Plan 401(k) est le système d’épargne retraite par capitalisation aux États-Unis où on compte 700.000 fonds de ce type [NdT].

 

 

Dix syndicats nationaux appellent à la résistance anti-Trump

 - 13 - Illust4 - Uhlmann - Dix syndicats nationaux appellent à la résistance anti-Trump(photo Natascha Elena Uhlmann)

 

L’appel

Le mouvement ouvrier a une valeur plus forte que toute autre : la solidarité. Le mouvement syndical exige la fin des attaques de l’administration Trump contre les travailleurs et travailleuses immigré⸳es, la liberté d’expression, le droit de s’organiser et de négocier, ainsi contre que les travailleurs et travailleuses du gouvernement fédéral, leurs syndicats et les services qu’ils et elles fournissent.

Nous ne resterons pas les bras croisés alors que le président Donald Trump terrorise les travailleurs et travailleuses immigré⸳es par des enlèvements, des détentions et des confinements sans procédure régulière dans des installations clandestines, des centres de détention éloignés et une prison tristement célèbre au Salvador.

Les attaques s’intensifient et nous devons agir rapidement. Dans l’État de Washington, des agents de l’Immigration and Customs Enforcement ont brisé la vitre d’une voiture et arrêté un ouvrier agricole Alfredo « Lelo » Juarez, un des dirigeants du syndicat Familias Unidas por la Justicia, alors qu’il se rendait au travail. Ils ont enfermé Lewelyn Dixon, membre de la section locale 925 du Service Employees International Union (SEIU), technicienne de laboratoire à l’Université de Washington, alors qu’elle revenait d’un voyage en famille. Ils ont fait une descente dans une entreprise de toiture où les travailleurs avaient récemment fait grève pour la sécurité, et ont arrêté 37 personnes. Dans le Massachusetts, des agents fédéraux de l’immigration ont enlevé Rumeysa Ozturk, une étudiante diplômée de l’Université Tufts avec un visa d’étudiant et membre de la section locale 509 du SEIU, alors qu’elle allait rompre son jeûne du ramadan. Elle avait écrit un éditorial dans le journal étudiant en soutien à la Palestine. À Baltimore, ils ont arrêté le métallurgiste Kilmar Armando Abrego Garcia, de la section locale 100 de l’Association of Sheet Metal, Air, Rail and Transportation Workers (SMART), père d’un enfant handicapé, et l’ont envoyé à la prison cauchemardesque du Salvador – puis ils ont qualifié cela d’« erreur administrative » et ont dit qu’ils ne pouvaient pas le récupérer. À New York, ils ont enlevé Mahmoud Khalil, récemment diplômé de l’Université Columbia et membre de la section locale 2710 de l’United Auto Workers (UAW), pour avoir protesté contre l’agression d’Israël contre Gaza. Ils en ont également pris beaucoup d’autres dont les noms ne sont pas encore publics.

Cette administration a attaqué ces membres de nos communautés sur le chemin du travail, sur le chemin du culte, sur le chemin du retour vers la maison. Ils les ont enfermés parce qu’ils et elles ont dit ce qu’ils et elles pensaient. Et ils ont agi ainsi délibérément.

Ils ont également menacé et intimidé les administrations universitaires dans le but de les enrôler dans la répression de la dissidence. Malheureusement, beaucoup ont acquiescé à ces exigences, tournant en dérision le concept de « liberté académique » et le libre échange d’idées. Des étudiant⸳es ont été suspendu⸳es et expulsé⸳es. Des membres du corps professoral ont été sanctionné⸳es et renvoyé⸳es.

De plus, les licenciements massifs de travailleurs et travailleuses fédéraux et la tentative d’abolir leurs droits de négociation collective sont également des attaques contre les services qu’ils et elles fournissent et la fonction même de notre gouvernement. Trump veut un gouvernement qui ne sert que les intérêts des entreprises et des oligarques. Plutôt qu’un gouvernement de, par et pour le peuple, il en veut mettre en place un gouvernement par et pour les riches privilégiés. Il veut créer une culture de la peur.

Nous ne devons pas nous soumettre à tout cela.

  • Nous appelons l’administration Trump à libérer immédiatement nos collègues et à mettre fin à cette campagne de terreur.
  • Nous appelons tous les employeurs et les gouvernements des États et des collectivités locales à refuser de collaborer à ces attaques et à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour résister.
  • Nous appelons les administrations universitaires à résister aux menaces et à la coercition, et à refuser toute coopération avec les autorités fédérales de l’immigration et de l’application de la loi qui cherchent à persécuter illégalement les étudiant⸳es et les professeur⸳es étranger⸳es, ainsi que les étudiant⸳es dissident⸳es.
  • Nous appelons tous les élu⸳es à faire preuve de courage et à défendre ces travailleurs. travailleuses.
  • Nous appelons tous les syndicats à organiser des rassemblements, des manifestations et d’autres actions pour exiger que l’administration cesse ces attaques et libère nos collègues travailleurs et travailleuses. Le mouvement syndical doit agir pour arrêter la machine d’expulsion, de censure et d’intimidation de Trump. Si nécessaire, nous devons perturber les activités habituelles.
  • Nous ne devons pas rester passifs ou silencieux face à cet assaut autoritaire contre nos droits, la Constitution et la démocratie elle-même. Une attaque contre l’un⸳e de nous est une attaque envers tous et toutes !

[…] Trump reprend des tactiques d’autres moments de l’histoire des États-Unis, lorsque « le gouvernement réprimait activement les protestations et la dissidence », a déclaré Carl Rosen, président de l’United Electrical Workers (UE). Lors des Palmer Raids[1] de 1919-1920, des immigrant⸳es de gauche et des militant⸳es syndicaux ont été arrêté⸳es et déporté⸳es, principalement vers l’Italie et l’Europe de l’Est. À l’époque de McCarthy, à la fin des années 1940 et dans les années 1950, des travailleurs et travailleuses fédéraux, des travailleurs et travailleuses d’Hollywood, des universitaires et des dirigeants syndicaux présumé⸳es communistes ont été licencié⸳es, mis⸳es sur liste noire, traîné⸳es devant le Congrès et parfois emprisonné⸳es. « Lorsqu’une catégorie de la population est ciblé⸳e pour la première fois, cela ne va pas s’arrêter là », a déclaré Rosen. « Ensuite, cela va être utilisé contre le mouvement ouvrier et toustes les Américain⸳es qui veulent se lever pour la justice. Nous sommes donc heureux de nous joindre à d’autres syndicats pour dire : “Nous allons résister à cela”. »

 

Prélude à l’action ?

Face à l’éventail vertigineux d’attaques de Trump contre les travailleurs et les travailleuses, les travailleurs et travailleuses immigré⸳es, les travailleurs et travailleuses des campus et contre la liberté d’expression, jusqu’à présent, la classe ouvrière organisée, qui représente 14 millions de syndiqué⸳es, est restée largement silencieuse ou concentrée sur les luttes spécifiques de chaque syndicat. Cette déclaration commune pourrait être un prélude à une action plus coordonnée et plus directe pour résister aux attaques.

 

« J’espère que c’est un signe que, même s’il y avait antérieurement des problèmes entre des syndicats ou des organisations qui avaient peut-être des différends, cela pourrait être le sujet qui rassemble tout le monde, qui unit pour une seule cause », a déclaré Edgar Franks, responsable politique du syndicat indépendant des travailleurs agricoles Familias Unidas por la Justicia, dont Lelo Juarez est un dirigeant. « Des relations vont s’établir ou se modifier, et à partir de là, nous pourrons avoir un front syndical uni et combatif. »

 

« À l’heure actuelle, il y a beaucoup de gens qui font beaucoup du bon travail pour essayer de s’organiser », a déclaré Faye Guenther, présidente de la section locale 3000 de Food and Commercial Workers, à Washington, l’une des organisations initiatrices de la lettre unitaire. « Je pense que nous serons plus efficaces si nous pouvons mettre de côté nos différences et nous rassembler dans un front aussi large que possible. »

 

Trouver des entreprises cibles

Pour que les travailleurs et travailleuses puissent faire face à ces attaques, ces mouvements devront être prêts à perturber le statu quo. « De toute évidence, Tesla a touché une corde sensible », a déclaré Rosen, faisant référence aux manifestations régulières chez les concessionnaires à travers le pays, qui ont contribué à faire chuter l’action de l’entreprise ; le PDG méga-milliardaire de Tesla, Elon Musk, est le fer de lance des attaques contre les travailleurs et travailleuses fédéraux. « Je pense que nous devons trouver des cibles supplémentaires parmi les entreprises », a déclaré Rosen. « Il y a beaucoup de grandes entreprises qui profitent de leur association avec Donald Trump et de leur volonté de l’aider à mener à bien son programme. »

 

On se souvient de la réaction explosive du public en 2008 lorsque les membres de la section locale 1110 de l’UE à Chicago ont pris une décision courageuse : ils ont occupé leur usine. Republic Windows and Doors fermait ses portes, mais le dernier jour de service, les travailleurs et travailleuses ont refusé de partir. Ils et elles ont mené une grève d’occupation jusqu’à ce qu’à parvenir à un accord de 1,75 million de dollars pour les indemnités de licenciement et autres avantages dus, et finalement ils/elles ont rouvert l’usine en tant que coopérative gérée par les travailleurs et travailleuses. « Cela a attiré l’attention des gens à travers le pays qui étaient tellement en colère contre les banques qui recevaient tout cet argent alors que les travailleurs et travailleuses étaient licencié⸳es », a déclaré Rosen. Des militant⸳es ont organisé des piquets de grève dans les bureaux de Bank of America et ont même mené une action de désobéissance civile en organisant des sit-in à l’intérieur des succursales des banques. « La pression exercée sur la banque a certainement été très importante pour s’assurer que les travailleurs et travailleuses obtiennent le règlement qu’ils ont obtenu. »

 

« La prochaine étape de cette riposte exige que nous parlions à nos collègues et voisin⸳es de la façon dont les employeurs et les milliardaires profitent lorsque les travailleurs et travailleuses sont divisé⸳es et effrayé⸳es », a déclaré Stephanie Luce, professeure d’études du travail et de sociologie à la City University de New York et membre de l’American Federation of Teachers (AFT). « Nous devrions chercher des espaces pour avoir plus de discussions et préparer les travailleurs et travailleuses à prendre des mesures plus importantes », a-t-elle déclaré, « parce que les attaques vont se poursuivre ». […]

 

À moins que les syndiqué⸳es ne s’en mêlent, une résolution n’est qu’un morceau de papier. « La pétition est un outil que nous devons utiliser pour unifier les gens, mais elle ne nous servira à rien si les seules personnes qui la signent sont des organisations », a déclaré M. Guenther. « Les travailleurs et travailleuses doivent participer à ces débats de fond sur le type de monde qu’ils et elles veulent avoir et le genre de pays dans lequel ils et elles veulent vivre. »

 

Mais les attaques de Trump ont également démontré publiquement pourquoi les travailleurs et travailleuses ont besoin d’une organisation qui défend leurs droits : « Beaucoup de gens, pas seulement du secteur agricole, nous ont contactés pour savoir comment se syndiquer », a déclaré Franks. Il en est de même parmi les travailleurs et travailleuses fédéraux : l’AFGE signale un nombre record d’adhésions. « Les hommes forts et les dictateurs se nourrissent de la peur des gens et du chaos », a déclaré Guenther. « Nous devons prendre des mesures qui nous permettent de montrer que nous pouvons gagner et qui aident à surmonter la peur. »

 

Natascha Elena Uhlmann (rédactrice pour Labor Notes)

 

[1] Du nom du Procureur général des Etats-Unis, Alexander Mitchell Palmer, alors en charge des raids, arrestations et expulsions de communistes et anarchistes.

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