L’exposé ci-dessous a été fait lors d’une sorte d’Université d’été des Gilets jaunes du Val de Marne et d’Ardèche, qui s’est tenue en Ardèche du 26 au 31 août 2019. D’autres échanges avaient lieu sur l’écologie, l’eau, l’énergie nucléaire, les forces de « l’ordre », le salaire à vie, avec des conférences gesticulées et des activités sportives. Bonne ambiance conviviale.

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Gilets jaunes et syndicalisme

Il s’agit de débattre d’une question difficile et qui a déjà soulevé des points de vue différents : les rapports entre le mouvement des Gilets jaunes et les syndicats. Faut-il des alliances ? Faut-il que les Gilets jaunes soutiennent les actions syndicales ? Inversement, pourquoi les syndicats ont-ils eu des réticences à soutenir les Gilets jaunes, même si localement cela a été le cas (Val de Marne, Paris, Nantes, Toulouse, Marseille…) ?

Je suis personnellement dans le syndicalisme depuis longtemps (1971-CGT) et je participe à l’animation d’un blog : www.syndicollectif.fr. Pour info : « Collectif » était une revue de débat intersyndicale (militants CGT, FSU, Solidaires, universitaires) entre 1986 et 1995 environ.

Le mouvement des Gilets jaunes a été et reste un véritable défi pour le syndicalisme :

– il exprime avec plus de force ce que le syndicalisme « de lutte » défend depuis des années (notamment CGT, FSU, Solidaires, FO) ;

– il a réussi à faire reculer partiellement le pouvoir (certes pas sur des choses décisives) et surtout il a réussi à faire trébucher Macron, en le paralysant pendant un certain temps, et en imposant au gouvernement un ordre du jour qui n’était pas celui prévu. Et cela dure encore. C’est du « jamais vu » depuis longtemps.

Pour le syndicalisme, il y a une nécessité vitale d’une remise en cause de ses modes d’action.

Il y avait déjà des signes avant-coureurs dans les syndicats :

– le syndicalisme n’a pas remporté de victoire significative depuis 1995 (une demi-victoire, mais un vrai recul de Chirac-Juppé), ou à un moindre degré 2006 (abolition du CPE) avec la jeunesse.

– le syndicalisme a essuyé de grandes défaites sur les retraites (2003-2010-2014), sur le Code du travail (2016-2017), sur la privatisation SNCF (2018), etc.

– le syndicalisme n’est plus totalement en phase avec certaines aspirations parmi les salarié-es : apparition des « cortèges de tête » en 2016 devant les manifestations, Nuit Debout, mobilisation Marée populaire en mai 2018 avec là aussi des cortèges de salarié-es, jeunes ou moins jeunes, en dehors des rangs syndicaux.

Ce n’est pas la première fois dans l’histoire syndicale que des crises apparaissent :

– ce fut le cas au début du 20^ème siècle avec le changement entre syndicalisme de métier et syndicalisme d’industrie

– il y a eu aussi des crises au 20^ème siècle (scissions…).

Comment expliquer l’attitude syndicale actuelle ?

– il peut y avoir dans le syndicalisme des réflexes conservateurs : ne pas voir la nouveauté ou refuser de la voir par peur de changer les habitudes. Toutes les organisations peuvent connaitre ce genre de problème (même les Gilets jaunes peut-être !). Ces réflexes ne concernent pas que les responsables syndicaux, même si ceux-ci sont les principaux responsables, parce qu’ils sont plus visibles (accès aux médias).

– il peut y avoir aussi des méfiances spontanées, même pour des syndicalistes très combatifs à la base, par rapport à un mouvement des gilets jaunes qui véhicule parfois, ici ou là, des attitudes que des syndicalistes jugent inappropriées (sur les sans-papiers, les immigrés, sur les relations hommes/femmes, etc), même si ces questions sont loin d’être résolues dans le syndicalisme aussi.

– inversement, des gilets jaunes ont parfois une expérience très critique du syndicalisme : il ne sert à rien, il est corrompu, etc.

Mais il ne faut pas enjoliver non plus le mouvement des Gilets jaunes :

– Il y a de forts contrastes idéologiques et politiques dans les groupes gilets jaunes ;

– le mouvement des gilets jaunes, même s’il a fait perdre l’équilibre à Macron, a vécu des problèmes similaires à certaines luttes syndicales qui n’ont pas abouti : le mouvement est monté très fort jusqu’en janvier, puis il a connu un palier, et il se cherche aujourd’hui : il n’a pas réussi à remporter une victoire décisive pour le moment ;

– il y a des débats non résolus : un certain refus d’une représentation, des « porte-parole » médiatiques non contrôlés, des débats sur les modes d’action (manifs), sur l’efficacité, etc.

Que faire ?

Le mouvement des Gilets jaunes va continuer sous des formes à inventer. Le syndicalisme aussi. De même que d’autres luttes et mouvements : mouvement climat et écologiste, mouvement féministe, mouvement antiraciste…

Je crois qu’il ne s’agit pas de dire : les gilets jaunes vont remplacer le syndicalisme, ou à l’inverse que les gilets jaunes doivent laisser la place à d’autres mouvements plus anciens. Le mieux serait sans doute de réfléchir à ce qui dans tous les mouvements peut contribuer à les renforcer tous.

On pourrait imaginer :

– que des gilets jaunes qui le souhaitent entrent dans les syndicats, mais en le faisant connaitre publiquement et collectivement en interpellant les organisations (réveillez-vous !) ;

– mais cela tout en restant indépendants : AG des gilets jaunes maintenues, débats transversaux ;

– mais aussi que des syndicalistes fassent connaitre publiquement la nécessité de bouger ; et notamment par exemple, de pousser à des rapprochements entre des syndicats qui ont des positions voisines : CGT, Solidaires, voire d’autres (certain-es parlent d’un seul syndicat !) ;

– que tous, gilets jaunes et syndicalistes, mouvements divers, on essaie de pousser à une sorte d’Alliance de lutte entre gilets jaunes, syndicats, mouvements climat, féministes, antiracistes.

 

Jean-Claude Mamet (Ivry sur Seine, retraité postier)