Vu dans NVO.fr, le journal bi-média de la CGT, un historique du droit de manifester depuis la Révolution française.
Les lois et des manifs
Histoire- Après la manifestation monstre du 14 juin, les menaces d’interdiction se multiplient contre les prochaines manifs. Comment furent-elles encadrées dans le passé ? Retour sur un siècle de lois.
Les pressions du gouvernement continuent contre les opposants à son projet de loi « travail ». Après que Manuel Valls a demandé aux syndicats d’annuler eux-mêmes les manifestations prévues jeudi et que le président de la République a menacé de ne pas les autoriser, la préfecture de police de Paris exigeait lundi « un rassemblement statique en lieu et place de l’itinéraire déclaré » par les syndicats, à savoir entre Bastille et Nation.
Le ministre de l’Intérieur en a remis une couche en adressant un courrier aux syndicats. On se croirait presque téléportés au XIXe siècle qui vit une série de lois entraver la bonne marche des manifestations. De 1831 à 1935, les textes se succèdent pour les rendre illégitimes, au gré des crises qu’ont connues les différents gouvernements.
Une répression crescendo
Ainsi, en pleine révolution, la loi martiale du 21 octobre 1789 interdit de se rassembler et de manifester sous peine de mort. En théorie puisque qu’un vide juridique existe qu’une loi, quarante ans plus tard (le 10 avril 1831), tente de combler. Dès lors, la réunion la plus pacifiste peut devenir un attroupement qui doit se dissoudre à la première sommation de l’officier civil, rappellent Olivier Fillieule et Danielle Tartakowsky (La manifestation, aux Presses de Sciences Po, 2008).
Les personnes arrêtées encourent toutefois des peines légères.
Ça se corse sous la IIe République avec la loi du 7 juin 1848 qui distingue les attroupements armés – interdits – et ceux qui ne le sont pas, interdits aussi s’ils troublent « la tranquillité publique ». Une notion suffisamment floue pour contrer les rassemblements. La répression se durcit : les manifestants sont dorénavant jugés devant les cours d’assises. Il faut dire que la période est fortement agitée : quelques mois plus tôt, les citoyens ont rejoué la Révolution française.
C’est Alexandre Marie, juriste de profession, qui a déposé un projet de loi. Celui-là même qui, en tant que ministre des Travaux publics, a permis la création des Ateliers nationaux pour employer les chômeurs, avant qu’ils ne soient dissous. Une décision qui va donner lieu, en juin 1848, à des révoltes ouvrières salement réprimées, avec 4 000 morts et plus de 4 000 prisonniers déportés en Algérie.
Au cotillon du prolétariat
La manifestation devient d’autant plus illégitime en 1848 que le suffrage « universel », seulement masculin, est instauré, donc pour nombre de parlementaires, la voix du peuple doit s’exprimer dans les urnes et non dans la rue. Cela n’empêchera pas les boulangistes, les antidreyfusards, les paysans ou les ouvriers de continuer à battre le pavé.
Au tournant du siècle, manifester devient une pratique de plus en plus courante et des entreprises se spécialisent même dans le matériel adéquat. C’est le cas au Cotillon du prolétariat qui vante tous les ans dans L’Humanité drapeaux rouges, bannières et fanions, à compter du 1er Mai 1907. Un peu plus tôt, les électriciens en grève ont été remplacés par des soldats du Génie. Clemenceau, alors président du Conseil, tolère tout de même certaines manifestations, en fonction de leurs organisateurs et de leur capacité à encadrer les défilés.
Quoi qu’il en soit, la loi du 28 mars 1907 supprime l’obligation de la déclaration préalable à toute réunion publique, inscrite à l’article 2 de la loi du 30 juin 1881, laquelle avait déjà abandonné le principe d’autorisation préalable.
Cela n’empêchera pas le Tigre de réprimer fortement les manifestants de Draveil et de Villeneuve-Saint-Georges, en grève depuis plusieurs mois. Le 30 juillet 1908, on dénombre 4 morts et une trentaine de dirigeants de la CGT arrêtés. Il faudra attendre février 1909 pour que les députés votent une amnistie générale.
Un droit toujours menacé
Par la suite, le préfet Lépine envisage de nouvelles méthodes pour « tenir la rue » parisienne et en 1921, un corps de gendarmes mobiles spécialisé dans le maintien de l’ordre est créé. Devant la menace des ligues d’extrême droite et suite aux manifestations de février 1934, un décret-loi du 23 octobre 1935 stipule que « toute manifestation sur la voie publique doit être soumise à l’obligation de déclaration préalable auprès du préfet de police ».
Ainsi donc, si la manifestation n’est plus interdite, elle est tolérée et très encadrée.
Aujourd’hui, sous couvert d’état d’urgence et du bon déroulement de l’Euro du ballon rond, de nouvelles menaces pèsent sur le droit de manifester. Une liberté que défendent les syndicats, qui ont maintenu la manifestation du 23 juin, appuyés par quelque 130 000 signataires de la pétition « Je ne respecterai pas l’interdiction de manifester »