Nous reproduisons avec l’autorisation de Politis des extraits de l’interview donnée par Philippe Martinez à l’occasion de la journée du 5 février 2019. Une citation pour réfléchir au système de représentation syndicale : « Nous demandons donc une élection nationale sur une seule journée, comme pour la présidentielle, afin que la représentativité syndicale soit assurée et que les chômeurs aient le droit de voter. La démocratie sociale doit prendre la même forme que la démocratie politique. »
L’interview en entier peut être consultée sur : https://www.politis.fr/articles/2019/01/philippe-martinez-nous-devons-reflechir-autrement-39915/
Philippe Martinez : « Nous devons réfléchir autrement »
Extraits:
Les gilets jaunes rejettent les appartenances syndicales, mais portent des revendications qui seraient du ressort des syndicats. Comment abordez-vous ce paradoxe ?
Philippe Martinez : Il est difficile d’avoir une analyse précise sur ce mouvement, parce qu’il évolue constamment. En conséquence, notre position a elle aussi évolué. Tout est parti d’une revendication très particulière qui n’est pas seulement celle des salariés : le refus de la hausse des taxes sur le carburant. Geoffroy Roux de Bézieux, le patron du Medef, en a d’ailleurs profité pour revendiquer la suppression de toutes les taxes, c’est-à-dire, selon lui, les cotisations sociales… Le mouvement, ensuite, a plutôt évolué dans le bon sens, et nous n’éprouvons absolument aucune gêne. Des salariés et des chômeurs qui se réunissent et considèrent que l’action collective est une solution face à une élite qui ne considère que les démarches individuelles, c’est forcément positif. Et quand je lis leurs revendications – hausse du Smic, justice fiscale, service public –, je me dis que nous ne pouvons qu’y être favorables.
Donc nous observons attentivement ce mouvement, même si tout n’est pas positif en son sein. Certaines choses sont même inacceptables, et je pèse mes mots. Comme lorsque des gilets jaunes ont livré des migrants à la police. La CGT combattra ce type de faits, d’où qu’ils viennent.
Ensuite, l’absence d’organisation rend toute démarche difficile vis-à-vis du mouvement. Une intersyndicale, par exemple, n’est pas possible.
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Certaines voix se sont élevées pour vous reprocher d’avoir appelé seuls à manifester le 5 février. L’unité syndicale est-elle votre objectif ?
Nous avons eu des contacts avec les deux autres principales confédérations de France [la CFDT et Force ouvrière, NDLR], y compris avec rédaction d’un texte. Au dernier moment, ça n’a pas pu se faire, mais je ne peux pas vous dire pourquoi, car je ne le sais pas !
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Les élections professionnelles de décembre ont fait perdre à la CGT la place symbolique de première organisation syndicale, à cause d’un recul de 1,3 % dans la fonction publique. Est-ce grave ?
Oui, c’est grave, mais ce n’est pas désespéré, parce que nous avons des solutions. Premièrement, nous avons perdu cette première place parce que nous avons un décalage important du potentiel d’électeurs dans le privé par rapport à la CFDT. Dans les entreprises où il n’y a pas de section CGT, les salariés n’ont pas de bulletin pour pouvoir voter pour nous. Début 2017, nous avons estimé ce décalage à 500 000 voix potentielles. Nous demandons donc une élection nationale sur une seule journée, comme pour la présidentielle, afin que la représentativité syndicale soit assurée et que les chômeurs aient le droit de voter. La démocratie sociale doit prendre la même forme que la démocratie politique.
La CGT doit-elle repenser son architecture ?
On doit s’organiser différemment et réfléchir autrement, oui. Ce travail est en cours, mais il prend trop de temps. Le monde du travail bouge très rapidement et nous avons un temps de réaction et de mise en œuvre de nos décisions qui est trop long. La solution passe, par exemple, par un syndicat unique sur une même zone d’activité commerciale, pour défendre les statuts différents d’une même communauté de travail. Cela suppose également que nos locaux soient un peu plus mobiles, avec des camping-cars et des caravanes pour aller au-devant des travailleurs.
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À l’approche du congrès de la CGT (du 13 au 17 mai), une partie de votre base demande une réorientation, vers un « syndicat révolutionnaire » de « lutte des classes ». Faut-il s’attendre à un congrès houleux ?
Il y a toujours des débats lors de nos congrès. Je n’ai pas peur de la démocratie, il faut que tout le monde puisse s’exprimer.
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Vous n’avez néanmoins pas retrouvé les adhérents perdus depuis 2014 ?
Non, et il faut qu’on trouve pourquoi : c’est un problème d’organisation. On observe en revanche que, dès qu’on crée un syndicat quelque part, on cartonne aux élections. On a une image peut-être un peu vieillotte là où on est depuis longtemps, mais très moderne au contraire, notamment vis-à-vis des jeunes, là où on s’implante. Les gens se sentent libres de s’exprimer, aidés sans qu’on ne leur impose rien.
Les syndicats sont-ils « mortels », comme l’a affirmé Laurent Berger en 2017 ?
Bien sûr, dans l’absolu. Sauf que la maladie qui les atteint n’est pas incurable : nous connaissons les antidotes. Je suis même optimiste. Nous n’allons pas assez vite dans la mise en œuvre de nos décisions, mais je reçois des tas de signaux positifs du terrain.