Nous reproduisons une interview de Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, donnée à l’Obs (site internet). Il donne des précisions sur la notion de sites d’activités prioritaires, ou non, ainsi que sur les atteintes au droit du travail.
- mardi 24 mars 2020
Philippe Martinez : « Tous les syndicats sont d’accord pour maintenir les activités indispensables »
Le patron de la CGT prend position sur le travail dans les entreprises : oui, seulement quand c’est nécessaire (la santé, l’agroalimentaire, la logistique, l’énergie…) et si le salarié est protégé. Non, dans tous les autres cas.
Le gouvernement appelle les Français à travailler – tout en recommandant de rester chez soi. les salariés, eux, sont inquiets. L’Afep, qui représente les plus grandes sociétés françaises, appelle à la reprise du travail. La CGT-chimie demande d’arrêter le travail dans les secteurs non nécessaires et votre section énergie recommande un droit de retrait dans la distribution du gaz, nécessaire à tous. Quelle est aujourd’hui la position de la CGT sur ce sujet : qui doit aller travailler ? Quelles sont les activités nécessaires ?
Philippe Martinez- En ce moment, il faut être humble et modeste, éviter toute position tranchée. Qu’est-ce qui est nécessaire à la santé et à la vie du pays ? J’en parle à chaque fois que je peux avec des membres du gouvernement. Construire un paquebot à Saint-Nazaire ou un bateau de guerre à Brest, continuer à fabriquer des automobiles ou des tramways, est-ce bien nécessaire aujourd’hui ? La question est plus que d’actualité avec Airbus qui vient d’annoncer une reprise du travail : nécessaire ou pas ? Il reste à le démontrer car, à la CGT, nous ne sommes pas convaincus. Le BTP n’est pas essentiel non plus, et la plupart des patrons sont d’accord avec nous, mais pas le gouvernement, qui refuse de discuter sur tous ces points. Qu’est-ce qui reste indispensable ? Le commerce, bien sûr, mais pas n’importe lequel : pas le commerce du style Amazon qui doit être arrêté. La logistique ensuite, la production et livraison de tout ce qui est nourriture, mais pas forcément la fabrication de confiture même si c’est sympathique. Les industries pétrolières, bien sûr. Dans le textile, fabriquer des pantalons n’est plus une obligation, mais si une usine reconvertit ses lignes de production pour faire des masques, alors, oui. Il faut encore des emballages, bien entendu, pour le gel hydroalcoolique par exemple. Mais dans tous les cas, les salariés doivent être protégés, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Nous demandons aux salariés qui n’ont pas de protection suffisante d’exercer leur droit de retrait. Arrêter tout ce qui n’est pas indispensable permettra de libérer des masques et du gel pour ceux qui en ont vraiment besoin, à commencer par les hôpitaux. Nous n’avons aucune réponse précise du gouvernement sur ces sujets.
La position de la CGT est-elle différente de celle des autres syndicats, ou est-ce l’union sacrée dans ce que le président Macron appelle « un temps de guerre » ?
Nous sommes tous d’accord sur l’essentiel. Je suis intervenu, ainsi que Laurent Berger de la CFDT, auprès du gouvernement sur le cas d’Amazon parce que leurs conditions de travail dans les entrepôts sont dangereuses : de nombreux salariés en CDI sont tombés malades, ils ont été remplacés par des intérimaires ou des précaires. Les salariés ne se sont pas laissé faire, nous les avons soutenus et l’entreprise commence à bouger, le gouvernement semble se préoccuper enfin de cette situation Tous les syndicats sont d’accord pour maintenir les activités indispensables, et ils sont d’accord aussi pour s’inquiéter de la loi d’urgence sur les conséquences du coronavirus pour les conditions de travail : nous condamnons les mesures dérogatoires sur les temps de repos hebdomadaire, l’allongement du temps de travail, la possible réduction des congés. Nous sommes tous d’accord aussi pour dire qu’au sein des entreprises, c’est le rôle du CSE [comité social et économique, qui a remplacé notamment les CHSCT, NDLR]de valider les mesures de protection interne ou la nouvelle organisation des équipes. Nous sommes d’accord pour penser qu’il n’y a pas besoin d’une nouvelle loi pour régler toutes ces questions : on peut en discuter dans les entreprises, régler ces sujets au cas par cas. Les salariés savent que la situation est grave, il n’y a aucun besoin de leur dire de travailler plus. Ce qu’on attend du gouvernement, c’est de la clarté. Le double message « restez chez vous » et « allez travailler »est inaudible. J’ai demandé à Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, comment il justifiait en ce moment la poursuite de la construction d’un cuirassé militaire. Sera-t-il utile pour tirer des missiles sur le virus ?
La prime de 1 000 euros qu’une partie des entreprises de distribution comme Auchan, Carrefour ou Intermarché versera à ses salariés, c’est suffisant pour les dédommager des risques encourus ?
C’est une mesure de faux-culs, pardonnez-moi l’expression ! Pourquoi la verser maintenant et pas tout le temps ? On découvre l’utilité des gens mal payés comme les vendeurs ou les routiers alors qu’ils sont utiles tout le temps et qu’ils sont pourtant toujours mal payés avec des horaires épouvantables. Si cette crise permet au moins de revoir leur situation, ce sera toujours ça. Et nous y veillerons.
Le rôle du syndicat auprès des salariés a-t-il changé depuis une semaine ?
On reçoit beaucoup de sollicitations en effet, on fonctionne surtout par téléphone mais on a mis en ligne les documents permettant aux salariés de comprendre comment activer leurs droits, dont leur droit de retrait. On discute aussi dans les branches, notamment à La Poste, qui connaît des problèmes en ce moment. Bien entendu, il faut que les bureaux restent ouverts, pour que les gens puissent aller toucher leurs minima sociaux, mais faut-il tout continuer et distribuer n’importe quel produit acheté sur internet ? Cela, ce n’est pas certain. Il faut aussi que les travailleurs précaires, ceux qui travaillent pour les plateformes numériques et ne sont pas salariés, puissent obtenir les mêmes droits et indemnisations que les salariés.
Quelle est l’attitude du gouvernement avec vous ? Tous les sujets qui fâchent ont été repoussés, on ne parle plus de la réforme des retraites…
Le minimum de leur part, c’était de suspendre tout ce qui faisait polémique. Nous avons fait cette demande, et ils ont accepté. On reviendra sur les sujets « retraite » et « chômage » quand il sera temps et il reste quelques sujets à résoudre dont celui de l’indemnisation des intermittents du spectacle.
Que se passera-t-il après pour relancer la machine économique ? Des mesures difficiles pour les salariés sont possibles. Vous êtes déjà inquiets ?
Il est prématuré de se poser la question : il y aura des pressions sur les salariés mais ils ne pourront pas être les seuls à faire des sacrifices. On peut déjà se demander s’il faudra verser des dividendes cette année. Je dis ça comme ça. Il faut anticiper bien sûr mais il faut d’abord gérer ce qui se passe aujourd’hui : il y a beaucoup d’inquiétude et l’inquiétude aujourd’hui, ce n’est pas de perdre son travail dans quelques mois, c’est de perdre la vie maintenant. La situation détériorée des hôpitaux, chacun devra en tirer des leçons. La crise sanitaire révèle tout ce que nous disions depuis longtemps. Après, la reprise du dialogue social, on y sera attentifs, mais en attendant, le fait que le gouvernement nous contacte régulièrement, c’est déjà une bonne chose. Espérons que cette bonne habitude sera maintenue.