Alors que les talibans accentuent leur encerclement des villes en Afghanistan, menaçant des droits humains, notamment des femmes, l’Humanité publie l’interview de Maroof Gaderi, président du syndicat des travailleurs et employés afghans (NUAWE). Plus bas, nous publions des extraits d’un article de la CGT qui donne des indications sur le syndicat en question, suite à un voyage en 2017.
Ci-contre à droite le logo du syndicat National Union of Afghanistan Workers and Employees, NUAWE
« L’impact économique est terrible »
Responsable syndical, Maroof Qaderi dénonce les conséquences humaines et sociales de la guerre dans son pays. Il appelle les Afghans à contraindre le gouvernement et les talibans à trouver rapidement une solution politique. Entretien
Kaboul (Afghanistan), envoyé spécial.
Comment décririez-vous la situation politique et sociale en cours et qu’en pensent les Afghans ?
Maroof Qaderi
Elle n’est pas bonne et elle ne cesse d’empirer. De très nombreux districts étaient déjà sous le contrôle des talibans, maintenant ce sont des provinces. Je ne vois pas comment les choses pourraient s’améliorer. Lorsqu’une guerre se déroule dans un pays, comme c’est le cas en Afghanistan, les droits humains se trouvent rarement respectés. Nous connaissions déjà ce problème auparavant, mais il n’a fait que s’aggraver depuis le début du retrait des troupes américaines et de l’Otan. Il faut ajouter à cette conjoncture que le pays est touché de plein fouet par l’épidémie de Covid-19. Or, l’Afghanistan reste un pays pauvre. La pandémie a provoqué des ravages dans notre système. Le chômage a fortement augmenté et touche particulièrement les jeunes. Or, ils sont l’avenir du pays. Mais, vu la situation, ils émigrent.
Par ailleurs, les talibans se sont emparés de quatre postes-frontières et de sept districts frontaliers. Le ministère des Finances n’a perçu que 4,6 milliards d’afghanis (49,5 millions d’euros) de droits de douane le mois dernier, contre 7,3 milliards d’afghanis en juin dans les 30 postes de douane situés aux frontières, dans les villes et les aéroports. La plupart des pertes ont été enregistrées aux points de passage frontaliers internationaux, où les talibans ont pris plus de 2,7 milliards d’afghanis (29 millions d’euros). Tout cela a évidemment un énorme impact sur l’économie et sur la vie sociale des Afghans. Cinq millions de personnes sont déplacées. Elles ont tout perdu, y compris leur maison. Il faut également parler de la sécheresse. Il n’y a pas d’eau, or l’Afghanistan est un pays essentiellement agricole. L’impact économique se révèle, là encore, terrible.
Quel est votre sentiment ?
Maroof Qaderi Nous avons l’impression de perdre tout ce que nous avons pu gagner ou construire ces vingt dernières années, qu’il s’agisse de la liberté d’expression, des droits de l’homme, des droits de la femme. Tout disparaît petit à petit. La communauté internationale essaie de promouvoir un gouvernement d’union nationale mais en fait on retourne en arrière. Je crains qu’on ne revienne à la guerre civile.
Il n’y aurait donc aucune solution ?
Maroof Qaderi Si, bien sûr. Mais les groupes qui se battent en Afghanistan sont aussi soutenus par des pays qui ont leur propre but et leur propre agenda. Si la communauté internationale veut honnêtement la paix en Afghanistan, elle doit faire pression tant sur les talibans que sur le gouvernement, sinon, il n’y aura pas de solution. Le principal conflit a éclaté avec l’élection présidentielle en 2019. Celle-ci n’aurait pas dû être organisée. Il aurait mieux valu que les différentes parties discutent d’abord puis mettent sur pied un scrutin pour lequel tout le monde pouvait participer, y compris les talibans. Ce qu’il faut maintenant, c’est que le président Ashraf Ghani démissionne et que soit mis en place un gouvernement conjoint.
Comment votre syndicat peut-il agir ?
Maroof Qaderi Malheureusement, tant les talibans que le gouvernement ont toujours entravé l’action du syndicat dans le domaine du droit du travail ou des droits humains. Le gouvernement se pare des habits de la démocratie mais se comporte comme une dictature. Il saisit nos comptes en banque, fait fermer nos locaux, saisit nos propriétés. Tout ça pour nous empêcher de mener des actions pour la défense des travailleurs. Finalement, c’est exactement ce que faisaient les talibans lorsqu’ils étaient au pouvoir. Nous nous battons néanmoins pour un salaire minimum et des conditions de travail décentes
Quelques repères :
NUAWE, c’est 500 adhérents en 1967, jusqu’à 200 000 environ lors de la période soviétique, et 161 000 actuellement dont environ 23 000 femmes.
Le syndicat compte 28 sections géographiques et 16 fédérations. Ses adhérents sont essentiellement des fonctionnaires, mais aussi des salariés du privé, surtout dans le secteur des télécommunications, de l’agriculture ou de l’enseignement supérieur. Dernièrement, le syndicat a créé un bureau dédié à la question des droits des femmes, un autre se concentrant sur les jeunes travailleurs, un troisième se penchant sur les relations entre Kaboul et la province, et un dernier chargé de développer l’éducation et la formation professionnelle et syndicale des travailleurs (article NVO).
Il y a quelques syndicats en Afghanistan. Le Syndicat national de travailleurs des salariés Afghans (NUAWE) est la plus grande confédération. Elle cherche à unifier le mouvement syndical. À la suite du congrès, le Conseil central des syndicats de l’Afghanistan (CCLUA), s’est créé, à partir d’une scission de NUAWE. Le CCLUA est ainsi devenu la deuxième plus grande confédération du pays (avec une présence forte parmi des enseignants·enseignantes). D’autres syndicats et associations revendiquent également une représentativité. Cependant, certains d’entre eux, comme les travailleurs·euses du spectacle, représentent des intérêts plus individuels que collectifs, ou fonctionnent comme des ONG.