La revue Contretemps publie dans son numéro 35 (octobre 2017) un dossier sur « Où vont les gauches » qui comprend aussi un article sur le syndicalisme face à l’échéance électorale de 2017, mais aussi face aux premiers mois de Macron. Sont abordés le rapport au « politique » et la question unitaire.
ContreTemps (éditions Syllepse)
Responsable(s) : Isabelle Garo et Francis Sitel.
Site : www.contretemps.eu
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2017 : Face au défi Macron, un syndicalisme partiellement déphasé
Jean-Claude Mamet
Alors que l’année 2016 avait redonné fortement la parole au syndicalisme, aux mouvements sociaux dans leur diversité et originalité (Nuit Debout), le mi-temps de l’année 2017 a révélé un paysage syndical un peu déphasé par rapport au nouveau contexte politique. Cela peut paraître normal après un semestre électoral au cours duquel les « politiques » ont occupé le devant de la scène. Mais il semble bien qu’il faille aller au-delà : certes le paysage n’est plus le même pour personne, mais le syndicalisme subit sans doute plus que d’autres un dépaysement. Rien ne s’est passé comme cela semblait pouvoir se passer après la séquence d’opposition à la loi Travail de 2016.
Le plus étonnant est venu de Jean-Claude Mailly (secrétaire général de Force ouvrière), pourfendeur de la loi El Khomri traitée de « folle loi » dans un livre spécialement écrit à ce sujet à l’automne 2016, et qui avait qualifié « d’hérésie » l’inversion de la hiérarchie des normes clairement assumée par cette loi. Or, le même avait déclaré au Monde le 21 juin 2017 que les choses (avec Macron) « vont dans le bon sens ». Il ajoute même que « les discussions [toujours avec Macron] se seraient arrêtées » s’il avait le sentiment que la hiérarchie des normes était à nouveau bouleversée. En septembre 2017, la confédération FO est traversée de multiples interrogations sur la position de son secrétaire général, avec presque la moitié de ses unions départementales et six fédérations importantes qui ont rejoint l’appel de la CGT et de Solidaires à agir le 12 septembre. Visiblement, une partie importante de FO avait pris goût à l’action unitaire en 2016, et semble vouloir prolonger celle-ci.
Quant à Laurent Berger (CFDT), il a certes clairement appelé à voter Macron au deuxième tour de la présidentielle, mais il a aussi mis en garde celui-ci l’invitant à « ne pas y aller à la hache » sur le Code du travail. Auparavant, percevant chez Macron un autocrate (tout en partageant bien sûr son projet stratégique « réformateur »), il avait tenu à baliser le rôle du syndicalisme comme « contre-pouvoir », et à ce titre en charge de « l’intérêt général » (tribune dans Le Monde du 16 mai 2017). Il semble bien qu’il a été en partie entendu avec le léger différé de la promulgation des ordonnances, et la correction du projet initial de « nationalisation » de l’assurance-chômage, qui pourrait s’orienter vers une gestion tripartite avec les syndicats, le patronat et les pouvoirs publics. Laurent Berger défend là un marqueur très puissant d’une CFDT s’estimant animatrice de la « démocratie sociale », jouant de fait un rôle politique face à un Macron dont la philosophie du pouvoir est très calquée sur la hiérarchie centralisée au sommet, avec des « corps intermédiaires » (le syndicalisme, les groupements sociaux), sinon effacés, du moins rangés dans une case bien précise.
Dans cette configuration nouvelle, la CGT a peiné à retrouver ses marques, craignant à juste titre l’isolement. Néanmoins, le pari du 12 septembre a été réussi dans cette configuration difficile, même si la participation globale aux manifestations n’a pas atteint les chiffres des débuts de l’année 2016, avec l’Intersyndicale large. La CGT n’avait pas vraiment anticipé la mutation politique post-Hollande. Une surprise qui peut-être affecte aussi les mouvements sociaux à des degrés divers, hormis à sa façon le réseau Front social, au moins durant sa première phase d’existence entre avril et septembre 2017. Front social comprend des structures CGT, Solidaires, FSU, associatives, rassemblées sur un appel résolu à la résistance, qui a le mérite d’exister, mais ne saurait être à lui seul une réponse efficace au-delà de secteurs convaincus.
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Autonomie du mouvement social…
Plus généralement, il s’est produit à la fin 2016 et au début de 2017 dans les secteurs combatifs du syndicalisme et du mouvement associatif une distanciation par rapport aux enjeux politiques de la présidentielle. En janvier 2017, P. Martinez estimait que Valls, Hamon, Macron, Mélenchon… sont « loin de la réalité du monde du travail » (interview dans Les Échos). Parallèlement, sous l’égide d’Attac et animé par Annick Coupé et Dominique Plihon, un « espace » se mettait en place, avec la participation de l’Union syndicale Solidaires, de la FSU, du Syndicat de la magistrature, de DAL, du MNCP, de l’APEIS, et d’un grand nombre d’autres associations. Cet « espace » s’est intitulé « Nos droits contre leurs privilèges ». L’objectif était d’afficher haut et fort les droits sociaux et démocratiques pendant la campagne (voire au-delà), de dénoncer la finance, et aussi d’agir (une occupation d’immeuble pour des familles sans-logis eut lieu à Paris), mais non d’interpeller les candidatures politiques ou les programmes. Cette proposition était pourtant défendue par les collectifs « Pouvoir citoyen en marche », ou « Les Jours heureux », présents aux réunions (ces collectifs ont vigoureusement interpellé par la suite les candidats, parfois en liaison avec l’Appel des 100). Une telle interpellation était considérée comme « classique et inutile » par le réseau Nos droits contre leurs privilèges. Il fallait « dépolluer » la campagne des énormités qu’elle allait mettre en avant (on était alors après la victoire de Fillon à la primaire de la droite), et « donner de la voix aux mouvements sociaux ». L’espace Nos droits contre leurs privilèges a certes permis une expression maintenue de la radicalité revendicative de 2016. Il a créé des liens, mais n’a pas dynamisé réellement la scène sociale ou politique. Le bilan d’étape tiré par le collectif le dit clairement.
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Il n’est donc pas étonnant que lorsque Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac, dans une interview au journal Reporterre le 15 juillet 2017, énonce la nécessité « que le mouvement social et les partis politiques discutent », un débat s’enclenche. Elle ajoutait : « Il est peut-être temps de réinterroger la Charte d’Amiens de 1906, qui actait l’indépendance des mouvements syndicaux vis-à-vis des mouvements politiques. Aujourd’hui, le fossé se creuse de plus en plus. D’un côté, syndicats et associatifs rejettent les partis et la politique […]. De l’autre côté, un certain nombre de leaders politiques de gauche méprisent le mouvement social […]. Au contraire, nous avons besoin d’une convergence très forte entre mouvements sociaux, intellectuels et politiques ». Cette prise de position, fortement remarquée, a été suivie de différentes contributions, dont celle allant dans le même sens de Pierre Khalfa (animateur de la Fondation Copernic, et ancien responsable de Solidaires), en réponse à des critiques de responsables syndicaux. On citera Théo Roumier, syndicaliste de Solidaires, dans son blog de Médiapart : « Le débat sur l’articulation entre social et politique n’est pas neuf […]. Mais contrairement à ce qui peut sembler être énoncé plus haut, l’exigence d’indépendance ne s’est pas faite vis-à-vis de “la politique” au sens large (et noble) du terme, mais vis-à-vis des partis et de l’État […]. C’est la démarche de “double besogne”, à la fois “quotidienne et d’avenir”. […] Dans une société façonnée par la lutte de deux classes aux intérêts irréductiblement antagoniques, c’est bien aux travailleurs et aux travailleuses […] de prendre en main la transformation du monde » (voir la totalité de ces échanges dans : www.syndicollectif.fr : http://wp.me/p6Uf5o-1iU).
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Un éclatement qui n’a que trop duré
La durée de l’Intersyndicale de 2016 (six mois entre CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, UNL, FIDL) est un fait politique à soi seul, d’autant que cette Intersyndicale jouait de facto un rôle d’opposition efficace face au pouvoir vacillant de Hollande. Mais cette fois encore, cette possible structuration stable de l’unité s’est délitée. On imagine pourtant le puissant signal que cela aurait représenté dans tout le pays, dans le salariat, et même dans la campagne politique électorale, si cette Intersyndicale avait dit après septembre 2016 : « Nous nous maintenons, nous agissons ensemble dès que possible, nous ouvrons des débats publics, nous préparons les élections professionnelles ensemble (TPE), car nous sommes persuadés que cela ne va pas nuire à notre audience respective, mais la renforcer par une addition cumulative». Assurément, la vie syndicale en aurait été bouleversée !
Au lieu de cela, chaque organisation a retrouvé son pré-carré et renoué avec ses auto-justifications. On a vu les raisons de FO, classiques, quoique bousculées en 2016. La CGT n’a pas donné l’impression de rechercher, même dans son discours public, une nouvelle formule unitaire propre à remplacer le « syndicalisme rassemblé » tant décrié dans ses rangs. Au début de 2017, retour de la routine, la CGT jouant un cavalier seul sur la question de l’industrie. L’Union syndicale Solidaires a tenu congrès en juin 2017 : le bilan du mouvement de 2016 a fait débat, mais la question unitaire n’a pas été abordée.
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Le congrès de Marseille de la CGT a fortement critiqué le « syndicalisme rassemblé » vécu en interne comme une trop grande proximité recherchée dans le passé avec la CFDT. La direction a rassuré, mais n’a proposé aucune autre perspective. On pressent que Philippe Martinez recherche un accord durable avec FO (tout a été fait par exemple le 1er mai 2017 pour y parvenir), mais le message public de la CGT ne le dit pas explicitement. Dans un débat en duo retranscrit dans L’Humanité du 13 septembre 2016, le philosophe Régis Debray demande à Martinez pourquoi on ne pourrait pas imaginer avec FO, « non une confusion, mais une fusion ». Martinez répond qu’il faut demander à Mailly. R. Debray conclut gentiment : « Tu as a ouvert une petite fenêtre ». Entrebâillée et vite refermée ! Ce débat public avec R. Debray témoigne aussi qu’un rapport renouvelé au champ intellectuel serait possible, mais il ne semble pas du tout mis en valeur publiquement. Le repli CGT sur elle-même est toujours la ligne de plus grande pente. À terme, il serait catastrophique. Elle le sait pertinemment et de longue date : elle n’est réellement puissante qu’avec les autres. Mais la force de rappel identitaire est également puissante. Certains échanges qui traversent aujourd’hui la direction confédérale montrent bien que si la crise de direction de 2014 a été colmatée et que la direction Martinez a redonné une fierté collective, aucun problème stratégique n’a été résolu. On peut espérer que le succès du 12 septembre 2017 contre les ordonnances Macron, montrant une CGT prenant correctement l’initiative avec Solidaires, mais trouvant un écho néanmoins bien plus large, remette ces questions à l’ordre du jour.
Les Utopiques ouvrent un débat
Si l’Union syndicale Solidaires n’a que peu abordé la question unitaire à son congrès de juin 2017, la nouvelle revue de Solidaires Les Utopiques (qui en est à son 5e numéro) reprend ce débat de fond depuis deux parutions. Le dossier central du numéro 4 va même plus loin que la seule unité d’action et pose carrément le débat sur l’unification, sans doute pour la première fois abordée dans Solidaires (autrefois largement moquée comme un doux rêve inaccessible, voire néfaste). Théo Roumier et Christian Mahieux, animateurs de la revue, écrivent : « …une telle démarche [le « dépassement de chacune des organisation existantes »] nécessiterait un aggiornamento stratégique dans un grand nombre de structures syndicales et du mouvement social ». Ils ajoutent : « Un tel projet d’unification, mis en débat largement, créerait une émulation parmi des centaines, des milliers de collectifs militants ». En effet il fédérerait des énergies au-delà des strictes frontières du syndicalisme, par exemple dans les associations, les mouvements de chômeurs, voire les mouvements féministes.
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Le 14 septembre 2017.