Ce numéro de la revue Les Utopiques est principalement consacré à la question écologique. Alors que l’Union syndicale Solidaires est de longue date très active dans les luttes écologiques, c’est à notre connaissance la première fois qu’une synthèse est faite, avec des réflexions rassemblées sur plusieurs domaines professionnels : industrie, énergie, aérien, agriculture, éducation nationale, numérique, etc. Le dossier comprend aussi des aspects historiques (les positions CFDT dans les années 1970, revisités par Christian Mahieux) ou théoriques (les travaux d’André Gorz et de Cornélius Castoriadis). Un aperçu ci-dessous pour susciter la lecture.

Mobiliser et proposer

 

Simon Duteil, co-délégué général de Solidaires, introduit le dossier à travers le rappel heureux de la « double besogne » du syndicalisme. Il souligne que pendant longtemps, le défi de « l’avenir » n’a été vu que comme le « dépassement du capitalisme », qui en quelque sorte résoudrait tout, en sous-estimant la portée des luttes sur d’autres questions : le racisme, le patriarcat, et aussi l’écologie. S’il note que « Solidaires est sans doute le syndicat le plus avancé sur la question », il ajoute aussitôt qu’il y a « encore un fossé entre nos positions dans nos textes et nos pratiques réelles ». Il conclut que l’outil syndical perdrait de son « utilité » assez vite, dans la société actuelle, si le l’éco-syndicalisme n’avance pas. C’est d’ailleurs un constat sans doute partagé par les directions syndicales CGT, FSU et Solidaires qui ont construit non sans difficultés, au printemps 2020, le Collectif Plus jamais ça avec des associations écologistes très diverses et jusqu’ici peu familiarisées avec les pratiques syndicales. De part et d’autre, il y a un courage politique qu’il faut souligner.

L’illustration du fait qu’on ne peut s’en tenir à un anticapitalisme simpliste est donné par l’article, ou plutôt la « tribune » parue aussi dans Médiapart (signée Selma Muzet et Marie Bécue), qui porte sur la notion « d’écoféminisme ». Les autrices déconstruisent justement ces intuitions qui font porter les sciences du vivant plus spontanément du côté des femmes, dénonçant les stéréotypes sur le « féminin » qui serait davantage « du côté de la nature ». Un peu comme des plantes qu’on cultive. Elles dénoncent aussi inversement la « logique patriarcale et guerrière » dans l’exploitation capitaliste du vivant (déforestations, etc.).

Du dire au faire

Quiconque cherche un historique d’ensemble des luttes sur le climat depuis le fameux « sommet de la terre » en 1992, en passant par la première grande mobilisation internationale de Copenhague en 2009, (lors de la Conférence des parties ou Cop 15), lira avec grand profit l’article de Didier Aubé (secrétariat de Solidaires). Il décrit en détail les étapes de ces luttes (incluant Notre Dame des Landes, le barrage de Sivens, etc.), les structures unitaires mises en place (avec leur complexité), la percée internationale à partir de l’automne 2018, surtout la participation massive de la jeunesse. Et bien sûr la place des syndicats, dont l’Union Solidaires, activement dans « l’inter-orga » mise en place en septembre 2018, tout en pointant un « bémol » : « une présence encore insuffisante » dans les manifestations.

Le grand intérêt de l’article de Jean-Claude Garret (SUD Chimie) et de Julien Gonthier (SUD Industrie), qui porte sur la question-clef des « reconversions industrielles », est de de ne pas biaiser avec le défi que cela pose. Poser cette question dans les entreprises industrielles est tout sauf facile, car on touche au travail et son « sens ». Les deux auteurs soulignent que pour certains travailleurs-euses, c’est « la remise en question abrupte d’une vie entière de travail », qui peut être « violente ». Aussi insistent-ils sur la première précaution : rien n’est possible « sans les premier-ères concerné-es ». Dès lors, si on veut avancer, il convient d’avoir le débat « à froid », et non quand une crise ou une restructuration nous tombe dessus. L’article énonce alors des pistes de réflexion : « veille économique » au sein du CSE, « socialisation de pans entiers de l’activité industrielle » (pour permettre son « contrôle », y compris avec les « usagers » et pas seulement par les salarié-es concerné-es), évidemment le « contrôle des aides publiques », etc.  A travers la notion de « planification », ils confortent la logique nécessaire de « filières », par exemple mettant en synergie l’aérien et le ferroviaire.  Ils proposent un « autopartage » des voitures « hybrides ». Il est cependant curieux, si on prend la précaution comme les auteurs de construire avec les premiers concernés et même de changer « l’organisation du travail », qu’il ne soit pas mis en avant une condition incontournable : la sécurité des salaires, souvent nommée « sécurité sociale professionnelle » (par Solidaires, la CGT, la FSU).  Sans cela, on voit mal comment une reconversion serait imaginable.

Transports : viser l’intermodalité

L’article du pilote de ligne François Hamant (du syndicat Alter) fait découvrir à travers un métier parfois décrié une connaissance technique et économique très poussée. Il dénonce les « flibustiers » de l’air que sont les firmes low cost, envisage une « tarification » progressive des billets en fonction des usages, etc. Lui aussi mise sur une politique du transport articulant « aérien, ferroviaire, routier, maritime », en proposant une « table ronde » de tous ces acteurs vers un « plan concerté » de « l’intermodalité ».

Anne Debrégeas, porte-parole de SUD énergie, aborde le dossier lourd de l’énergie et de la production d’électricité, y compris du nucléaire bien sûr. Face à certaines simplifications qui ont cour dans ce dossier, elle affirme clairement : « Une électricité 100% solaire et éolienne, dépendante de conditions climatiques, est donc inenvisageable dans l’immédiat ». Il s’agit du difficile problème du stockage encore impossible de l’énergie électrique, qui doit à tout moment équilibrer « production et consommation ». L’autrice semble en accord avec le gestionnaire de Réseau de transport de l’électricité (RTE) qui a rendu public un projet de mix électrique 100% renouvelable vers 2050 (ce que la CGT conteste). Elle dénonce (avec le collectif qui s’est mis en place avec la Convergence des services publics) le projet aberrant de démantèlement d’EDF actuellement en cours (baptisé Hercule) mettant le nucléaire sous tutelle publique et privatisant tout ce qui peut être rentable. Dans ce schéma absurde, l’activité de « fournisseur d’électricité » avec des morceaux privés d’EDF achèteraient leur électricité (comme d’autres concurrents) aux producteurs EDF public… Les défis technologiques et d’aménagement du territoire, d’ampleur européenne, lui font dire que « le tout local » (rêvé par certains écologistes ?) est une illusion. Mais elle ajoute : « SUD Energie ne s’estime pas fondée à choisir entre les différents types de scénarios énergétiques », mettant prioritairement en avant « un débat démocratique » national, en misant quand même vers « une réduction de la consommation ».

D’autres articles abordent le défi de la forêt dans les Pyrénées et au Lannemezan, avec les militant-es des arbres, les « zones grises du numérique » (à la Poste), la place de l’écologie dans l’Education nationale, les grands projets inutiles (le Lyon-Turin) et bien sûr l’agriculture avec Nicolas Girod porte-parole de la Confédération paysanne. Un bon « cahier de réflexions » pour participer aux débats !

Jean-Claude Mamet (01-03-2021)

 

• Sommaire du numéro :

6 ALFORTVILLE, LA VICTOIRE DES TRAVAILLEURS SANS-PAPIERS DE CHRONOPOST / Solidaires 94

14   IL Y A CENT ANS, LE CONGRÈS DE TOURS : UN ESPOIR COMMUN(NISTE) ? /Julien Chuzeville

20   DOSSIER / L’ÉCOLOGIE, MOTEUR DE LA TRANSFORMATION SOCIALE / Simon Duteil

26   DOSSIER / AVEC LES ÉCOFÉMINISTES, SE PROJETER AUTREMENT DANS L‘APRÈS–COVID19/  Selma Buzet, Marie Bécue

30   DOSSIER / LUBRIZOL, L’INFORMATION AU CŒUR DU PROBLÈME / Jean-Claude Garret

36    DOSSIER / LE RENOUVEAU DES MOBILISATIONS CLIMAT ET MOUVEMENTS ÉCOLOGIQUES / Didier Aubé

48   DOSSIER / UN PLAN DE TRANSITION SOCIALE ET ÉCOLOGIQUE DE L’AGRICULTURE / Nicolas Girod

54   DOSSIER / UN GRAND PROJET INUTILE, LE LYON-TURIN / Julien Troccaz

6 0   DOSSIER / ENJEUX DE LA PRODUCTION D’ÉLECTRICITÉ / Anne Débregeas

6 8   DOSSIER / ENJEUX ÉCOLOGIQUE DANS ÉDUCATION NATIONALE / Sophie Noël

 

• 76  DOSSIER / LES ZONES GRISES DU NUMÉRIQUE / Nicolas Galépides

8 4    DOSSIER / ÉCOLOGIE ET AUTOGESTION DANS LES ANNÉES 1970.

DISCOURS CROISÉS D’ANDRÉ GORZ ET CORNÉLIUS CASTORIADIS / Timothée Duverger

• 94 DOSSIER / LUTTES OUVRIÈRES POUR L‘ENVIRONNEMENT DANS L’ESPAGNE FRANQUISTE / Pablo Corral-Broto

1 0 8    DOSSIER / RECONVERSION INDUSTRIELLE : PAS SANS LES PREMIER·ES CONCERNÉ·ES /

Julien Gonthier, Jean-Claude Garet

1 1 8   DOSSIER / LE POINT DE VUE DES SALARIÉ·ES DU SECTEUR AÉRIEN / François Hamant

1 2 4   DOSSIER / LA LUTTE AVEC LE CŒUR / Mylène Colombani

1 3 2   DOSSIER / IL Y A 50 ANS : LA CFDT ET L’ÉCOLOGIE / Christian Mahieux

1 4 2   SOS ! L’ESPRIT DU CAPITALISME INFILTRE L’ASSOCIATIF / Collectif (ASSO et MANA en lutte)

1 6 0   CAPITAL ET IDÉOLOGIE, UN TITRE EN TROMPE–L’ŒIL/ Alain Bihr, Michel Husson

1 7 2   LA GRATUITÉ POUR PENSER LE SOCIALISME ET L’ABONDANCE / Gérard Vaysse