Philippe Martinez : « Le gouvernement joue avec le feu. On ne frappe pas des gamins »
Le secrétaire général de la CGT estime, dans un entretien au « Monde », que la convergence des luttes avec les « gilets jaunes » est « impossible au niveau national ».
Le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, dans son bureau au siège de la confédération, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 6 décembre. Ed Alcock / MYOP pour «Le Monde»
Sept syndicats, dont la CGT et la CFDT, ont signé, jeudi 6 décembre, une déclaration commune pour appeler au dialogue et au calme avant la manifestation des « gilets jaunes » de samedi. Entretien avec Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT.
Comment analysez-vous le climat social ?
A force d’encaisser, à un moment, ça explose. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est la taxe sur les carburants. Mais aujourd’hui, sur les ronds-points – où 85 % des « gilets jaunes » n’ont jamais croisé, ou très peu, les syndicats –, on est loin du seul mot d’ordre qui a lancé ce mouvement.
Edouard Philippe a parlé de suspension des taxes avant que ne soit évoquée leur annulation. Est-ce positif ?
Ils ont un mois de demi de décalage. Les revendications des « gilets jaunes » ne sont plus uniquement celles-là. C’est clairement insuffisant.
Souhaitez-vous une convergence des luttes ?
Elle est difficile et impossible au niveau national car ils n’ont pas de coordination mais des porte-parole autoproclamés, et pas les meilleurs d’ailleurs. C’est pour cela qu’au début nous avons été très réticents. Il y a parmi eux des gens infréquentables. Quand on livre des migrants à la police, ce ne sont pas les valeurs de la CGT. Mais localement, petit à petit, il y a des discussions qui se créent et ça réfléchit.
En revanche, vous n’appelez pas à manifester samedi…
Non. Nous n’appelons pas à marcher sur l’Elysée, ni à la démission d’Emmanuel Macron ni à la dissolution de l’Assemblée nationale. Mais M. Macron, une fois élu, s’est vu sur un nuage, déconnecté des réalités. Et ce n’est pas parce que l’on est légitime que l’on fait ce que l’on veut, sans rien écouter.
La CGT a lancé un appel au calme avec six autres syndicats. Pourtant, deux heures plus tard, elle a accusé l’exécutif de « jouer à l’incendiaire social »…
Ce n’est pas nous qui mettons de l’huile sur le feu, c’est le gouvernement. Le texte commun est le reflet de la diversité syndicale. A force de ne pas parler avec nous, le gouvernement discute avec qui ? Ils sont très embêtés. Et quand le premier ministre, mercredi, dit que les responsables, notamment syndicaux, « seront comptables de leurs déclarations », c’est scandaleux. Ce qui l’est encore plus, c’est que la ministre du travail [Muriel Pénicaud] m’appelle dans la foulée pour me faire la morale.
Depuis que je suis secrétaire général, j’ai écrit à tous les ministres de l’intérieur pour leur dire que les violences en marge des défilés sont inacceptables. J’attends toujours leurs réponses. Les violences auxquelles nous assistons ne sont pas nouvelles, même s’il y a un degré supplémentaire parce que la colère monte et que les manifestations sont moins encadrées…
Que dites-vous aux personnes qui iront manifester samedi ?
Ce n’est pas à la CGT de les empêcher d’aller manifester.
Y a-t-il des organisations de la CGT qui appellent à défiler samedi ?
Deux. Pour l’instant, nos unions départementales essayent surtout de protéger les jeunes qui sont en train de se faire massacrer. Les gardes à vue parce qu’ils font un sit-in devant leur lycée, ce n’est pas acceptable. Le gouvernement joue avec le feu. On ne frappe pas des gamins. Depuis hier, l’exécutif entretient un climat malsain.
Vous avez déclaré que votre responsabilité, c’était de mettre tout le monde en grève…
Les ronds-points, c’est bien, mais les grèves en semaine, il faut les faire, c’est ça que l’on construit. Le Medef porte aussi une grande responsabilité, lui qui refuse les augmentations de salaire dans les entreprises. Donc il faut faire grève. Il faut que les « gilets jaunes » se rassemblent. Nous avons besoin de peser sur les entreprises, notamment les plus grandes, pour qu’il y ait une meilleure répartition des richesses.
Les appelez-vous à faire grève le 14 décembre ?
Exactement. Des tracts sont distribués, notamment à la sortie des entreprises où nous ne sommes pas implantés.
Ce mouvement n’illustre-t-il pas une faible légitimité des syndicats ?
La légitimité, nous l’avons là où nous sommes présents. Ce mouvement me conforte dans l’idée que la CGT gagne à être connue et que l’on a besoin de se déployer car nous sommes absents dans trop d’entreprises.
Pourquoi les syndicats n’arrivent-ils pas à se mettre d’accord sur une journée d’action commune ?
Il y a des points de convergence et des thématiques sur lesquelles nous ne sommes pas d’accord. Hormis la mobilisation de mars dans la fonction publique, la CGT et la CFDT ne se sont plus mobilisées ensemble depuis quatre ans.
Face à un gouvernement affaibli, les syndicats n’ont-ils pas une carte à jouer ?
Nous avons pris le parti de rédiger un texte court, avec des thèmes génériques. Les augmentations salariales font partie des points de convergence comme la révision de la fiscalité, les questions de mobilité entre le domicile et le lieu de travail. Si l’exécutif veut des interlocuteurs sociaux, nous sommes bien placés pour remplir ce rôle, mais la CGT ne veut pas servir d’alibi. Pour autant, ce texte appelle une réponse du gouvernement. La ministre du travail devait recevoir vendredi les organisations patronales et syndicales sur la mise en œuvre des annonces du premier ministre, mais la CGT a décidé de ne pas y aller. Ces décisions ne sont déjà plus valables. On a un gouvernement qui flotte.
Comment réagissez-vous à l’idée évoquée par M. Philippe d’une prime défiscalisée ?
Défiscaliser, c’est supprimer des cotisations sociales. Ça intéresse beaucoup le Medef, qui redemande toujours plus d’allégements de prélèvements. Son président, Geoffroy Roux de Bézieux, est d’accord pour augmenter les salaires à condition que ça ne lui coûte rien. Cette idée de prime défiscalisée écorne le salaire différé, c’est-à-dire les droits fondés sur les cotisations qui servent à financer l’Assurance-maladie, les retraites, la famille, etc. Il faut cotiser à la Sécurité sociale et les impôts sont nécessaires.
Un mot d’ordre qui n’est pas partagé par les « gilets jaunes »…
Nous ne partageons pas toutes leurs positions, notamment celles des « gilets jaunes » patronaux. Mais pour payer ses impôts, il faut être bien payé. Pourquoi y a-t-il si peu de personnes assujetties à l’impôt dans ce pays ? C’est parce que beaucoup sont mal rémunérés.
Comment sort-on de cette crise alors qu’il y a une montée de la violence ?
Cela nous inquiète. Il y a une escalade de la violence qui est d’abord organisée par des groupuscules que nous voyons depuis trois ans. Le ministre de l’intérieur et le préfet de police ont des responsabilités. Il faut par ailleurs que l’exécutif réponde sur les salaires, la justice fiscale, le rétablissement de l’ISF, la suppression de la hausse de la CSG et le relèvement des minimas sociaux. Soit on s’assied autour d’une table et on discute, soit le gouvernement continue d’essayer d’éteindre le feu avec un verre d’eau. Que ce soit M. Macron ou M. Philippe, ils ne prennent pas la mesure du mécontentement.
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