Le 3 février 2016 s’est déroulée une journée préparée par la Commission confédérale Femmes Mixité de la CGT. Nous en rendons compte.
La salle du Comité confédéral national (CCN) de la CGT était pleine le 3 février 2016 pour la journée de formation intitulée : « VIOLENCES SEXISTES ET SEXUELLES AU TRAVAIL : COMMENT AGIR ? ». Préparée par la commission femmes-mixité de la CGT, c’était une journée « de sensibilisation et de formation ». Objectif atteint : témoignages d’associations, expériences des fédérations CGT et des militantes, explications détaillées sur le droit du travail, sur le rôle du syndicat et des Institutions représentatives du personnel (IRP), précisions sur ce que peut la justice, sur la définition des mots. Il y a eu aussi une exposition de matériel de campagnes : brochures, affiches, tracts, vidéo, etc. C’est une journée qui s’inscrit très bien dans le cadre collectif et unitaire préparatoire au 8 mars, et par exemple dans les traditionnelles journées syndicales de formation CGT, FSU, Solidaires. Ces journées auront lieu cette année les 21 et 22 mars à la Bourse du travail de Saint-Denis.
Participaient à l’animation plusieurs associations invitées. Ernestine Ronai représentait l’Observatoire départemental de Seine Saint-Denis et la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences (MIPROF). Séverine Lemière l’association FIT Une femme un toit, et Marylin Baldeck l’Association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT). Pour la CGT, les expériences collectives de plusieurs fédérations ou structures ont été exposées : la Fédération nationale Mines Energie, la Fédération des Sociétés d’études, la Fédération Santé et Action sociale, la Fédération de la Marine marchande, la Fédération des Activités postales et télécom (FAPT), la Fédération des Organismes sociaux, l’Union départementale (UD) du Jura, le secteur confédéral Droits, libertés, actions juridiques (DLAJ) et le bureau confédéral, sans compter bien sûr toutes les participantes et participants mandatés par leurs structures.
La première partie de la journée a été consacrée à débattre du travail des associations. La deuxième partie était consacrée plutôt à la restitution des expériences militantes de la CGT. Entre les deux, pour le DLAJ-CGT, Anne Braun a fait un exposé sur l’état actuel du droit du travail ainsi que sur les rôles respectifs des syndicalistes, des délégué-es des IRP, et de la justice. Ont été au passage bien redéfinis le sens précis et juridique des notions et des mots : harcèlement sexuel, agression sexuelle, viol, contrainte, sexisme au travail, sexisme ordinaire, violence au travail. Un quiz collectif a d’ailleurs permis de déceler que le sens de ces mots en fonction de situations bien précises n’était pas toujours aussi simple qu’il n’y parait. Il faut signaler qu’une brochure pédagogique a été réalisée par la Commission femmes mixité CGT : « Outils pour l’action syndicale : combattre les violences sexiste et sexuelles ».
Cette brochure est consultable ici : femmehomme_brochure0116
Inaugurant la journée au nom de la Confédération, Céline Verzelleti a d’emblée situer la réflexion CGT dans une optique de « rapports sociaux de classe et de sexe » : « lutter contre tout système de domination, de classe et de sexe ». Et Murielle Marcilloux pour la commission femmes mixité (et fédération mines-énergie) a situé les enjeux militants en constatant que souvent « le syndicat est la dernière institution à laquelle s’adressent des femmes victimes de violences ».
Ernest Ronai, pour l’Observatoire de Seine Saint-Denis, a décrit en détail comment se nouait dans le travail (et aussi dans le couple) des situations de violence : violence verbale, mécanisme d’isolement des victimes par manipulation, pertes d’estimes de soi, peur, humiliation, etc. « Le rôle d’une personne tiers est fondamental », a-t-elle expliqué, mais pas uniquement les magistrats : les amis, le syndicat, etc, afin de « rompre l’isolement » et l’enfermement. Séverine Lemière (FIT) a montré comment ces situations ont aussi des effets très négatifs sur les recherches d’emploi, notamment pour les jeunes femmes, qui sont les plus touchées.
Maryline Balbeck (AVTF) a redonné des statistiques : 4,7% des viols ont lieu au travail, et 25% des agressions sexuelles, et 30% des victimes n’en ont « jamais parlé à personne ». Elle s’est efforcée de démonter les stéréotypes qui amènent à refuser de voir les réalités, avec des réflexions souvent entendues du genre : « Mais vous n’avez pas été violée ! », ou (à propos d’un homme harceleur) « C’est un bon vivant », ou encore : « Il est malheureux». Etc. Certaines situations de harcèlement sont parfois difficiles à déceler, car déniées ou difficiles à prouver. Elle a aussi décortiqué les évolutions du Code pénal depuis 1992, permettant de mieux appréhender la stratégie des harceleurs (article 222-33 du Code pénal) à travers des attitudes répétées, des propos et des comportements. Elle a fait le rapprochement entre droit du travail et droit communautaire, en insistant sur le fait que l’employeur a maintenant une « obligation de sécurité et de résultat » et que la victime n’a pas à apporter des preuves au sens juridique, mais des faits. Elle a également insisté sur l’importance de bien préparer une action en justice très « en amont », de passer en prudhomme avant le pénal (le pénal obligeant à des enquêtes policières détaillées que le prudhomme ne permet pas).
Anne Braun (DLAJ-CGT) a décrit en détail les ressources du droit du travail, tout en les resituant dans la nécessité syndicale d’agir, pour mobiliser le droit. Elle a ainsi décrit le rôle des CHSCT, le droit d’alerte possible sur ces situations, y compris le droit de consulter un expert, le rôle du règlement intérieur de l’entreprise, l’action possible des délégués du personnel (DP) pour « présenter des réclamations individuelles ou collectives », etc. Elle propose « d’intégrer le genre à la formation syndicale ».
Emilie Fillol, pour la FAPT, a montré comment a été négocié et signé un accord d’égalité professionnelle femmes/hommes, et comment La Poste « résistait » à admettre certaines évidences, expliquant des situations de violences par des « mésententes entre collègues » (par exemple). Jean-Philippe Chatel, pour la Fédération de la marine marchande, a montré comment dans un secteur comprenant 5% de femmes, celles-ci étaient exclues des postes de pouvoir, comment les armateurs refusaient de les former (« cela ne sert à rien »), et décrit la « très grande difficulté à parler de harcèlement » dans cette profession, comment on est poussé à « ne pas mélanger le privé et le professionnel » (risque d’être « mis en porte-à-faux »).
Sabine, pour la Fédération des Sociétés d’études, a surenchéri sur cette question du « privé et du collectif ». Dans sa fédération, un travail a commencé au début des années 1990. « Il n’y a pas de petites violences » a-t-elle insisté. Elle se souvient d’une intervention sur le harcèlement sexuel au congrès de l’UGICT CGT en 1996, qui avait reçu le soutien de Louis Viannet. Elle constate alors « qu’il faut souvent le soutien d’une personne autorisée » pour faire avancer le débat, alors qu’il faudrait plutôt rechercher « une parole iconoclaste ». Elle évoque l’histoire du collectif mixité CGT et de la commission Santé et Travail de la CGT avec Jean-Paul Valette. A cette époque, « la subjectivité n’était pas admise à la CGT ». En 2010, sa fédération sort une brochure notamment contre le sexisme du langage, et elle assume totalement l’idée féministe que « le privé est politique ».
Certaines interventions ont également évoqué des situations dégradées dans la CGT elle-même : « nécessité d’un environnement non sexiste dans le les locaux syndicaux » (Franche Comté), de mettre en cause « les plaisanteries graveleuses ». Une militante de l’UD CGT de Paris explique que les situations de violence dans l’organisation sont des « sujets très complexes » à aborder, à cause du risque supposé d’affaiblir l’organisation.
Les suites à donner
Il revenait à Sophie Binet, « pilote » de la Commission Femmes Mixité (et membre de la CE confédérale) a conclure et tracer des perspectives. La réunion, a-t-elle informé, comprend 60% de femmes et 40% d’hommes. Après cette journée, « il ne faudra pas en rester là ». La responsabilité syndicale est bien de « casser la loi du silence », et c’est une question « subversive ». Elle peut être reliée à l’organisation du travail, ce n’est donc pas « une question de société » qui serait hors travail. Par ailleurs, il existe en effet aussi certaines violences « dans le collectif militant ». L’objectif de parité dans les instances de la CGT est « fragile », s’il n’est pas aussi reproduit « dans toutes les structures ». 37% des syndiquées sont des femmes, mais il y en a 30% dans les structures. 30% des composantes du CCN (fédérations et unions départementales) ont des commissions femmes mixité. Elle rappelle la Charte égalité femmes/hommes de la CGT, adoptée au CCN du 31 mai 2007.
Sophie Binet évoque aussi la préparation du 8 mars comme journée d’action, cette année, sur les lieux de travail. Elle explique : « Les femmes ont besoin de la CGT, et la CGT a besoin des femmes pour être un syndicat de classe et de masse non coupé du salariat ».
Jean-Claude Mamet