Trainée de grèves ouvrières dans les Ardennes

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Merci à nos correspondant-es dans les Ardennes et de Charleville de nous avoir fait parvenir ces compte-rendu d’enquêtes ouvrières (faites par des  militants France Insoumise) qui ont surgi à la faveur du mouvement des Gilets jaunes, puis se sont interrompues.

Les grèves (Tarkett Sedan, Faurecia Mouzon, Tuilerie Signy l’abbaye Givet) ne sont plus reconduites ce soir : difficile de coordonner des boîtes situées au minimum à 20km les unes des autres, comme le préconisait Solidaires national hier…On peut constater que ce mouvement à été précédé de la reconquête électorale par la CGT de cet ancien bastion CFDT depuis 68 et l’apparition de délégués de 30 à 40 ans (PC ou FI)…Il subsiste la grève de Tarkett Sedan celle où le piquet était en rouge ou jaune…

Michel Cuchet

Nous avons effectué une petite viré sur les sites de FAURECIA à Mouzon et de TARKETT a Sedan, pour voir ce qu’il en était des piquets de grève de vendredi dernier.
A Mouzon, les employés ont repris le travail, moyennant discussions en cours avec la Direction.
A Sedan, c’est l’inverse. Vous trouverez un petit topo en pièce jointe.
Pas de nouvelles de la grève chez Monier, la briquèterie de Signy-l’Abbaye.
Véronique Velter
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VISITE USINE TARKETT EN GREVE

LUNDI 17 DECEMBRE 2018

 

Localisation : Sedan

Spécialité : textile, habillement, cuir.

Nombre d’employés : 265 sur le site de Sedan

Historique sommaire : L’entreprise familiale spécialisée dans le feutre de Sedan remonte à 1807.  Une autre maison a été fondée à Mouzon en 1887. Après la seconde guerre mondiale, Roger SOMMER développe l’activité en associant ses fils François et Pierre et l’usine actuelle de Sedan voit le jour en 1962. Les affaires s’étendent sur toute l’Europe et tournent bien. En 1965, l’entreprise comptait 1916 employés. L’entreprise de feutre de Mouzon pris le nom de SOMMER SA. La même année, le Premier Ministre Georges POMPIDOU visite les lieux.

Compagon de la Libération, François SOMMER fut l’un des rares entrepreneurs a prendre en considération l’intéressement des employés aux résultats de l’entreprise, puis sur la participation aux résultats.

Il créa avec son frère, la fondation François et Pierre Sommer dédiée à l’action sociale en faveur des anciens salariés de la société SOMMER et de leurs descendants dans le berceau historique de l’entreprise, à Mouzon.

En 1971, SOMMER s’associe à ALLIBERT. François SOMMER décède en 1973. Le groupe SOMMER-ALLIBERT devient le premier transformateur européen de matière plastique.

TARKETT, société suédoise et la division revêtement de sol de SOMMER-ALLIBERT fusionnent en 1997, suite au rachat de la société TARKETT par SOMMER-ALLIBERT.

En 2001, l’usine de Mouzon passe dans le groupe FAURECIA AUTOMOTIVE INDUSTRIE (groupe international, spécialisé dans l’équipement automobile) qui achète l’équipementier automobile SOMMER-ALLIBERT. Pour mémoire, FAURECIA est née de la fusion de la filiale ÉCIA de PSA et et du producteur de sièges automobiles Bertrand FAURE.

L’usine de Sedan reste SOMMER-ALLIBERT. Le consortium suédois pris la tête du groupe, qui prend le nom de TARKETT en 2003. Il est alors présent dans plus de 100 pays. Le chiffre d’affaire est multiplié par 2 entre 2000 et 2007.

En 2006, après le décès du créateur du groupe, la famille DECONINCK fait entrer le fonds d’investissement KKR (Kohlberg Kravis and Roberts) au capital. À la suite de cette opération, la famille DECONINCK et KKR détiennent chacun 50 % du capital de TARKETT. La société pèse alors 2,1 milliards d’euros de chiffre d’affaires et compte neuf mille salariés au niveau mondial. Michel GIANNUZZI, qui préside le Groupe à partir de 2007, renforce sa présence à l’est et son investissement en Russie en acquérant 100 % du capital de SINTELON. Le groupe international n’a pas cessé de racheter des entreprises notamment sur le continent américain.

TARKETT se présente comme le leader mondial en matière de solutions innovantes et durables pour les revêtements de sol et les surfaces sportives.

L’usine de Sedan fait partie des premières a recevoir la certification ISO 14001 (filière de recyclage des découpes).

En 2009, le studio de style (centre de design) a été délocalisé de Sedan au Luxembourg, à Clervaux. Les employés spécialisés et la bibliothèque d’échantillons ont du s’expatrier ou accepter des frais de déplacements conséquents pour se rendre sur leur nouveau lieu de travail. L’usine de Sedan se trouve désormais limitée à la production. Le sedanais a perdu ainsi un véritable patrimoine et un certain nombre de travailleurs qui disposaient d’un savoir faire unique.

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 Irvin BUCHMAIER (représentant syndical CGT)

 

Il nous a informé du déroulement des opérations. Le piquet de grève a été installé vendredi 14 décembre et la Direction n’a pas établi de contacts depuis.

La grève est totale. Quasi 100% des employés étaient en grève et sur place ce matin du lundi 17 décembre, y compris la logistique. La police s’est déplacée à la demande de la Direction, mais il n’y a pas eu de heurts. Des équipes de 18 employés sont restés au travail et se relayent.

Si le piquet est levé mardi 18, la grève continue à l’intérieur de l’usine, sur les chaînes de production.

La grève est intersyndicale (CGT textile/CFDT). Elle s’étend sur tout le secteur du textile.

Des employés en gilets jaunes se sont joints au groupe.

Un feu de pneus et pallettes noircissait le ciel, tant et si bien que le Directeur de l’usine M. MALET est sorti pour discuter avec les ouvriers grévistes.

Irvin a exposé les raisons de la colère et a indiqué qu’il voulait discuter en transparence. Les revendications sont salariales et compte-tenu des annonces faites par Emmanuel MACRON. Il a demandé au Directeur de bien vouloir indiquer son salaire, car celui-ci ne semblait pas comprendre que vivre avec 2000 euros brut par mois peut-être difficile. Aucune discussion n’a été possible. Finalement, les ouvriers ont lancé une estimation de 5000 euros de salaire pour le Directeur.

Irvin a évoqué également les charges qui grèvent ce salaire de 2000 euros, rien que pour aller travailler et évoquant la prime kilométrique.

Le CICE donne de l’argent au groupe, mais celui-ci ne semble pas le redistribuer équitablement auprès des employés.

La réversion des plus-value au niveau des actionnaires est également mise en cause et elles ont bien été versées pour 2017, contrairement aux affirmations du Directeur.

Avec des chiffres bien en tête, Irvin a déclaré que jusqu’à octobre 2018, un ouvrier de l’usine de Sedan rapportait 34000 euros au groupe. A partir de là, sans que les ouvriers le disent, nous avions tous à l’esprit le questionnement suivant : et combien reçoit l’ouvrier en question, en guise de rétribution de son travail, n’est-ce pas injuste ?

Le Directeur n’était pas dans la compréhension, ni l’acceptation de quoi que ce soit. Il disait « vous ne savez pas de quoi vous parlez. Les chiffres sont faux », mais rien n’a désarmé le syndicaliste. Ces chiffres sont là.

Une bagarre de chiffres a eu lieu, qui a débouché sur le manque de respect du groupe, évoqué par le Directeur. Le Directeur a présenté son objectif de performance de l’entreprise qui s’inscrit dans le développement à venir. Il a également condamné le boycott d’une réunion de sécurité le vendredi 14 décembre par les grévistes, en dénonçant « la pierre » que les ouvriers avaient placés ce jour là, dans la vie de l’entreprise.

Le mot respect a fait bondir les ouvriers qui lui ont reproché le manque de respect dont il a fait preuve, lors du décès d’un collègue.

Irvin nous a décrit le Directeur comme quelqu’un d’inoffensif, « un pauvre bougre » comme il dit. Il vient d’Orléans. J’ai vu moi même, qu’il était pieds et poings liés, car le véritable pouvoir décisionnel ne dépend pas de lui et les ouvriers en sont conscients. L’hostilité se manifeste du fait de son salaire, dont les ouvriers et nous-mêmes savont bien qu’il est nettement supérieur à ceux des ouvriers en place (estimation : 5000 euros). Egalement, le Directeur refuse de se joindre aux ouvriers et retourne dans son bureau, sous les huées. De part le discours qu’il a tenu, il m’a semblé qu’il considérait les ouvriers grévistes comme des enfants irresponsables. Le groupe TARKETT, c’est tout pour lui et il a droit au respect le plus absolu, car on lui doit tout. Rien de plus. Il semble déconnecté des ouvriers sans lesquels pourtant l’usine ne serait rien.

Compte-tenu des déclarations d’Emmanuel MACRON, une augmentation des salaires de 400 euros est prévues. Le problème reste l’imposition de cette somme. Le Directeur de l’usine n’a pas pu répondre avec certitude de la non imposition (il s’en est donné l’air et puis devant l’insistance d’Irvin, qui lui a redemandé s’il pouvait affirmé avec certitude que les 400 euros ne seront pas imposés, il s’est tu et Irvin a embrayé en lui disant que même lui, ne pouvait pas répondre avec certitude à ce sujet).

 

Historique de B.J. (autre représentant syndical CGT)

Employé à l’usine de Sedan dés 1982, il a pu intégré le studio de style et bénéficier d’un salaire au dessus de la moyenne, ainsi que de conditions de travail confortables.

Il a évoqué pour nous l’histoire de l’entreprise et la complexité des agencements des rachats, des groupes. Je me suis inspirée de ses propos pour retrouver des infos plus précises sur le réseau, mais il a parlé d’à peu près tout (sauf FAURECIA).

Pour lui, comme pour tous les ouvriers, l’usine reste SOMMER et TARKETT apparaît comme un usurpateur. Il y a un véritable attachement à l’identité SOMMER chez les ouvriers. Il y a une légitimité de l’entreprise qui passe par les employés et l’histoire.

Lors de la délocalisation du studio de style en 2009, il a refusé de partir au Luxembourg et a pu trouver un poste en production. Il a travaillé quelques temps en 3/8 et avec une baisse de salaire, mais comme il a pu conserver une marge intéressante (2600 euros net), ça ne l’a pas gêné.

Si à l’entrée du site historique de Sedan, se dresse le bâtiment dévolu à la formation, la promotion interne, gage de reconnaissance de l’expèrience acquise en travaillant n’est plus de mise.

L’entreprise préfère embaucher des contractuels qui sont mal payés car ils n’ont aucune expérience (des « trous du culs venus de nul part » dixit Benoît JARDINIER).

L’importance donnée à la transmission des savoir-faire semble très relative et la reconnaissance du savoir-faire acquis sur le terrain ne compte pas.

Tout est noyé dans un groupe international, dont la véritable direction semble loin, trop loin. Il est loin aussi le temps de François SOMMER, lorsque les payes des employés étaient multipliées par 2.

Pour moi, il est clair que le manque de transparence, notamment au niveau des finances, alors que les bénéfices du groupe sont assurés d’année en année, augmente la colère des ouvriers. Comment faire simple, quand on a un groupe si compliqué et immense ?

Benoît n’est pas pour le développement de la démocratie directe, type 1789. Nous sommes tombé d’accord sur le fait que les athéniens avaient conduit leur démocratie à sa perte en élisant un tyran. J’ai eu beau argumenté que nous vivons dans un autre temps. Il m’ assuré que les gens en ferait n’importe quoi de cette démocratie.

Autre point : les ouvriers ne savent pas où se trouvent les archives de l’entreprise, notamment les archives historiques les plus aciennes.

 

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