Nous avons publié un communiqué commun CGT-FSU (paru sur le site de la CGT) rendant compte du travail de rapprochement en cours depuis 2023 (lire : http://syndicollectif.fr/?p=25099). Nous publions ici des prises de position et interviews de responsables CGT (Union départementale des Pyrénées orientales, Union générale des ingénieur-es, cadres et techniciens, Fédération enseignement, recherche et culture) qui explicitent leur vision des débats en cours, des progrès et des difficultés qui subsistent, en particulier sur les différences de fonctionnement.
« CGT et FSU démultiplient leurs forces »
Interview de Julien Berthélémy, secrétaire général de l’UD 66
Le 31 mai dernier, l’union départementale des Pyrénées-Orientales a organisé une réunion de travail avec les syndicats FSU et CGT. Qu’est-ce qui a motivé l’organisation de cette rencontre ?
La démarche n’est pas circonscrite au département. Elle se déploie au niveau national. Nous avons de très bonnes relations avec la FSU depuis le conflit des retraites, et même avant. Ça nous paraît évident de travailler ensemble, d’autant que la démarche est encouragée par la confédération. Nous avons un bon « fonctionnement » CGT / FSU et nous nous rencontrons régulièrement au niveau départemental. Cette relation s’est construite assez rapidement, nous avons discuté et nous trouvions positif d’échanger en réunions, au-delà des seuls premiers dirigeants. Nous avons réfléchi à la construction d’un outil syndical commun. Nous avons fait intervenir Benoît Teste, secrétaire général de la FSU et Thomas Vacheron de la CGT qui suit cette démarche pour la confédération. Une cinquantaine de camarades ont participé. Ce n’est pas tant la question du rapprochement qui importe, c’est surtout de savoir quelle organisation nous voulons mettre en place, pour transformer la société. De ce point de vue, cela a été bien accueilli. Nous ne sommes pas « fait » pareil, nous n’avons pas la même structuration, même si nous nous réclamons de la charte d’Amiens. Malgré nos différences, nous sommes d’accord sur la volonté d’avancer ensemble pour transformer la société. De plus, l’importance du rassemblement national, dans notre département, n’y est pas étrangère. Un électeur sur deux vote RN.
Le travail en commun CGT/FSU suscite des interrogations, mais aussi des motivations. Qu’est ce oui est ressorti de vos débats ?
Travailler le même outil syndical, ça commence par s’inviter à des réunions communes. Nous avons organisé une assemblée générale de rentrée en septembre où nous avions invité les co-secrétaires générales de la FSU. Et inversement, j’ai participé au niveau départemental à l’assemblée générale des syndiqués de la FSU à France travail. De même nous construisons régulièrement des actions et des initiatives ensemble. Par exemple, sur le chômage et la précarité, nous avons organisé une mobilisation conjointe le 16 octobre. Nous essayons bien sûr d’élargir, mais au départ nous construisons avec la FSU. Nous ne voulons pas brusquer, nous laissons les choses se dérouler, sans forcer. En travaillant ensemble, c’est un plus. Depuis deux ans, nous participons conjointement à la fête du travailleur catalan, organisée par le journal du Parti communiste du département. Nos deux organisations sont complémentaires. Là où la CGT est forte, la FSU l’est moins et vice-versa. Sur l’éducation nationale, par exemple, la CGT l’est moins. Mais ils ne sont pas implantés dans la santé, ou la territoriale. Voilà la complémentarité. La FSU, s’interprofessionnalise de plus en plus, mais demeure essentiellement un syndicat de la fonction publique.
Quelles actions allez-vous mettre en place sur le département pour poursuivre et renforcer ce travail en commun ?
Dans le cadre d’initiatives contre l’extrême droite, nous projetons une action dans le camp de Rivesaltes qui a accueilli des réfugiés espagnols exilés en France pour fuir le franquisme dans les années trente. Nous travaillons avec la FSU naturellement. Bien sûr, ce n’est pas la même chose qu’un syndicat CGT. Dans un second temps, viendra la question des élections professionnelles. Nous aimerions avancer là-dessus, mais nous ne sommes pas encore prêts. Nous ne sommes pas encore à l’étape de proposer des listes communes. Il demeure certaines réticences, et ça se comprend, c’est pour ça que l’on ne veut pas bousculer les choses. Il y a une part d’humain dans tout ça… Dans le passé, il y a eu des frictions CGT et FSU. Mais aujourd’hui, pour les camarades de la CE, le rapprochement est perçu positivement, car cela renforce le syndicalisme qui transforme la société et la CGT. L’idée d’un rapprochement CGT FSU, ne signifie pas « 1 + 1 = 2 », mais « 1 + 1 » doit être égal à 3, voire plus !
Nous changeons l’histoire parce qu’auparavant, nous allions de divisions en divisions : le mouvement syndical depuis 50 ans se fracture… Mais là, le fait de nous rapprocher nous donne le sentiment de changer les choses. Cette dynamique de rassemblement porte sur des valeurs sociales, humaniste, féministes, et nous sommes d’accord sur le fond. C’est ce qu’il faut retenir !
« Un travail pour contrer le processus de déqualification »
Interview de Caroline Blanchot, Secrétaire générale de l’UGICT-CGT
L’UGICT-CGT travaille avec la FERC-CGT et la FSU sur les questions de qualification/classification. Qu’est-ce qui a motivé cette démarche ?
L’UGICT travaille depuis sa création sur les questions de qualifications et de classification. Elles sont essentielles pour les travailleur·ses, car elles déterminent les catégories de salarié es et de nombreuses dispositions réglementaires et conventionnelles. La classification professionnelle recouvre l’échelle (ou grille) hiérarchique des emplois établis par branche d’activités professionnelles dans le cadre des conventions collectives, ainsi que les modalités d’évolution de carrière. La classification est généralement établie en fonction des niveaux de responsabilité et des niveaux d’instruction et d’expérience requise pour un emploi donné. Depuis quelques années, sous couvert de l’émergence de nouvelles technologies et/ou sous prétexte de mutations organisationnelles, le patronat, soutenu par les gouvernements successifs, engage des transformations dans le contenu des emplois et dans la définition des qualifications professionnelles associées afin de baisser les coûts pour les entreprises et administrations. Cela se traduit par un recul sans précédent de la reconnaissance des diplômes, mais également l’arrêt de l’ascenseur social, ainsi que de la stagnation des salaires pour les catégories de salarié es relevant des collèges 2 et 3 (technicien·nes et ingés/cadres). Le travail en commun CGT (UGICT et FERC) / FSU sur cette question est très intéressant, car il permet de brosser l’ensemble du processus de qualification dès les études et jusqu’à la retraite, et ainsi de mesurer le niveau du hold-up du capital sur le dos des travailleur·ses, y compris des plus qualifié·es et in fine de travailler une convergence d’actions afin de contrer cette dynamique de déqualification. D’autant que celle-ci nous emmène dans le mur à un moment où nous devons faire face à des enjeux très importants de modifications de nos outils de production, de nos manières de consommer et de travailler en lien avec les questions environnementales.
Qu’est-ce que cela a permis de travailler concrètement ?
À ce stade, nous avons élaboré une formation commune sur deux jours, dénommée :
« Classification, négociations collectives et salaire » que nous avons testés en novembre. Cette formation interprofessionnelle qui réunissait des stagiaires CGT et FSU a été très intéressante et a permis de revenir sur les prémices de la hiérarchisation des salaires et des classifications. C’est important de bien maîtriser le passé pour appréhender le présent et préparer l’avenir. C’était l’’occasion également de revoir la réglementation actuelle et les différents parcours scolaires ainsi que les positionnements de nos deux organisations. D’autant que la généralisation des nouvelles technologies comme l’IA générative nous impose de mieux travailler ces sujets. L’idée, c’est d’apporter chacun·e notre pierre à l’édifice pour à la fois partager nos analyses, nos propositions, mais également nos modalités d’action. C’est un premier pas pour élaborer plus largement des campagnes revendicatives sur la question et de ré-interroger le sens même du travail, de sa reconnaissance et de sa formation. Pour nous, c’est clairement un antidote au dumping social dans les conventions collectives.
Quelles sont les suites de cette démarche ?
Il faudra que nous fassions un bilan de ce stage et que nous décidions des modalités pour l’élargir, voir comment il peut contribuer à former plus largement nos militant·es, affiner nos repères revendicatifs et mener des campagnes. Nous souhaitons pour cela impulser un groupe de travail sur ces questions. Toujours est-il que l’important, c’est l’instant présent et les échanges que cela nous apporte. La FSU n’a pas d’organisation spécifique pour les ICTAM et est assez intéressée par les travaux de la CGT et de son UGICT en la matière. Il va être très intéressant d’avoir leur retour et de découvrir les suites qu’ils en feront.
« Une démarche commune pour renforcer les luttes »
Interview de Charlotte Vanbesien, secrétaire générale de la FERC- CGT
Pourquoi renforcer les liens entre la CGT et la FSU dans le secteur de l’éducation où les deux organisations semblent être concurrentes ?
Il n’y a pas de concurrence…Historiquement, la CGT s’est implantée chez les personnels de la voie professionnelle. À l’époque, beaucoup de collègues de l’enseignement professionnel étaient issus des entreprises du secteur privé dans lesquelles la CGT était présente. Aussi, sur leur nouveau lieu de travail, ils et elles se sont tourné·es naturellement vers la CGT pour s’organiser syndicalement. Ensuite, nous nous sommes ouvert, petit à petit, à d’autres champs même si nous restons davantage ancrés dans les lycées professionnels encore aujourd’hui.
Si la crainte de concurrence existe, elle ne reflète pas la réalité. Il y a largement de la place pour tous, alors qu’une majorité de collègues ne sont pas syndiqué-es. Notre priorité est de convaincre ces non-syndiqué-es. Aussi, cela fait près de 20 ans que l’enjeu du rapprochement est discuté dans les congrès de la CGT Educ’ation, depuis deux congrès à la FERC. Nos organisations ont une histoire commune, mais aujourd’hui, il prend une dimension stratégique. D’autant que nos revendications sont très proches : accès à l’enseignement, développement de la recherche ou renforcement des services publics. C’est une réponse concrète aux défis sociaux, éducatifs et environnementaux que nous partageons.
Pourquoi confédéraliser le rapprochement ?
Donner mandat à la confédération permet de montrer que l’enjeu concerne tous les salarié·es, c’est une démarche plus transparente pour structurer une action commune à l’échelle nationale. Ce travail est aussi un levier pour renforcer le poids de nos organisations pour intervenir sur des enjeux locaux, nationaux voire internationaux. Nous l’avons constaté, l’an dernier, dans la mobilisation contre « le choc des savoirs » ou encore dans la mobilisation pour l’école dans le département de la Seine-Saint-Denis. Relever le défi de la transition écologique, renforcer la lutte contre l’extrême droite et les politiques éducatives nécessitent une coordination et une vision stratégique à long terme et ne peuvent être traités uniquement au niveau local ou sectoriel. À l’échelle confédérale, nous nous donnons les moyens de proposer des réponses globales.
Enfin, confédéraliser ce rapprochement, c’est impliquer les structures locales, départementales et régionales pour mobiliser plus largement les militants sur le terrain.
En somme, confédéraliser ce rapprochement vise à donner une cohérence et une portée nationale au travail commun, tout en renforçant l’impact des actions menées collectivement par la CGT et la FSU.
Ce rapprochement se concrétise déjà sur le terrain…
Effectivement, à l’échelle nationale, nous organisons des formations communes. Nos instituts d’histoire sociale collaborent régulièrement. Au niveau local, dans les départements comme les Hauts-de-Seine ou les Yvelines, des sections uniques CGT/FSU sont expérimentées. Ces structures permettent d’afficher une unité dans nos actions face aux directions d’établissement. Nous avons aussi des intersyndicales pérennes et une démarche commune à l’internationale. Le prochain congrès de la FSU, en février 2025, devrait permettre de poursuivre et amplifier la démarche engagée.
Cependant, des freins au rapprochement persistent, quels sont-ils ?
L’un des freins majeurs réside dans la structuration distincte des deux organisations. La CGT fonctionne avec une forte implantation interprofessionnelle, territoriale, tandis que la FSU est davantage organisée par branches professionnelles et syndicats de métiers. Cette différence de structuration peut entraîner des incompréhensions dans les modes d’action ou dans la gestion des priorités. Pour que ce rapprochement soit efficace, il faut que chaque organisation comprenne mieux le fonctionnement de l’autre. Le fonctionnement en tendance de la FSU peut bousculer si l’on compare à notre fonctionnement, mais les inquiétudes sont levées lorsqu’on élève les discussions sur l’enjeu de la démocratie au sein de nos organisations. L’enjeu est de veiller à ce que chacun trouve sa place, pour éviter de donner l’impression d’une fusion alors que nous travaillons à des convergences pour un rapprochement que nous appelons « maison commune ».
Quels sont les projets futurs pour renforcer cette démarche commune ?
J’insiste, il ne s’agit pas de faire « 1+ 1 = 2 », mais de multiplier nos forces tout en respectant nos identités respectives ! En effet, notre rapprochement s’inscrit dans un contexte politique et social marqué par la casse d’ampleur des services publics, la montée de l’extrême droite et l’accroissement des inégalités. Face à cette déferlante, le syndicalisme ne peut plus se permettre de travailler en silo. En unissant nos forces, nous envoyons un signal fort pour mobiliser plus largement. La solidarité et l’unité sont les clés pour défendre les droits des travaileur·ses et bâtir une société plus juste. J’espère que ce travail avec la FSU inspirera d’autres secteurs pour renforcer les coopérations et nos actions.
Plus concrètement, nous allons continuer à structurer nos actions communes, notamment au niveau des départements. Le partage d’expériences reste une priorité, tout comme l’élaboration de projets communs. Enfin, nous comptons intensifier nos efforts pour impliquer toutes nos structures et syndicats, car un projet syndical doit avant tout être porté collectivement.