Voici des contributions individuelles au débat très vif sur les manifestations, les vaccins et le passe sanitaire. D’autres réactions de nos lecteurs-trices sont bienvenues. Ouvrons le débat!
ci-contre : dessin Mouchakaka Bebb (vu dans Reporterre).
- Contribution de Karl Ghazi, syndicaliste CGT:Manifester contre le passe sanitaire ou contre la politique libérale-autoritaire de Macron ?Des manifestations d’une ampleur inédite en période estivale se succèdent contre le passe sanitaire imposé d’une manière autoritaire et particulièrement maladroite par Emmanuel Macron.Il est donc évident « qu’il se passe quelque chose ». Mais quoi ?Ces manifestations expriment-elles seulement des délires complotistes accompagnés d’une prise de la rue par l’extrême droite ou font-elles émerger un mécontentement plus profond et multiforme ? Faut-il les réduire à ce qu’elles formulent directement ou bien faut-il y trouver des ferments de revendications justes ? Est-il envisageable que ce mouvement débouche sur des résultats positifs ? Faut-il y participer ou tenter autre chose ?
Le pouvoir n’a cessé de se déconsidérer, non pas tant par ses volte-face dans la gestion de la crise sanitaire (quel gouvernement n’a pas tâtonné ?) mais par sa manière de faire, toujours autoritaire, affirmative, définitive, même lorsqu’elle louvoie, même lorsqu’elle se contredit, même lorsqu’elle ment. La contestation de son autoritarisme est à la hauteur de sa déconsidération.
Cette manière de gouverner renvoie à des questions maintes fois soulevées et qui ressurgissent encore. La Ve République, l’hyper concentration du pouvoir par une seule personne et l’effacement des contre-pouvoirs ne sont pas une découverte : mais ce système infantilisant, peu démocratique et qui ne laisse pas de place autre que formelle à la parole citoyenne est de plus en plus largement critiqué.
En tant que révélateurs d’une crise de la démocratie, les mouvements en cours sont la poursuite indirecte de la revendication des Gilets jaunes en faveur RIC ou encore une façon diffuse et peu structurée de réclamer une autre république, plus démocratique.
A cela s’ajoutent les nombreuses et graves incohérences, qui dépassent les simples tâtonnements liés à la nouveauté et aux surprises réservées par la Covid 19 : la pandémie arrive au terme de plusieurs décennies de démantèlement des services publics en général et de la santé en particulier. Pire encore : elle n’a pas stoppé la casse, malgré le discours initial de Macron. Et la France continue de s’opposer à la levée des brevets sur les vaccins, comme s’il pouvait exister une solution uniquement nationale à une pandémie mondiale !
Une forte contestation est donc née à l’occasion de la mise en œuvre du passe sanitaire et, à l’évidence, l’état actuel du mouvement ouvrier ne l’a pas désigné comme le recours évident pour donner des débouchés à ces contestations.
Si le pouvoir est devenu doublement illégitime, pour sa manière de faire et pour ce qu’il fait, face à lui, l’apparence d’opposition structurée est essentiellement captée par l’extrême-droite et la droite extrême. Et les deux tentent de saisir l’opportunité politique de cette contestation, quitte à faire feu de tout bois (y compris en se faisant les chantres de la liberté et de l’anti-autoritarisme, ce qui ne manque pas de sel !).
Que doivent donc faire les organisations de gauche et les syndicats ? Tenter d’enfourcher le cheval pour ne pas en laisser le monopole à l’extrême-droite ? Le regarder avec dédain en répétant que « les valeurs de ce mouvement ne sont pas les nôtres » et se retirer sur leur Aventin ?
La question s’était posée pour le mouvement des Gilets jaunes. Après une courte phase de défiance voire de condamnation, la gauche anti-libérale s’y était ralliée, les syndicats beaucoup moins. Indubitablement, ce positionnement et la participation active de nombreux militants ont empêché que ce mouvement ne dérive éventuellement vers l’extrême droite, dans ce qui aurait pu devenir un scénario « à la brésilienne ».
Est-ce à dire qu’il faut reproduire mécaniquement le même raisonnement et appeler à participer aux manifestations contre le passe sanitaire ?
L’analogie avec le mouvement des Gilets jaunes n’est pas dénuée de sens : de même que le soutien à un mouvement contre la hausse du prix du gasoil pouvait apparaître incompréhensible pour une gauche qui veut donner de plus en plus de place à l’écologie, de même un mouvement contre le passe sanitaire peut la faire apparaître aux côtés des complotistes ou de l’extrême-droite.
Cependant, la contestation de la hausse du prix du gasoil, point de départ du mouvement des Gilets jaunes, est rapidement apparue comme une étincelle qui a vite fait émerger d’autres revendications.
A l’inverse, le mouvement anti passe sanitaire apparaît fortement teinté d’un double tropisme complotiste et d’extrême droite, parfois mâtiné d’antisémitisme.
Est-il encore temps, est-il utile d’essayer de le « tirer » vers des revendications politiques et sociales en phase avec celles de la gauche anti-libérale ? Faut-il prendre le risque d’attiser les confusions ?
Ce risque en vaudrait la chandelle si les chances d’infléchir le mouvement vers une contestation porteuse de perspectives émancipatrices étaient réelles.
Mais la réalité et l’évolution des mouvements en cours apparaît trop éloignée des objectifs et des valeurs de la gauche anti-libérale pour permettre cela.
La confusion qui règne, les dangers qu’elle peut porter et la proximité de l’élection présidentielle devrait pourtant inciter à poser les vraies questions de santé publique, celle du service public de la santé, de la politique de vaccination en France et dans le monde, de la recherche sur les traitements, à exiger la fin d’une gestion libérale qui mène droit au désastre et porter, simultanément, les questions politiques sur les dérives anti-démocratiques de la Ve République.
La seule issue raisonnable serait que la gauche anti-libérale et que les organisations de travailleurs prennent leurs propres initiatives de mobilisation, sur ces mots d’ordre.
Si ces initiatives existaient, si elles apparaissaient suffisamment fortes et crédibles, elles pourraient rallier parmi les manifestants de l’été ceux qui ne sont ni antivax, ni complotistes, ni d’extrême droite (les uns ne se confondant, bien sûr, pas forcément avec les autres). Il n’est pas certain que cela fonctionne, ni que de telles initiatives parviennent à drainer la dynamique en cours, mais cela répondrait à une véritable attente, peut-être majoritaire.
Faire cela, ce n’est pas « enfourcher un cheval » qui galope vite et bien mais qui semble bien mal embarqué : c’est tenter d’en lancer un autre, qui irait dans une autre direction, qui ne se contenterait pas de cristalliser un mécontentement confus aux objectifs douteux, mais qui tracerait une perspective politique et sociale à un moment où le besoin s’en fait cruellement ressentir.
Pour que cela ait une chance de fonctionner, toutes les forces qui croient qu’il faut renforcer l’hôpital public, augmenter les salaires des personnels, améliorer leurs conditions de travail, rétablir les lits supprimés, généraliser la vaccination sur l’ensemble de la planète et s’insurger contre l’autoritarisme du pouvoir doivent converger.
L’hypothèse d’une victoire contre la politique libérale-autoritaire de Macron à quelques mois de la présidentielle est une perspective qui devrait permettre de surmonter de nombreux obstacles :
il faut non seulement l’espérer, mais tout mettre en œuvre pour que cela puisse se réaliser.
- « La CGT et les manifestations contre le Pass Santitaire » par Lorenzo Battisti (CGT Banque Assurance)
Si on regarde les commentaires en ligne des militants de la CGT sur les manifestations contre le Pass sanitaire, on a l’impression que beaucoup de travailleurs pensent qu’il est possible de faire passer à gauche ces manifestations dominées par l’extrême droite. Cette position repose sur l’idée que les mouvements sociaux n’ont pas d’orientation propre, mais dépendent exclusivement des rapports de force : si on participe en masse, on peut voler la manifestation à l’extrême droite, qui la monopolise actuellement.
Malheureusement, ce n’est pas le cas. Pour comprendre la nature d’un mouvement social, il faut comprendre ses racines sociales. Le mouvement contre le passeport vaccinal a une racine loin des valeurs de gauche et est par conséquent hégémonisé par des mouvements de droite.
Un exemple italien
Les premières manifestations en Italie ont eu lieu en janvier, lorsque le gouvernement a décidé de fermer les bars et les restaurants en raison de l’aggravation dangereuse de la situation pandémique. Fascistes, restaurateurs et clients sont descendus dans la rue en criant « Libertà ! Libertà ! » et avec pour slogan » J’ouvre « .
Dans le même temps, chaque jour, entre 300 et 600 personnes suffoquaient et mouraient seules dans un lit d’hôpital, tandis que les travailleurs de la santé, désespérés, essayaient de faire ce qu’ils pouvaient et plus pour sauver le plus de vies possible. Comme si un avion intercontinental s’écrasait tous les jours.
Mais de quelle liberté parlaient les fascistes et les restaurateurs dans la rue ? Ils parlaient de la liberté de continuer à faire des affaires comme avant. Comme si rien ne s’était passé, comme si les lits d’hôpitaux n’étaient pas remplis de mort et de désespoir. Ce qu’ils voulaient, c’était la liberté de faire ce qu’ils voulaient quand ils le voulaient, sans contraintes. Il est vrai que les restaurateurs italiens ont reçu beaucoup moins d’aides que leurs collègues français. Mais ils auraient pu demander une aide similaire à celle reçue dans d’autres pays d’Europe, montrant ainsi un intérêt pour la situation générale. En effet, dans ce cas, en plus des intérêts légitimes des restaurateurs, la santé publique aurait été protégée, à commencer par celle des personnes les plus fragiles. Au lieu de cela, cette solution n’a même pas été conçue.
Et les clients qui ont participé à ces manifestations, de quelle liberté parlaient-ils ? Ils demandaient la liberté de faire ce qu’ils voulaient, sans se soucier des autres. Pour célébrer et trinquer sans penser à la mort qui nous entourait alors.
Ça me faisait peur. Ça me fait peur. Pour eux, la liberté n’est pas une femme qui peut marcher tranquillement dans la rue. Ce n’est pas un travailleur qui n’a pas peur d’être licencié. Ce n’est même pas un enfant qui peut étudier et développer ses capacités. Ce n’est pas un monde sans guerres ni une répartition équitable des richesses. Il ne s’agit pas d’un environnement non empoisonné ou d’une vieillesse sereine.
Pour eux, la liberté c’est de pouvoir manger et boire. La photo du coucher de soleil sur la plage. Des seins et des culs. Une succession de moments d’expérience, l’un après l’autre. L’important est que rien ne vienne perturber ces moments. Pas un immigrant ou un sans-abri. Pas un gouvernement qui essaie de construire une barrière à la pandémie. Pas un « autre » dont la simple présence perturbe la jouissance de l’instant.
Il pourrait y avoir Pinochet au gouvernement, et si on peut manger et boire, s’amuser et faire la fête, c’est pareil. En fait, ce serait peut-être mieux, car il s’agirait d’un gouvernement « efficace » qui résoudrait rapidement les désagréments qui perturbent les expériences.
Une vie pleine pour eux n’est pas une vie sociale, avec les autres, s’efforçant de poursuivre quelque chose, de construire quelque chose qui restera, de laisser le monde meilleur que celui qu’on a trouvé. Ils remplissent leur vie de tagliatelles et de fromage de fosse, de vodka et de selfies posés, tous pareils.
En Italie, il y a un tiers du pays qui est comme ça et qui crie « Libertà Libertà » si les bars et les restaurants sont fermés. Et il y a un autre tiers qui, dans l’ensemble, sympathise et pense que « ce n’est pas la vie sans ça », tout en niant la survie de ceux qui risquent leur vie avec la pandémie. Dans un pays où depuis des semaines, depuis le déblocage des licenciements (c’est l’extrême droite de Meloni et Salvini qui a réclamé la liberté de licencier), on assiste à des licenciements massifs au rythme de 500 par jour, pas un seul d’entre eux n’est allé devant ces usines pour crier « liberté liberté » et soutenir ces personnes et leurs luttes. Aujourd’hui encore, aux heures les plus sombres, il y a un autre tiers du pays, toujours le même, qui fait grève, qui aide les sans-abri, qui cuisine dans les cuisines populaires pour les pauvres, qui aide les immigrés clandestins, qui demande l’imposition des grandes fortunes, qui adhère aux partis de gauche, qui manifeste, qui fête le 25 avril et le 25 juillet (anniversaire le premier de la Libération de l’Italie et de la chute de Mussolini le second).
L’orientation du mouvement no-vax/no-pass
Les manifestations européennes contre les restrictions en période de pandémie se caractérisent, comme celles en Italie, par le rejet absolu de toute limitation de l’activité économique (le droit irrépressible et illimité de faire des profits) et le rejet de toute limitation des comportements individuels exigés par les clients.
La liberté des sujets fragiles et de la société dans son ensemble de les protéger n’est pas présente. Leur liberté est avant tout leur droit de vivre, leur et notre droit de rester en bonne santé et de ne pas risquer des conséquences à long terme. Cette liberté entre en conflit avec la liberté économique de faire des profits et la liberté individuelle de se divertir. Dans cette confrontation, les manifestants ont choisi leur camp.
La droite sait aussi où se placer. Ils ne disent pas qu’ils se fichent des personnes fragiles (ils s’en foutent, pour reprendre le langage des années vingt), ils disent vouloir défendre la liberté des restaurateurs et des clients de se divertir. De vivre. Et avec une certaine lucidité et cohérence politique. Historiquement pour eux les estropiés, les ratés, étaient un fardeau pour la race, à tel point qu’ils ne finissaient même pas dans les camps de concentration et étaient éliminés directement (une élimination qui a commencé avant même les autres).
Le problème, c’est la gauche, hégémonisée depuis des décennies par une pensée libertaire post- soixante-huitarde qui conçoit la liberté, au même titre que la droite, comme l’absence de contraintes et d’entraves. Sans ficelles ni liens, comme dirait Sole 24 Ore, journal du Medef italien. Sans contraintes sociales, sans responsabilité envers les autres, concentré sur la vie comme une succession d’expériences belles et gratifiantes que personne ne peut interrompre ou perturber.
Cette « gauche » ne ressent aucun devoir envers les plus faibles et considère sa propre liberté irrépressible et sans contraintes comme un bien absolu qui ne peut être compromis. S’il faut sacrifier les plus fragiles pour qu’ils puissent retrouver leur vie antérieure de jouissance, qu’il en soit ainsi.
Les contraintes servent à exploiter les plus forts au profit des plus faibles. Et les forts ont toujours été intolérants aux contraintes. La pensée libertaire a suggéré à gauche que ce n’est pas le cas. Mais sans contraintes extérieures, la loi du plus fort revient, les rapports de force réapparaissent, au détriment des plus faibles. La pensée libertaire de gauche, même si elle ne s’en rend pas compte, ouvre en fait la voie à gauche à une pensée fonctionnelle à droite. Dans ce cas, à la droite la plus extrême.
Le rejet de toute limitation a été suivi de la diffusion de théories du complot de toutes sortes : « le virus n’existe pas » « c’est une grippe normale » « on peut le soigner avec le médicament x mais on ne nous le dit pas », etc. Il s’agit d’une rationalisation a posteriori pour justifier le rejet de toute contrainte, même face à des preuves sanitaires indiscutables. Je refuse les limitations et pour cela je dois me justifier à moi-même avant de le faire aux autres, c’est pourquoi on accepte de croire les théories les plus imaginatives et les plus invraisemblables.
Les choix derrière le passeport sanitaire
La question qui se cache derrière le pass santitaire est de savoir s’il peut y avoir des limites collectives au comportement individuel et à l’activité économique.
Soit on protège les personnes fragiles, celles qui ne peuvent pas se vacciner ou sur lesquelles le vaccin n’a pas d’effet (greffés, immunodéprimés, maladies auto-immunes, etc.), en restreignant la possibilité de vie sociale de ceux qui ne veulent pas se vacciner, soit on donne à ces personnes le droit de vivre librement en enfermant chez elles les personnes fragiles, comme si c’était leur faute pour la fragilité qu’elles portent.
Ceux dont le comportement individuel est en contradiction avec l’intérêt collectif doivent être sanctionnés. Pour protéger la partie la plus fragile de la société qui serait touchée par les conséquences de cette liberté sans limite. Une liberté sans limites qui se transforme en son contraire, à savoir la « liberté » des forts contre les faibles.
J’ai fait l’objet de trois critiques. Le premier m’accuse de faire le jeu de Macron (ou Draghi) et des patrons (qui sont derrière eux). On dit qu’ils utilisent la pandémie pour imposer des restrictions au contrôle social et pour éroder les droits. C’est tout à fait vrai, mais c’était tout à fait vrai pour chaque jour précédant la pandémie : même avant la pandémie, ils étaient occupés à réduire les droits et à utiliser tous les expédients pour y parvenir. Ils n’ont certainement pas attendu la pandémie pour le faire. Le rejet de la restriction des droits ne peut cependant pas conduire au rejet des mesures de protection collective contre la pandémie, mais plutôt au rejet des points intégrés de manière opportuniste dans ces mesures. Je suis contre tout licenciement lié à la non-vaccination des travailleurs, mais en même temps je pense qu’il est nécessaire que tous les travailleurs de la santé et tous ceux qui sont en contact avec le public soient vaccinés, pour le bien collectif. Le refus des licenciements ne peut conduire à ignorer la santé des personnes fragiles qui ne peuvent se vacciner.
La seconde est qu’il ne faut pas perdre son temps à parler, mais s’engager dans des manifestations. Que je serais un intellectuel de pacotille perdant son temps à raisonner. L’anti-intellectualisme est un élément de la culture fasciste : dans le slogan de Mussolini » Croire Obéir Combattre « , il n’y avait aucune place pour l’étude, la culture, l’analyse, la critique. À ma petite échelle, j’essaie plutôt de suivre Gramsci, victime de Mussolini et du fascisme, qui nous a appris que l’analyse et la pratique vont de pair, que c’est autour des grandes idées que peut se construire une manière collective de changer le monde. Sans elle, en poursuivant tout ce qui bouge, tout mouvement, nous agissons comme des chatons aveugles.
Enfin, on m’a dit que je ferais la fine bouche, que je diviserais le mouvement contre Macron. Cette position contient l’idée que la division gauche-droite n’existe plus, et que nous devrions tous nous unir contre le pouvoir oppressif. Ceux qui la soutiennent ne ressentent aucune gêne à manifester aux côtés de groupes fascistes, dans des manifestations hégémonisées par eux et avec des slogans loin de la gauche. Je dois admettre qu’en fait, pour répondre à ces personnes avec leurs mots, j’ai toujours joué à mes diviser des fascistes. Ce sont des ennemis de classe et je n’ai jamais manifesté avec eux. Une fois de plus, cela montre le caractère réactionnaire de ces manifestations : c’est toujours l’extrême droite qui soutient que la division gauche-droite n’existe pas et qu’elle est une invention des élites pour diviser le peuple, et qu’une union nationale au-delà de la gauche et de la droite serait nécessaire pour unir le pays et le libérer. Une fois de plus, cela me rappelle beaucoup Mussolini et sa clique.
La CGT et les manifestations contre le Pass sanitaire
Les mouvements sociaux sont comme des bus, tout le monde peut y monter. Le problème est de savoir qui s’assied derrière le volant. Pensez aux grandes grèves : il n’y a pas que des travailleurs de gauche qui y participent, mais aussi des gens du centre, ou des travailleurs proches de l’extrême droite. Mais leur orientation est claire, et l’extrême droite n’a jamais essayé d’en prendre le contrôle, parce que leurs racines sociales reposent sur une orientation de classe qui s’oppose à l’idée corporative de la droite.
Le mouvement contre le Pass santitaire s’inscrit dans la continuité des nombreuses manifestations obscurantistes qui ont eu lieu en France et en Europe ces derniers mois. Celles-ci ont « en elles- mêmes » une racine d’extrême droite car elles sont fondées sur le soutien à l’absence de contraintes sur l’économie et les comportements individuels (ce qui se traduit par l’imposition de la « liberté » du fort sur le faible) et sur l’irrationalisme conspirationniste (« le virus n’existe pas » « c’est une grippe normale » « on peut la soigner avec le médicament x mais on ne nous le dit pas » etc).
Elle repose sur l’idée que les gens ordinaires sont victimes d’un système d’exploitation dans lequel tout est contrôlé par un petit cercle d’une élite ayant le pouvoir de tout contrôler et de tout planifier. Celui qui vient, comme moi, du pays qui a inventé le fascisme, sait très bien que c’est la base culturelle du fascisme. Toute personne qui pense cela n’est pas encore un fasciste, mais est à un pas de le devenir.
Malheureusement, il y a beaucoup de gens aujourd’hui qui confondent la lutte des classes avec la lutte contre les élites : la première est une lutte pour la démocratie et l’égalité, la seconde est une voie vers le fascisme. Pourquoi en est-il ainsi ? Parce que si cette élite toute puissante existe, il n’y a aucune possibilité de démocratie, en fait tout le monde en démocratie est compromis avec l’élite qui contrôle tout. Même les partis et les syndicats de gauche : vous vous souvenez de ce que Jean Marie Le Pen disait à chaque grève ? Une élite internationale (et certains pointent même la racine juive), unifiée, mondiale, qui veut soumettre les différents pays en exploitant une rhétorique démocratique où chaque parti, syndicat ou acteur associatif obéit en fait à cette élite. Eh bien, si c’est le cas, la seule solution logique est une force antidémocratique et nationaliste, dirigée par un homme (ou une femme ?), qui libérera le pays de la démocratie corrompue des élites.
Les protestations de ces jours-ci sont des protestations qui partent de ce terrain culturel. C’est pourquoi l’extrême droite, en France comme dans toute l’Europe, est dominante. Il ne s’agit pas de rapports de force, ni d’aller en masse pour changer la direction des manifestations. C’est que la culture sur laquelle elle se fonde, les slogans, l’orientation politique sont d’extrême droite.
L’objectif du syndicat ne doit pas être de participer à ces manifestations afin de les hégémoniser. À une époque où l’hégémonie appartient à l’adversaire, le risque est plutôt de perdre des pièces au
profit de ceux que l’on veut combattre. Au contraire, il faut appeler à des manifestations et des grèves parallèles à ces manifestations, appelées sur des mots d’ordre clairs qui s’opposent à ceux de l’extrême droite, et qui mettent en concurrence les manifestations syndicales avec celles appelées » spontanément » par l’extrême droite. Ces manifestations devraient être axées sur la lutte contre la liberté de licenciement en l’absence d’un passe santitaire, et non contre le passe santitaire en soi.
Je suis désolé de constater que, sur ce sujet, la confusion en France est la même que dans mon pays d’origine, où il n’y a plus de gauche ou de grève digne de ce nom.
Je demande à chacun de faire attention à sa participation à ces manifestations, car cela pourrait nuire aux futurs mouvements de classe auxquels la CGT doit participer.
- « Syndicats et vaccination : l’hésitation de l’obligation »
Jean-Claude Mamet
Tous les syndicats défendent très clairement la vaccination. Mais ils sont réservés ou muets sur l’obligation. Ils sont également réservés ou opposés au « passe sanitaire » conditionnant l’accès aux lieux publics, et pour les personnels y travaillant chargés de la surveillance. Trois syndicats ont déposé un recours au Conseil constitutionnel pour qu’il déclare « l’inconstitutionnalité de la loi », notamment parce qu’elle aggrave les « discriminations » sur la mise en place du « passe sanitaire », au regard des « droits fondamentaux », et qu’il renforce la « subordination » à l’employeur.
Sans nous prononcer ici sur la constitutionnalité de la loi, il est nécessaire de ne pas esquiver la question de l’obligation vaccinale. On sait qu’elle existe depuis longtemps dans notre société, et qu’elle a fait ses preuves. Il n’y a donc pas de raison valable de ne pas la préconiser pour se prémunir de la survenue du COVID 19, dès lors que les vaccins ont fait la preuve de leur efficacité, en dépit du fait que la procédure de leur mise à disposition a été nettement plus accélérée que dans les protocoles habituels. Soit les vaccins sont dangereux et alors il faut les interdire pour tout le monde, soit ils protègent dans un contexte où il n’y pas encore de traitement, et alors il n’y a aucune raison qu’ils soient soumis au seul « libre arbitre » de chacun, alors que l’extension de l’immunité collective n’est pas généralisée et mondiale.
Mais il n’y a pas d’argument non plus pour les pouvoirs publics de ne pas rendre la vaccination obligatoire pour toute la population potentiellement concernée au regard des avis médicaux (la question des enfants peut en effet se poser). En aucune manière il ne peut y avoir un traitement différentié selon des critères strictement professionnels. Même si les personnes continuellement au contact du public semblent davantage concernées, toute personne peut à divers moments se retrouver au contact du public (transports, magasins, lieux culturels, restaurants…). Dans ce domaine, une application d’ampleur universelle des mesures protectrices vaccinales est absolument nécessaire, sinon il y a inégalité flagrante de traitement et un risque potentiellement généralisé- qui lui deviendrait universel comme on le voit avec les variants.
La loi doit donc à ce stade décider l’obligation vaccinale.
Doit-elle sanctionner en cas de refus ? Il convient sur ce point de prendre le maximum de précautions et de faire preuve de discernement. Dans les Etats de droit, une loi qui est délibérément violée implique des mesures de contrainte, voire de force, impliquant des sanctions matérielles, voire pénales. Néanmoins, il est parfaitement imaginable de proportionner l’obligation légale et le type de mesures et de « sanctions », par une médiation qui est la délibération démocratique et la construction d’un collectif civique et d’une responsabilité collective acceptée.
Dans les collectifs de travail et dans la société, l’obligation légale doit aussi :
– comporter l’obligation de participer au débat citoyen : réunions d’informations obligatoires sur le temps de travail (en plus de celles organisées par les syndicats qui doivent en avoir le droit)), animées par des personnes qui n’appartiennent pas au dispositif hiérarchique ;
– comporter l’organisation d’assemblée citoyennes dans les communes et les quartiers, afin de délibérer et convaincre ;
– comporter la possibilité en cas de refus d’être changé d’affectation (comme cela est prévu) ;
– comporter l’obligation de se soumettre à un contrôle (passe sanitaire).
Mais l’obligation légale de vaccination ne doit pas aboutir à une rupture du contrat de travail, la suspension du salaire, et pire encore le licenciement. Une personne refusant la vaccination, qui a participé aux réunions sur son lieu de travail, peut être mise en suspension d’obligation professionnelle provisoire, avec un délai. Il est assez peu probable que cette mise en extériorité du collectif de travail ne finisse pas par créer une prise de conscience. Il s’agit alors d’une sorte de « sanction morale ». Il faut miser sur la sociabilité démocratique et l’éthique du travail, pas sur la sanction atteignant les droits sociaux ou la liberté de conscience.
Il sera rétorqué à ces propositions qu’une obligation légale non respectée et non sanctionnée ouvre la porte à toutes les dérives. Il faut répondre à cela que des situations de ce type se sont déjà produites récemment (par exemple la tolérance -certes rare !- de manifestations pourtant interdites). Mais surtout que la situation ouverte par la pandémie mondiale doit ouvrir des méthodes démocratiques et des procédures exceptionnelles dans le traitement des situations. Refuser de le faire ou de l’imaginer peut aboutir à une exacerbation régressive des crises de société.
Août 2021.