La lutte des salarié-es GM&S en 2017 a marqué l’actualité des luttes sociales, mais aussi le cinéma. Un film en est sorti (« On va tout pêter« ), réalisé par Lech Kowalski, projeté à la Quinzaine des réalisateurs du Festival de Cannes.
ON VA TOUT PÉTER !
Deux ans de combat, une énergie folle, une proposition de loi contre les patrons voyous, et aujourd’hui, un film sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs du festival de Cannes : ON VA TOUT PÉTER, de Lech Kowalski, retrace depuis les premiers jours la lutte exemplaire des GM&S. De La Souterraine à Cannes, c’est la parole des travailleurs jetables que les ouvriers viennent porter sur la croisette des notables. Quand les GM&S déboulent au Festival, un reportage de Dillah Teibi et Fabien Petitpré :
À quoi sert la classe populaire ? Un paillasson ou un marchepied ? C’est tantôt l’un, tantôt l’autre. Tantôt c’est un tas de bidochons, de racistes et d’assistés, tantôt c’est les héros du Front populaire, c’est les vraies valeurs, c’est le sel de la terre. Idéalisée, folklorisée, ridiculisée, la classe populaire, « on » parle à sa place, « on » pense à sa place. « On », c’est ceux du dessus, ceux qui regardent de haut et qui voient loin, les experts, les politiques, les économistes, les patrons bien sûr et les rupins, mais souvent aussi les intellos, les artistes, et même les cinéastes, puisqu’on est à Cannes.
Au cinéma, sauf pour un rare Ken Loach ou un Guédiguian et quelques autres, la classe populaire reste une classe étrangère. La classe des invisibles, des oubliés, des vaincus, pour reprendre les termes les plus utilisés par les « penseurs rapides » (fast thinkers) au sujet des « gilets jaunes ». ON VA TOUT PÉTER n’est pas un film SUR les travailleurs en lutte mais AVEC eux : ni paillasson, ni marchepied, c’est leur film, c’est leur résistance dont nous pouvons FAIRE PARTIE comme a fait le réalisateur du film, Lech Kowalski, au sens de PRENDRE PARTI. C’est ça ou c’est le parti de l’ennemi. Il n’y a pas d’arrangement. Lech Kowalski est anglais et il le sait, Margaret Thatcher avait raison : il n’y a pas d’alternative !
Où en est-on de la lutte des GM&S ?
Les ouvriers de l’ex-usine GM&S, sous-traitant automobile, bougent encore et pas qu’un peu. Depuis 2017, ils livrent plusieurs combats pour sauver leur usine, mais aussi pour aider leurs collègues mis à la porte lors du dernier plan social, en janvier 2018, après que l’entreprise a été reprise par l’industriel Alain Martineau pour un euro symbolique, avec 120 emplois conservés sur 277.
Comment va l’entreprise aujourd’hui ? Depuis un an, l’usine GM&S – devenue LS Industrie – tourne au ralenti. La faute aux deux donneurs d’ordre et géants de l’industrie automobile, le groupe PSA et Renault. PSA s’était engagé à fournir 12 millions d’euros de commandes par an dès 2018, et Renault 10 millions d’euros. Mais les constructeurs automobiles n’ont pas tenu leur parole, comme l’expliquait Patrick Brun, délégué syndical CGT, à la fin de l’année 2018 : « par rapport à ce qui avait été annoncé par les constructeurs – 12 millions d’euros de chiffre d’affaires annuels de PSA et 10 millions d’euros de Renault – on est loin du compte. On se rend compte qu’on va finir l’année certainement avec 11,7 millions d’euros de commandes mais pas plus. On est loin des engagements des constructeurs [1] ».
Parallèlement, l’entreprise LS Industrie (ex-GM&S) perd environ 350 000 euros par mois. Par conséquent, les salariés craignent un autre plan social, voire une liquidation de leur usine.
Mais ce ciel sombre est loin de décourager les ouvriers, qui ont remis de l’essence dans leur moteur grâce à la justice. En annulant l’homologation du « plan de sauvegarde de l’emploi », le tribunal administratif de Limoges leur a redonné de l’espoir. Cette décision a même été confirmée en appel. Mais l’administrateur judiciaire a contesté cette décision : le Conseil d’État doit encore statuer sur la faisabilité d’un tel pourvoi. Affaire à suivre donc, concernant la contestation du plan social.
En attendant, les ex-GM&S mènent bataille sur d’autres fronts. 85 licenciés de GM&S et 33 autres salariés repris au sein de l’entreprise LS Industrie réclament une somme totale de 7,4 millions d’euros à PSA et Renault.
Les deux géants de l’industrie automobile sont accusés d’avoir provoqué la chute de l’ex-équipementier automobile GM&S en le maintenant en situation de dépendance économique. Une assignation en justice pour « abus de position dominante » et « responsabilité pour faute » devant le tribunal de Guéret a été délivrée par huissier aux deux constructeurs.
Cette démarche est d’autant plus importante que les salariés licenciés ne roulent pas sur l’or. Le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, avait pourtant promis de ne laisser personne sur le carreau. Mais la cellule de reclassement s’est arrêtée fin mars et à la fin de l’année, les salariés qui sont aujourd’hui au chômage ne toucheront plus rien. Fin mars 2019, parmi les anciens salariés de GM&S, 36 étaient en CDI, 11 avaient des promesses d’embauche, 23 étaient en CDD de plus de six mois, 23 en CDD de moins de six mois. Huit avaient créé une entreprise ou avaient un projet de création, et au moins 50 étaient sans solution, dont 26 en grande difficulté.
Dans ce contexte, le film de Lech Kowalski, On va tout péter, sur la lutte des GM&S, est autant une piqûre de rappel qu’un appel à la lutte.
- Cinéma direct
Cinéaste engagé (I Pay for Your Story, La malédiction du gaz de schiste) et chantre du cinéma direct, Lech Kowalski est resté neuf mois en immersion, caméra au poing, auprès des salariés de GM&S en lutte. Il saisit sur le vif les assemblées générales, les moments de doute où l’espoir vacille, les paroles qui redonnent courage, avant d’emboîter le pas à une délégation qui tente d’occuper des sites de production de PSA et Renault. Souvent âpre quand la colère explose, parfois drôle, comme cet échange entre un ouvrier et un CRS partageant une passion pour la pêche à la carpe, son film, présenté cette année à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, prend un tour poignant lorsque le repreneur annonce sa décision de se séparer de 157 salariés, chacun redoutant alors de rester sur le carreau. Chronique d’un monde ouvrier qui se désagrège, On va tout péter s’interroge sur les moyens de se battre et de préserver sa dignité face à la loi du plus fort, sans sombrer dans la violence.