L’étude ci-dessous, publiée dans la Revue interventions économiques, écrit par la sociologue Christiana Karakioulafis avant la victoire de Syriza du 25 janvier 2015, fournit une grille de compréhension détaillée du syndicalisme grec, de son histoire ancienne et récente. Il fait bien apparaitre l’étroitesse des rapports du syndicalisme avec l’Etat (et même le contrôle par celui-ci), et avec les grandes forces politiques qui se sont succédé au pouvoir, par delà les périodes tragiques de dictature Metaxas, de la guerre civile (1945-49) ou de la dictature des colonels (1967-1974).
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Extraits du texte :
- Syndicalisme et Etat : « …La période depuis la création de la GSEE jusqu’à la fin de la dictature de Metaxas (1941) est considérée comme une de plus tourmentée de l’histoire syndicale grecque. À part l’intensification de la conflictualité sociale et de l’instabilité politique plus générale, il y a eu des scissions successives au sein de la GSEE, l’État est intervenu de façon directe dans la vie syndicale tandis que les activités syndicales ont fait l’objet d’une persécution politique intense. Suite à la vague de grèves de cette période, une série de mesures ont été votées concernant la sécurité
sociale, la réglementation des salaires et des conventions collectives (prévues depuis 1914). Ces mesures ont été complétées sous la dictature de Metaxas (1936-1941) qui a fondé, entre autres, l’Organisme de sécurité sociale (IKA) et le Foyer du Travail (OEE). Au même moment, l’arbitrage obligatoire a été introduit et le droit de grève aboli. Avec les mesures prises sous la dictature de Metaxas, le syndicalisme grec s’est retrouvé sous le contrôle direct de l’État tandis que l’interventionnisme étatique dans la réglementation des relations de travail était élargi. Après la Deuxième Guerre mondiale, la guerre civile grecque (1945-1949) a également laissé ses traces sur le mouvement syndical (Ioannou, 2000). Durant la période qui a suivi la guerre civile et jusqu’à la junte militaire (1967-1974), le contrôle idéologique des syndicats (et l’exclusion ou l’élimination des tendances communistes) allant jusqu’au choix des leaders syndicaux par l’État, la création des syndicats dits «rubber-stamps» destinés à soutenir les partis majoritaires au sein des élections syndicales et la falsification des résultats des élections syndicales ont été pratiques courantes (Katsanevas, 1994 ; Triantafillou, 2003). » - Syndicalisme et salariat : « ….La deuxième enquête réalisée en 2010 a montré que 7 travailleurs sur 10 n’avaient pas confiance dans les syndicats. Toutefois, il est important de noter que 77% des travailleurs et des chômeurs reconnaissaient la nécessité des syndicats plus généralement (VPRC, 2010). L’attitude de « méfiance » à l’égard du mouvement syndical organisé était liée au sentiment, partagé par beaucoup de travailleurs, que les dépendances et aspirations politiques des leaders syndicaux étaient souvent placées au-dessus des revendications et des intérêts des travailleurs. De plus, la sous-représentation des syndicats dans le secteur privé et leur surreprésentation dans les entreprises publiques et le secteur public créaient le sentiment que le syndicalisme grec était un syndicalisme de
« travailleurs mieux protégés ». » « …Dès lors, la prise de distance de certaines catégories de travailleurs par rapport aux
structures syndicales existantes ainsi que le «fossé identitaire» (Dufour & Hege, 2010) ressenti par les salarié(e)s précaires qui, sans nier l’importance des syndicats, considèrent que ceux-ci ne sont pas faits pour eux, paraissaient inévitables. Le résultat semble être la combinaison d’un processus de « désyndicalisation et « d’asyndicalisation » (Dufour & Hege, 2010) » [ces derniers sont chercheurs à l’IRES France-NDLR] - Depuis la crise de 2008 et les mémorandum : « ….Pour cette raison, pendant une période d’environ quatre ans, les pratiques syndicales à l’ancienne sont remises en cause ou sont même considérées comme inadaptées ou inefficaces et les syndicats sont dépourvus de leurs alliances et « ressources » traditionnelles. Il semble que : « L’épreuve du terrain, celle des protestations massives qui ponctuèrent les séries de mesures associées aux Mémorandums, les confronta à l’efficacité déclinante des formes de lutte anciennes. » (Burgi, 2014 : 48). Les relations des fractions syndicales politiques majeures avec leurs alliés politiques traditionnels (qui forment le gouvernement de coalition depuis juin 2012) ont été gravement ébranlées. Les mobilisations syndicales ont mené à une confrontation sans précèdent entre la fraction syndicale PASKE (attachée au parti socialiste PASOK) et le gouvernement du PASOK, tandis qu’en 2012, on a vu également la fraction syndicale DAKE (attachée au parti de droite ND) se confronter au parti ND, cosignataire du deuxième mémorandum en février 2012 et qui est au pouvoir depuis les élections de juin 2012.
Ces dernières années, de nombreux syndicalistes issus de la fraction PASKE et de la fraction DAKE, surtout dans les entreprises publiques, renoncent à leur affiliation politique soit pour se déclarer indépendants soit pour soutenir des partis dénonçant les mémorandums. Ainsi, avant les élections de juin 2012, un nombre non négligeable des syndicalistes provenant de PASKE ont soutenu de manière officielle ou officieuse le parti politique SYRIZA (gauche
radicale), qui s’est trouvé considérablement renforcé après les dernières élections tandis que certains syndicalistes provenant de DAKE se tournaient vers le parti politique ANEL ».
Christina Karakioulafis, « Les plans d’austérité imposés à la Grèce : impact sur les droits
sociaux et syndicaux et réactions syndicales », Revue Interventions économiques [En ligne], 52 | 2015, mis en ligne le 01 mars 2015, consulté le 04 mai 2015. URL : http://interventionseconomiques.revues.org/2426
Christina Karakioulafis, Professeur assistant, Département de Sociologie, Université de Crête, Grèce
email : chkarakioulafi@gmail.com